Perdu dans la nuit Chapitre 1

Auteur : Ilanor
Check : Nekoyashiki-san


    L’ancien du village ferma les yeux, savourant ces quelques instants de silence qui suivaient toujours la fin de ses histoires. Devant lui, assis par terre, une dizaine d’enfants le regardaient, les yeux remplis d’espoir, ainsi que de frustration aussi…

« Pourquoi pas maintenant Grand-père ?

– Mmmh, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, il se fait tard et j’oublie… Ah ! Pauvre de moi, je deviens sénile ! » s’exclama le vieil homme.

– Est-ce que la Grande Magie existait vraiment ?

– Elle était où la forêt ?

– Pourquoi elle a disparu la forêt ?

– Pourquoi… »

     Il fronça les sourcils devant le déluge de questions qui s’abattait sur lui, après quoi les enfants se turent, et commencèrent à se lever pour partir. Il ne fallait jamais énerver l’ancien. Jamais.

     C’était une tradition pour lui de raconter de vieilles légendes aux jeunes du village, et c’en était une aussi de sortir à son froncement de sourcils caractéristique. Un jour son petit-fils, Jion, avait insisté et… Il avait dormi dehors. Heureusement pour lui, à cette période de l’année les nuits étaient douces, et il n’avait pas plu, mais les Ombres l’avaient terrifié.

    Selon les adultes, les Ombres ne sortaient que la nuit, lorsque quelqu’un restait à l’extérieur; des êtres sans forme, qui dévoraient la lumière, et s’approchaient lentement de leur proie, pour finalement lui drainer toute sa force vitale. L’Ancien connaissait des runes pour les éloigner, mais elles ne fonctionnaient que quelques nuits, et il les utilisait rarement. Encore plus rarement pour des cas comme celui de son petit fils…

      En pensant aux Ombres, Aln frissonna. Il avait maintenant 10 ans. Orphelin de père et de mère, il avait un matin été trouvé devant l’une des portes du village, emmitouflé dans un lange immaculé, blottit dans un petit panier d’osier. Près de lui se trouvait un vieux livre couvert d’écritures inconnues, et un papier portant son nom : Aln, c’est à dire ‘coeur’. Même l’ancien n’y avait rien compris, et Aln conservait précieusement le seul souvenir qu’il ait de ses origines. Évidemment, tous se demandaient comment il avait fait pour arriver devant la porte pendant la nuit, mais comme il n’y avait pas de réponse, personne n’y faisait référence. En fait, Aln avait tendance à penser que cette histoire d’Ombres n’était qu’une affabulation destinée à effrayer les enfants comme lui, et ce qu’avait vu Jion, le fruit de son imagination.

       D’une taille tout à fait commune d’1m30, Aln avait les cheveux bruns coupés court et un visage encore enfantin malgré la détermination peu commune que l’on pouvait parfois déceler dans ses étonnants yeux bleu ciel, en harmonie avec son teint pâle presque fantasmagorique. Il sourit discrètement, pensant à l’escapade qu’il ferait après être rentré.

     Malgré le fait que les adultes répétaient de ne jamais sortir la nuit, de se méfier des Ombres, la plupart des enfants essayaient au moins une fois, et étonnamment aucun ne réessayait. C’était une sorte d’initiation par laquelle tous devaient passer, au grand dam des adultes… Quant à Aln, ses parents adoptifs verrouillaient la maison, mais sa fenêtre, au premier étage, donnait sur la cour. Seulement, elle était trop haute pour en sauter, donc ses parents la négligeaient. Il avait déjà placé une grande botte de foin en dessous, puis, la nuit venue, il comptait sauter.

         Il exultait à l’idée de cette escapade.

        Se levant avec les autres enfants, il jeta un coup d’œil à l’Ancien, avant de se détourner et de sortir. Les couleurs du crépuscule remplaçaient déjà celles de la journée, et Aln se dépêcha de rentrer chez lui.

« C’est pour cette nuit » pensait-il.

       Quelques minutes plus tard, il arriva devant une vieille maison de pierre à l’orée du village. Recouverte d’un toit de chaume, il s’agissait de l’une des maisons que les premiers descendants des Gardiens, mieux lotis qu’aujourd’hui, avaient construite. Ses parents adoptifs en avaient héritée, comme il en hériterait probablement un jour lui aussi, puisqu’il était leur unique fils. Sa mère l’attendait sur le palier.

      C’était une femme d’une trentaine d’année environ, blonde aux yeux verts, marquée par la difficulté de sa vie, dont le visage fatigué ne pouvait dissimuler sa beauté s’amenuisant. Elle le regarda tendrement alors qu’il marchait, et ils entrèrent ensemble dans la maison. La salle à manger, occupant presque la moitié du rez-de-chaussée, était décorée simplement de quelques sculptures de son père, alors qu’au milieu trônait une table ronde rustique mais solide. Le dîner était prêt et le couvert préparé pour deux personnes.

« Papa reste à l’atelier ce soir ?

–      Et oui, il a reçu une commande à finir vite, donc il y restera pour quelques jours.

–      Oh je vois. »

        Aln se réjouissait intérieurement. Un problème de moins.

      Cachant son excitation, il se mit à table, et mangea silencieusement. Plongé dans ses pensées, il réfléchissait aux légendes de l’Ancien. Étonnamment vif pour son âge, Aln avait aussi une intuition qui frisait parfois la divination. Par exemple, en écoutant une histoire, il avait le sentiment qu’une part de ces histoires était vraie. Il adorait les secrets, surtout pour les dévoiler, et malgré son jeune âge, il était connu parmi les enfants pour ses intuitions qui leurs avaient plus d’une fois épargné une punition bien sentie…

        Il termina son repas en silence, et après avoir aidé sa mère à tout ranger, il alla dans sa chambre. Sa première réaction en entrant fut d’aller prendre le petit livret d’une vingtaine de pages qui l’accompagnait depuis sa naissance. Il comptait bien l’emmener pour cette escapade… Après avoir une fois de plus suivi du regard les courbes des caractères, il alla se coucher. En théorie.

***

       Quelques heures plus tard, Aln se glissa dans l’encadrement de sa fenêtre. Dehors, pas un chat, mais une belle pleine lune.

« On y voit bien, et pourtant rien à l’horizon. L’avantage, c’est que ce sera facile de voir les signes du livre… » marmonna-t-il dans sa barbe.

         Regardant les quelques mètres qui le séparaient du lit de paille en contrebas, il inspira puis se jeta dans le vide. Après une brève chute, il se réceptionna durement sur le sol, mais sans douleur. Il regarda vers le haut, triomphant, avant de se figer.

« Euh… Je remonte comment ? Euh… Bon, on verra plus tard… »

        Mettant de côté cette considération inutile, Aln décida de bouger. Il comptait encore essayer de déchiffrer les caractères de son livre, mais cette fois dans la petite clairière derrière la maison. Jetant un regard intrépide sur la courte distance qui l’en sépare, il avança d’un pas incertain, tout en se répétant d’une voix chevrotante :

« Dans tous les cas, les Ombres n’existent pas hein ? Je ne les ai jamais vues depuis ma fenêtre, et je suis sûr que ce n’est qu’un tour des adultes pour pas qu’on sorte la nuit. Donc pas de raison d’avoir peur hein ? Je n’ai pas peur, pas peur du tout… »

        Aln atteignit la clairière au bout de quelques minutes, après avoir courageusement parcouru les 20 mètres qui l’en séparaient. Derrière la maison s’étendait un petit bois, qui n’avait pas vraiment de nom, mais dans lequel Aln s’amusait souvent pendant la journée. Il en connaissait les moindres recoins, mais pour le moment, il allait se contenter de la petite clairière adossée à la maison… Il avait l’impression d’entrevoir des ombres se déplacer entre les ramures, et bien qu’il soit persuadé qu’il s’agisse d’un tour de son imagination, il ne comptait pas aller dans un endroit trop… terrifiant. Non non, il n’avait pas peur !

          S’adossant au grand arbre qui poussait juste à côté des murs de la maison, face au scintillement du firmament, Aln se laissa glisser au sol et s’assit en tailleur, puis, après quelques secondes qu’il passa à s’assurer qu’il n’y ait rien à signaler aux alentours, il ouvrit le vieux livret à la première page. Comme toujours, il ne voit que les habituels caractères indéchiffrables, mais… Son intuition l’avertit, il y a quelque chose de différent cette fois-ci. Les signes semblent se mouvoir lentement, très lentement. Aln se trouvait comme captivé par le ballet des écritures. Envoûté, il ne remarqua même pas l’obscurité étrange qui commençait à l’envelopper. Alors que les étoiles brillaient toujours autant, une sorte d’ombre semblait s’allonger depuis les bois, comme si elle bougeait au ralenti. Une brise légère se mit à souffler, et Aln ne semblait toujours pas sortir de sa transe. Le phénomène perdura pendant plusieurs minutes. Les ténèbres n’étaient plus qu’à quelques centimètres d’Aln, et même au travers de l’envoûtement, il sentait la température descendre. La danse des caractères continuait, et le premier mot commença à prendre forme. Il le fixa, impatient et surtout, incapable d’en détourner le regard.

              Les ténèbres touchent le bout de ses genoux. Aln sentit une peur panique l’emplir. Il se prépara à hurler de terreur, mais aucun son ne sortit. Alors qu’il se sentait perdu, il jeta un regard sur la page ouverte devant lui, et arriva à prononcer la seule phrase qu’il y comprenait.

« Hanaglis vi nors

asnigsis li golmag »

(Tu t’aventures dans la nuit,

tu revivras par la magie des ténèbres.)

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9 commentaires sur “Perdu dans la nuit Chapitre 1

  1. Félicitations pour ton premier chapitre publié! L’histoire a l’air sympa (c’est dur de juger sur seulement un chapitre mais c’est très bien parti ^^), l’écriture est vraiment bonne, je me suis laissé embarquer direct! Hâte de voir ce que tu as prévu pour la suite!

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  2. Encore mieux que le prologue!
    Et clairement, je n’ai pas besoin de voir plus de chapitres pour savoir que ça me plaît déjà 😉
    Mon dieu…je sens d’ici les crises de manque pointer le bout de leur nez au pas de ma porte 😦

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