Pérégrinations en Monde Inconnu 15 : Là où on s’aime et on se soigne

Auteur : SamiHuunter
Check : Mystix


Je vous l’avais promis, le voilà.

La première partie est assez expérimentale, dans le sens où j’ai cherché à mettre en valeur plutôt le ressenti des personnages au lieu de leurs actions en elles-mêmes, mais bon, c’est pas encore gagné XD

La seconde partie est plus brouillonne, et je m’en excuse sincèrement. J’aurais voulu garder le chapitre quelques jours de plus, histoire d’avoir un truc plus travaillé, mais vu que j’ai mes examens le 14 et 15, ça serait sorti après donc bon.

C’est assez brut, mais bon, je la reprendrai à la réécriture (un jour)…

J’ai aussi tronqué une partie à la fin, j’avais pas le temps de me mettre dans le bon état d’esprit pour retranscrire certaines émotions correctement, alors ç’aurait été plus grotesque qu’autre chose, du coup, ça s’arrêtera là x)

Sur ce, bonne lecture, n’hésitez pas à me donner des critiques, ça m’aide à m’améliorer (sérieusement though, c’est vraiment utile d’avoir des feed-back x))


Anthon transpirait à grosses gouttes.

Tous ses muscles étaient courbaturés. Chacun de ses mouvements provoquaient des douleurs qui le faisaient grimacer tandis que ses articulations craquaient de manière inquiétante.

Malgré les dernières parcelles d’énergie qui l’avaient quitté plusieurs heures auparavant, il mettait un pied devant l’autre, encore et encore.

Il fit un pas.

Puis un autre.

Malgré la souffrance qui faisait vibrer chaque fibre de son être comme autant d’implorations, le suppliant de s’arrêter et de se reposer, il serrait les dents et continuait d’avancer, les yeux rivés sur le sol devant lui.

Il fit un pas.

Puis un autre.

Malgré la faim qui lui tiraillait le ventre et le faisait gronder avec force, il contractait sa mâchoire et gardait le rythme de sa marche.

Il fit un pas.

Puis un autre.

Malgré sa gorge si sèche que le simple fait de respirer devenait une torture, il avalait le peu de salive que son corps produisait et le contraignait à avancer.

Il fit un pas.

Puis un autre.

Malgré sa fatigue qui alourdissait ses paupières et lui donnait envie de s’allonger pour piquer un somme, il pensait au visage de la fille qu’il aimait et la simple image mentale de la jeune blonde lui suffisait pour combattre l’épuisement.

Il fit un pas

Puis il trébucha sur une racine pernicieusement cachée par une touffe d’herbe.

Il parvint à conserver son équilibre mais le rythme qu’il avait adopté fut interrompu.

Le géant décida de s’arrêter pour souffler un moment.

Sa respiration était pantelante. Déchirée à de nombreux endroits, sa chemise en lambeaux était rendue transparente à cause de la sueur de l’adolescent qui la trempait complètement. Elle était tellement sale qu’il semblait impossible qu’elle eût un jour été blanche.

Le garçon qu’il portait sur son dos gémit de manière plus audible qu’à l’accoutumé et le morceau de bois qu’il tenait entre les dents tomba au sol.

En grognant, Anthon mit un genou au sol et ramassa le bout de bois avant de se contorsionner pour le remettre dans la bouche de son propriétaire.

Que l’objet soit recouvert de salive ne le dérangeait même pas. Durant ces deux derniers jours, il avait subi bien pire. Tant qu’il parvenait à ramener son camarade sauf au campement, il se fichait complètement de se faire recouvrir d’urine ou de vomi.

Tom, toujours inconscient, serra mécaniquement la mâchoire et ses gémissements se firent plus étouffés.

Anthon essaya de se relever, mais pour la première fois de sa vie, son corps refusa de bouger.

Agenouillé avec un blessé sur le dos, un rictus de douleur étirant ses lèvres, il était incapable de bouger. S’abandonnant à l’épuisement, il relâcha ses muscles et attendit.

Ses camarades ne devaient pas être très loin derrière, alors c’était l’occasion de recouvrer quelques forces.

Parce qu’il sentait le sommeil envahir son corps et brouiller ses pensées, il se mordit l’intérieur des joues.

Accompagnant le goût métallique qui lui emplit la bouche, la douleur vive lui permit de repousser la vague de fatigue qui s’était abattue sur lui, mais il savait qu’elle n’allait pas tarder à revenir le tenter.

Des bruissements derrière lui firent lever la tête.

Jack apparut, le gobelin balafré à ses côtés, rapidement suivi de Margaux et d’Éva. Elias, guidé par les trois derniers membres de l’escorte gobeline, fut le dernier à arriver. Sa lenteur s’expliquait par la présence de l’aventurière, encore endormie, qu’il portait sur son dos.

Pour la première fois en deux jours, Anthon observa vraiment le visage de ses compagnons de route.

De nombreuses écorchures recouvraient leurs corps, sans parler des déchirures dans leurs uniformes désormais usés. La lueur déterminée dans leurs yeux contrastait grandement avec leurs traits tirés, les poches sous leurs yeux et leur mauvais état général.

Le cœur d’Anthon se serra en se rendant compte que c’était de sa faute s’ils allaient au plus mal.

Jack posa sa main sur l’épaule du colosse et lui demanda avec une voix fatiguée :

– T’es ok, Anthon ?

Le serrement de son cœur s’intensifia.

Il ne méritait pas qu’on s’inquiète pour lui. Les seules personnes qui nécessitaient l’attention étaient Tom, qui souffrait mille maux, et ce groupe qui mettait la santé de leur camarade avant la leur.

Anthon planta ses yeux marron dans ceux de l’américain et hocha faiblement la tête. Même si sa gorge lui avait permis de s’exprimer sans qu’il ait l’impression d’avaler un tas d’aiguilles, parler était devenu trop éprouvant.

Rassemblant le peu de forces qu’il avait pu récupérer durant sa courte pause, il se releva en grognant sous le douloureux effort.

Il ne pouvait pas se permettre de s’effondrer maintenant, pas quand les autres mettaient autant d’efforts à essayer de suivre le rythme dément de leur chef.

Durant ces deux derniers jours, ils ne s’étaient arrêtés que deux fois pour dormir. Parce que leurs vivres se faisaient de plus en plus maigres, Anthon leur avait laissé sa part.

Quand ses camarades s’écroulaient de fatigue durant la seule pause de la journée et s’endormaient à même le sol, le géant prenaient les tours de garde pour les laisser se reposer.

Jack s’était proposé pour aider son compagnon, mais ce dernier avait refusé. Il pouvait endurer la fatigue psychologique et physique pendant plus longtemps que ses camarades, alors il préférait qu’ils profitent le plus de ce court moment de repos pour reconstituer les forces qui allaient être nécessaires pour affronter une autre journée de marche intensive.

Pourtant, même si leurs muscles les torturaient à chaque mouvement et que leurs ventres étaient tourmentés par la faim, protestant avec véhémence contre leur régime frugal, pas une seule fois ils ne s’étaient plaints.

Ils avaient gardé leurs bouches fermées et avaient continué leur marche.

Même leur escorte se retenait de se plaindre.

L’un des girothani avait émis ce qui ressemblait fortement à une complainte, mais le chef balafré s’était retourné et l’avait foudroyé du regard avant de dire quelque chose qui avait découragé ses congénères de proférer de nouvelles réclamations.

Se remettant en route, Anthon remarqua que les soleils n’allaient pas tarder à se coucher.

L’envie de s’arrêter et de dormir se faisait de plus en plus forte à mesure que les ténèbres obscurcissaient les alentours, mais quelque chose au fond du garçon le poussait à continuer.

Il ignorait d’où venait cette petite voix qui lui soufflait des mots de soutien, et même s’il ne réussissait pas à l’expliquer, l’ordre insistant de continuer leur périple qu’elle enjoignait dans son murmure semblait tellement justifié qu’il n’imaginait pas lui désobéir.

– On continue encore un peu puis on fait une pause.

Prononcer cette phrase pourtant simple lui donna l’impression que les syllabes qu’il émettait étaient telles des lames, écorchant sa gorge et lui arrachant quelques larmes. Cependant il avait l’obligation en tant que chef de groupe de les encourager à continuer leur marche. Il s’obligea à penser à autre chose pour ignorer la douleur.

Ils continuèrent d’avancer pendant plusieurs minutes, puis Margaux se mit à parler, rompant le lourd silence qui pesait sur le groupe.

– Hé ? Vous entendez ça ?

Tous s’immobilisèrent et tendirent l’oreille. Jack fut le premier à reconnaître le murmure qu’ils percevaient. Dans son excitation, il se mit à crier dans sa langue natale :

– The waterfall ! We’re close to the camp ! Finally !

Personne ne se borna à traduire ce qu’il venait de s’écrier car ils avaient eux-aussi compris ce que ce bruit signifiait.

Même si l’instant précédent, ils se sentaient prêts à s’effondrer de fatigue, maintenant qu’ils savaient que le campement n’était plus très loin, une énergie nouvelle s’était emparée d’eux et les poussait à ignorer la douleur pour parcourir la distance qui les séparait de la maison.

Quand la bordure de la forêt fut en vue, les adolescents se mirent à courir, le cœur battant.

Ils déboulèrent dans la grande clairière que leurs camarades avaient artificiellement agrandie.

Le camp était différent. Ils étaient partis quand la première muraille avait été érigée, mais maintenant, on aurait dit une véritable place forte avec toutes les fortifications qui avaient été ajoutées.

L’inquiétude quant à l’état de Tom avait beau leur nouer le ventre, ils ne pouvaient empêcher un sourire de fendre leurs visages.

Margaux et Éva se précipitèrent vers l’entrée du campement, Elias et son chargement inconscient ainsi que les trois girothanis sur leurs talons.

Anthon, lui, n’en pouvait plus.

Il se tenait immobile, fixant les hautes palissades de bois. S’il faisait ne serait-ce qu’un mouvement, il risquait de s’effondrer sans pouvoir se relever.

Jack s’approcha de lui, comprenant bien sa situation en lisant la détresse sur son visage.

Sans un mot, il prit Tom dans ses bras avec des gestes précautionneux et se mit à trotter en direction de l’entrée.

Anthon regarda le dos de son compagnon s’éloigner, et une fois hors de vue, ses jambes se dérobèrent sous lui et il tomba par terre.

Adossé à un arbre, la fatigue l’urgeait à fermer les yeux et à se jeter sans retenue dans les bras de Morphée, mais une petite voix au fond de lui le poussait à rester éveiller encore quelques minutes.

C’était la même voix qui lui avait conseillé de continuer à marcher et grâce à elle, ils étaient parvenus au campement plus tôt que prévu.

Le géant décida donc de l’écouter. Il ferma les yeux et prêta attention aux bruits de la forêt qui résonnaient derrière lui. Même si leur mélodie le berçait, il était capable de repousser la fatigue qui venait l’assaillir par vague.

Des bruits des pas interrompirent l’harmonieuse symphonie, mêlant les dernières mélodies des animaux diurnes avec les premiers chants des bestioles nocturnes. Il sentit une présence non loin de lui, et quelques instants plus tard, l’individu qu’il avait pressenti s’assit à côté de lui.

Ses paupières étant particulièrement lourdes, il dût faire un effort surhumain pour les ouvrir.

La première chose qu’il vit fut les deux magnifique perles bleutées qui le détaillaient et où se reflétait un mélange d’inquiétude et de soulagement. Il n’eut pas besoin d’observer autre chose pour savoir de qui il s’agissait.

Son cœur rata un battement.

Deux longues tresses blondes qui encadraient un visage triangulaire, des lèvres fines dont le rouge éclatant contrastait grandement avec son teint habituellement laiteux, maintenant légèrement tanné par les soleils.

Pendant un instant, il crut qu’elle n’était pas réelle.

Il essaya de lever sa main vers elle pour s’assurer qu’elle n’était pas une hallucination de son cerveau en manque de sommeil, mais soulever son bras était au-delà de ses forces.

La jeune fille s’en rendit compte et l’attrapa avant de l’amener à son visage. Elle était si grande qu’il aurait pu envelopper sa tête presque entièrement avec. La jeune femme pressa sa joue contre sa main et en voyant l’expression qu’elle afficha, Anthon crut qu’il venait de tomber à nouveau sous le charme de la même personne. Le contact avec la peau douce et souple de sa bien-aimée le persuada qu’elle n’était pas une illusion.

– Romane…

La douleur qui accompagnait ses paroles n’était rien face à la sensation que la seule présence de cette personne provoquait chez lui. Elle était pareille à un inhibiteur, que ce soit de peur ou de douleur, il se sentait prêt à affronter vents et marées s’il la savait à ses côtés.

En entendant son nom, un sourire fendit le visage de l’adolescente et, aux yeux du garçon épuisé, elle sembla rayonner. Ses yeux se mirent à briller et une unique larme roula sur sa joue alors qu’elle hochait lentement la tête.

– Oui, c’est bien moi…

Anthon cueillit la larme de son pouce, et comme si ce geste à la fois significatif et intime avait abattu une barrière invisible à l’intérieur de lui, un flot intense d’émotion parcourut son corps et sa langue se mit à prononcer des mots sans qu’il puisse la contrôler.

– Je t’aime… Je t’aime tellement…

À cause de la sécheresse de sa gorge, ce qui en sortit fut des grognements à la limite de l’audible, pourtant, Romane les comprit sans problème.

Elle écarquilla les yeux avant de rougir violemment.

Malgré son embarras évident, elle ne baissa pas la tête ou ne détourna pas les yeux, au contraire. Dans ses iris bleues, on pouvait lire une certaine détermination et c’est certainement cela qui la poussa à approcher son visage de celui du garçon qui venait de déclarer son amour.

Ses lèvres se posèrent délicatement sur celles d’Anthon, comme un papillon qui se dépose sur une fleur.

Quand il comprit ce qui venait de se passer, l’adolescent sentit une force inconnue parcourir son corps. Son cœur battait tellement fort dans sa poitrine que ça lui faisait mal.

Retrouvant leur vigueur, ses mains étreignirent avec force le corps de Romane, l’empêchant de s’éloigner en la pressant sur son torse puissant, et il lui rendit son baiser, plaquant sa bouche contre celle de la jeune fille.

Parce que ce fut inattendu, l’adolescente sursauta quand elle sentit les bras épais du garçon se refermer sur elle, mais rapidement, elle se laissa aller et passa à son tour ses mains autour du cou d’Anthon.

En sentant la jeune fille accepter son étreinte et la lui rendre, la passion qui animait Anthon se fit plus violente encore. Il avait cru que savoir ses sentiments partagés était le paroxysme du bonheur, et pourtant, son cœur ne s’arrêtait pas de gonfler.

Ses lèvres se délectaient avec avidité de celles de Romane. Sa langue se glissa dans la bouche de la fille et se mêla à la sienne. Les mains du garçon descendirent le long du dos de sa bien-aimée et explorèrent sa silhouette.

Romane n’était pas petite, au contraire, parmi les filles de la classe, elle faisait partie des plus grandes. Pourtant, dans les bras du géant, elle semblait si mince et frêle. Malgré cela, un étrange sentiment de force et de fiabilité se dégageait de son étreinte et lui donnait l’impression qu’elle pouvait laisser libre cours à sa passion sans craindre quoi que ce soit.

Les baisers d’Anthon se firent plus passionnés. Romane essaya de dire quelque chose, mais les bras épais du garçon ne bougèrent pas d’un pouce, au contraire, il affermit sa prise sur la jeune femme et scella ses lèvres avec les siennes, coupant court à ses tentatives d’expression.

– Anthon, ahh… Stop… Attends une seconde… Ahh…

Même si elle était parvenue à murmurer faiblement, tout ce qu’Anthon sentit fut le souffle chaud et irrégulier de Romane lui chatouiller le visage et cela stimula encore plus son excitation.

Se désintéressant de la bouche sur laquelle elles s’étaient concentrées, ses lèvres se mirent à explorer son menton, sa mâchoire, ses oreilles, son cou, couvrant de baiser chaque centimètres carré de sa peau.

Envoûté par le parfum de la jeune femme et son goût sur ses lèvres, l’adolescent avait perdu toute retenue, c’était la seule manière qu’il avait de canaliser le surplus de bonheur et d’amour qui débordait de son cœur plein.

Accompagné par les supplications de Romane entrecoupées par ses gémissements de plaisir, Anthon se concentra un moment sur la nuque de l’adolescente avant de descendre lentement vers sa poitrine.

En voyant ses baisers laisser des traces rouges sur la peau fine du cou de la jeune fille, il sentit ses instincts primaires se faire stimuler.

Il avait envie de laisser sur cet être qu’il aimait plus que tous des marques qui prouvaient qu’elle était sienne et qu’il était sien.

Il avait envie de perdre contact avec la réalité et ne former qu’une entité aux sensations partagées.

Il avait envie de découvrir chaque secret que ce corps magnifique pouvait dissimuler.

Il avait envie d’elle

Une de ses mains avait déjà commencé à déboutonner son chemisier tandis que l’autre, glissée sous le tissu, appréciait la sensation de la peau douce de la fille.

Après un baiser plus intense que les autres, Anthon laissa une trace plus rouge encore que les précédentes qui promettait de rester bien visible sur son cou pendant plusieurs jours. Il détacha enfin ses lèvres de Romane et la dévisagea, les yeux brûlants de passion avec tellement d’intensité qu’elle menaçait de le dévorer.

Cette lueur inquiéta Romane autant qu’elle l’excita.

Elle se sentait désirée par l’homme qu’elle aimait et rien ne pouvait la rendre plus heureuse, cependant, la petite partie de son esprit encore lucide hurlait à plein poumon des avertissements qu’elle ne pouvait ignorer.

Avec le peu de volonté propre qui lui restait, Romane gifla Anthon.

La claque ne fit pas mal au géant, mais ce fut si surprenant qu’il revint immédiatement à lui.

Il releva la tête et se retrouva à quelques centimètres seulement du visage de Romane.

Les joues rouges, elle haletait et ses yeux brûlaient ardemment d’une passion longtemps contenue qu’il venait brusquement de libérer sans même s’en apercevoir.

Anthon, rendu un peu béat par son accès d’amour incontrôlé, ne savait pas si son expression était véritablement celle d’une jeune fille intoxiquée par le plaisir ou si c’était lui qui imaginait des choses, mais il se rendit compte que quelque chose s’était réveillé dans son pantalon. Le fait que Romane soit assise à califourchon sur lui ne facilitait en rien sa situation.

L’adolescente reprit sa respiration :

– Ça suffit comme ça ! Laisse-moi au moins respirer !

Anthon baissa les yeux d’un air désolé.

Il ne voulait pour rien au monde importuner celle qu’il aimait et dans sa tête, ses actions irréfléchies risquaient de le faire détester.

Semblant comprendre ce qui traversait son esprit, Romane lui attrapa le menton et lui releva la tête avant de l’embrasser fougueusement. Elle interrompit son baiser et afficha un sourire malicieux, puis elle ajouta en rougissant :

– On aura tout le temps de continuer ça plus tard, il faut qu’on rentre au campement pour l’instant.

Il comprit alors que, tout comme lui, elle aurait aimé continuer à se laisser engloutir par leur désir réciproque, à la seule différence qu’elle avait réussi à garder un semblant de self-control.

Elle essaya de se relever, mais Anthon l’en empêcha.

Ses fesses entrèrent en contact avec le renflement dans son pantalon et quand il posa sa tête sur sa poitrine, elle crut qu’il n’avait rien écouté, mais avant qu’elle ne puisse protester, il murmura de sa voix rauque :

– Reste comme ça un moment…

Voyant qu’il n’avait pas l’intention de reprendre ses assauts, elle décida de le laisser ainsi, le visage en feu à cause de la chose rigide qu’elle sentait, pressée contre son entrejambe.

Le souffle chaud d’Anthon caressait sa poitrine qu’il avait mise à nue dans la confusion de leur étreinte et cela animait en elle quelque chose de nouveau et de particulièrement agréable.

Pourtant, dans cette position, elle avait l’impression qu’une véritable connexion s’était créée entre eux. Elle comprenait les sentiments que le géant ressentait et son cœur se serra en y distinguant une inquiétude et une peur muette.

De ses bras, elle enveloppa sa tête et posa sa joue sur ses cheveux bruns, essayant de transmettre l’amour qu’elle éprouvait pour lui.

Ce fut à son tour de sentir sa langue se délier tandis que le flot d’émotions incontrôlables qui envahissait son corps s’échappait par sa bouche sous la simple forme de quelques mots :

– Je t’aime, Anthon…

Elle l’avait enfin dit.

Ses actions avaient été assez explicites, mais l’entendre était quelque chose de complètement différent. En réponse, l’adolescent serra la jeune femme un peu plus fort dans ses bras.

C’est ainsi que, bercé par les battements réguliers du cœur de Romane, Anthon sentit la digue retenant les vagues de fatigue céder et c’est enveloppé par le parfum de sa bien-aimée et une sensation de sécurité qu’il s’endormit, le cœur débordant de bonheur.


Après avoir reçu sa blessure, Tom avait érigé une barrière mentale qui le maintenait inconscient. C’était le seul moyen qu’il avait pour éviter l’océan de souffrance dans lequel il baignait quand il était lucide.

Cependant, il savait que rester dans son coma artificiel trop longtemps était un risque pour lui et pour les autres, c’est pourquoi avant de déconnecter sa conscience, il avait fait un rapide calcul afin d’estimer le temps que ses compagnons allaient prendre pour rentrer au campement. Le résultat était assez vague et imprécis, mais dans sa situation, il ne pouvait pas faire mieux.

Quand parfois la douleur était trop importante et qu’il se réveillait, porté par Anthon, il essayait de corriger son pronostic, mais il ne restait jamais éveillé assez longtemps pour pouvoir rassembler assez d’informations pour préciser ses calculs.

Le décompte continua donc de s’égrener et éventuellement, il finit par atteindre zéro.

À ce moment, comme une horloge bien réglé, le garçon revint à lui et ouvrit les yeux en essayant d’ignorer la douleur lancinante qui pulsait dans ses bras, étendant ses tentacules nocifs jusqu’à son cerveau et lui donnant l’impression qu’il n’allait pas tarder à être broyé.

Une voix accompagna son douloureux retour à la conscience.

– Arrêtez ! Stop ! Il se réveille !

La première chose qu’il vit fut le plafond en bois. À partir de ça, il comprit qu’il se trouvait dans l’une des trois maisons prototypes car l’assemblage différait significativement de celui des autres bâtiments.

Puis, ses yeux jetèrent un regard circulaire sur la pièce et il vit ses camarades autour de lui.

Amélie était dans un coin de la pièce, tenant dans ses bras Charlotte. Cette dernière venait de se retourner et son visage ruisselait de larmes. La chemise de son élève était trempée à cause de ses pleurs, mais la soigneuse semblait préoccupée par d’autres choses plus graves.

Joseph était assis sur un tabouret et donnait l’impression qu’il avait la nausée.

Autour du lit rustique sur lequel il reposait, Margaux, Jack et Elias étaient penchés sur lui et le maintenaient allongé. Nathan se tenait à sa droite. Il avait levé les bras bien haut et s’apprêtait à abattre son arme sur son bras blessé.

Il affichait une expression sombre, mais quand il remarqua que son meilleur ami avait émergé de son inconscience, il baissa les bras en dématérialisant son arme. Les autres se relevèrent et affichèrent des expressions désolées.

Un sourire forcé sur le visage, Nathan fit comme s’il n’avait pas été sur le point de lui trancher le bras et demanda d’un ton faussement enjoué :

– Salut mon gars ! Bien dormi ? On s’est inquiétés tu sais…

Je peux facilement croire ça… S’il se résout à essayer de me couper le bras parce qu’il pense que c’est le seul moyen de me soigner, alors ça en dit long sur le niveau d’inquiétude qu’il doit ressentir. Par contre c’est pas la peine de paraître positif, il devrait le savoir pourtant.

Il ouvrit la bouche pour lui répondre, mais le simple fait de prendre une inspiration lui donna l’impression d’avoir avalé des braises ardentes. Portant sa main valide à sa gorge, il se la massa délicatement.

J’ai la gorge desséchée, pourtant je suis certain d’avoir été assez hydraté, Anthon s’en était assuré. J’ignore depuis combien de temps je n’ai pas bu d’eau, mais je ne ressens même pas la soif. Je suppose que je dois avoir de la fièvre, mais ça serait difficile de déterminer la vitesse à laquelle une gorge se dessèche dans ma condition. Ça doit au moins faire une ou deux heures…

Pour assurer à son ami qu’il était en pleine possession de ses capacités cognitives, il leva le pouce de sa main gauche. Nathan soupira de soulagement avant de lui poser une autre question :

– On peut faire quelque chose pour toi ?

Ses yeux se posèrent un instant sur le bras blessé de son ami avant de remonter sur son visage. Il hésita un instant à dire quelque chose, mais il n’ajouta rien.

Tom comprit qu’il faisait allusion à sa blessure, cependant, la seule chose qu’il désirait pour le moment était boire de l’eau.

D’un signe de main simple, il fit comprendre ce qu’il voulait.

Avec un hochement de tête, Nathan récupéra un gobelet de bois qui était posé au sol, à côté d’un lit qui semblait occupé.

Il revint s’asseoir à côté de Tom et souleva doucement sa tête avant de porter le gobelet à ses lèvres.

La liquide qu’il avala apaisa quelque peu l’inflammation de sa gorge mais révéla par la même occasion la soif insatiable que Tom n’avait même pas remarqué jusqu’à maintenant.

Petite gorgée après petite gorgée, il finit par boire l’entièreté du gobelet.

Un gémissement s’éleva de la forme indistincte qui occupait le lit à côté de lui.

Tournant la tête dans cette direction, Tom plissa les yeux en essayant de reconnaître l’identité de la silhouette étendue. Nathan répondit à la question qu’il se posait intérieurement.

– C’est Sarah… On sait pas vraiment ce qui ne va pas avec elle, à part le fait qu’elle a été piquée par un insecte bizarre. Son mollet est tout enflé et sans les sorts de soin qu’Amélie lance régulièrement, sa jambe aurait déjà commencé à pourrir.

Jack s’approcha de la blessée et souleva délicatement la fine couverture qui la recouvrait.

Aussitôt, une forte odeur se répandit dans l’infirmerie et assaillit les narines de toutes les personnes présentes.

Couvrant son visage de sa main, Jack rabattit la couverture et s’éloigna rapidement du lit.

Il connaissait cette odeur. C’était certainement la raison pour laquelle il avait une expression aussi sombre.

Mais il n’était pas le seul à l’avoir reconnu.

Buluglu apparut dans le champ de vision de Tom et lui demanda dans sa langue :

– Tu as un couteau ?

Tout le monde se tut et dévisagea le girothani qui venait de parler. Ce dernier s’en fichait. Il fixait de son œil valide l’adolescent blessé, l’air d’attendre une réponse.

Hochant la tête, Tom pointa du doigt sa poche. Ce simple mouvement lui arracha une grimace de douleur.

Le girothani inclina légèrement la tête et fouilla la poche du garçon. Il récupéra le poignard que Tom avait trouvé dans les affaires de l’aventurière. Il fit le tour du lit et s’approcha de Sarah, mettant à nu la lame aiguisée.

Nathan ne lui permit pas de s’avancer plus que ça. Il fit apparaître son épée et la posa sur l’épaule musclée de l’être, le tranchant à quelques millimètres de sa gorge, prêt à entamer sa peau verte épaisse.

Avec une voix vibrante de colère, il cracha ces mots :

– Qu’est-ce que tu crois faire ? Tu penses pas en avoir assez fait ? C’est de ta faute ! Tom est dans cet état à cause de toi !

La réaction de Buluglu fut complétement différente de ce que Tom avait imaginé.

Au lieu de répondre à la menace en adoptant l’attitude menaçante qu’il avait exhibée depuis que le groupe d’exploration l’avait rencontré, il planta ses yeux dans ceux de Nathan et parla lentement, sur un ton calme.

Personne à part Tom ne comprit ce qu’il venait de dire, mais son attitude était apaisante.

Voyant que ses paroles n’avaient aucun effet, il tourna la tête vers la seule personne à même d’expliquer la situation.

– Tu peux lui dire que je veux aider votre amie ?

Malheureusement pour Buluglu, Tom était encore incapable de s’exprimer et Nathan ne semblait pas prêt de se calmer.

Il a aussi agi de manière agressive quand on a rencontré Bulgulglu, c’est comme s’il voyait les girothanis comme les responsables de notre présence ici. En tout cas, il a l’air de les détester sans aucune véritable bonne raison, ça risque d’être un problème…

Jack jeta un regard interrogateur à Tom, l’air de demander s’il fallait ou non intervenir, et ce dernier répondit positivement.

L’américain s’interposa alors entre les deux et repoussa lentement la lame de Nathan.

– Nathan, you really think that Tom would let him follow us if he believed that he could become a threat for our group ? C’mon now, put the sword down.

Grâce aux cours particuliers de Tom lui avait prodigués quand ils étaient plus jeunes, Nathan comprenait bien l’anglais, même s’il avait du mal à le parler. Il avait parfaitement compris ce que son camarade avait dit, mais pourtant, l’éclat de haine qui brûlait dans ses yeux ne s’éteignit pas.

Les mâchoires serrées, Nathan resta à fusiller Buluglu des yeux. Tom crut même qu’il allait faire quelque chose de regrettable, mais après un dernier regard chargé d’animosité, il finit par abaisser son arme et reculer de quelque pas.

Cependant, son épée ne disparut pas. La main serrée sur la poignée, Nathan observait avec attention les faits et gestes du girothani, prêt à l’abattre sur lui s’il faisait le moindre geste suspect.

Tom vit Buluglu soulever la couverture et examiner la plaie de Sarah.

Le mollet de la jeune femme était enflé. La peau rouge était recouverte de nombreux furoncles à l’aspect particulièrement répugnant.

Il posa son doigt sur une zone enflée du mollet de la jeune femme et quand il appuya, du pus s’échappa des abcès alentours. Contrairement aux boutons normaux, la substance qui en sortait était accompagnée par cette odeur de putréfaction reconnaissable entre mille.

Le girothani se retourna et regarda Tom.

– C’est une blessure grave. Il faut la traiter vite sinon ta camarade risque de mourir.

Une blessure grave ? Certainement, si Amélie n’est pas capable de la soigner avec sa magie, c’est que ça doit être assez important. Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est le comportement de Buluglu. Il ne semble pas simplement vouloir nous aider en échange de son sauvetage, on dirait qu’il ne déteste plus les humains. Est-ce que c’est parce que je l’ai sauvé ? C’était la seule chose à faire pourtant. Dans tous les cas, je ne peux pas le laisser faire quoi que ce soit sans avertir les autres. Il a l’air de savoir quelque chose à propos de ce type de blessure, il faut juste que quelqu’un leur explique pour moi.

Après son petit monologue interne, il se mit à penser très fort à Zoé. Si elle était quelque part dans le campement, il savait qu’elle pouvait entendre ses pensées. C’était la seule personne capable de résoudre les malentendus qu’il risquait d’y avoir s’il ne parvenait pas à s’exprimer.

Étrangement, elle n’était pas dans la pièce à son réveil. Parce qu’elle avait été particulièrement collante les jours avant son départ, il avait pensé qu’elle allait faire de même maintenant qu’il était de retour, mais apparemment non.

Même pas trente secondes après, la porte s’ouvrit et la télépathe entra dans la pièce sous le regard de ses camarades.

Tom ne lui laissa même pas le temps de dire bonjour, il se mit à penser avec force à ce qu’il voulait qu’elle répète et l’adolescente s’exécuta. Elle n’avait même pas besoin d’invoquer son livre quand il s’agissait des pensées de Tom et cela simplifiait bien des choses.

– Hum… Tom me dit qu’il faut faire confiance à Buluglu. Il sait comment traiter la blessure de Sarah.

Elle avait parlé en regardant tout le monde tour à tour, mais cette indication était surtout à l’attention de Nathan.

Quand elle se tut, Buluglu ramassa le gobelet de bois que Tom avait vidé et jeta un coup d’œil à celui qui l’avait menacé, s’assurant qu’il n’allait pas l’attaquer soudainement.

Buluglu utilisa le poignard pour couper un bubon sur sa largeur. Sarah ne réagit pas, sans doute sa jambe devait être engourdie.

L’entaille était peu profonde, mais la quantité de liquide nauséabond qui s’échappa de la plaie qu’il venait de trancher n’était pas négligeable.

Le gobelet en main, Buluglu faisait de son mieux pour ne pas laisser le liquide couler autre part que dans le récipient, mais ce n’était pas chose aisée.

Maintenant que la plaie ne laissait plus échapper de pus, Buluglu posa deux doigts de chaque côté de la plaie et les pressa, comme s’il cherchait à en extraire quelque chose. Une nouvelle giclée sortie de la plaie, cette fois-ci, sa colère rougeâtre donnait l’impression qu’elle saignait abondamment.

Puis, alors que Tom se demandait si le liquide n’allait jamais finir de suinter, une petite chose blanche jaillit hors de la plaie.

De la taille d’une fève, la partie de son corps qui dépassait de la chair boursouflée de l’adolescente gigotait avec force.

Un hoquet de dégoût secoua les spectateurs qui observaient le girothani agir de manière imperturbable. Ce dernier finit d’extraire la petite chose et le fit tomber dans le gobelet de bois avant d’en approcher son arme et lui donner un coup, le tranchant en deux.

Il répéta l’action sur la vingtaine de boutons qui protubéraient non loin les uns des autres, sans doute était-ce l’endroit où Sarah avait été piquée, et il se mit à chercher les autres furoncles sur le haut de sa cuisse ou sur le pied.

Il dut vider le gobelet de nombreuses fois au cours du processus, mais au total, il extraya une trentaine de petites créatures vivantes du corps de la jeune femme.

Des nombreuses questions et théories sur ces vers se bousculaient dans la tête de Tom, mais les vagues de douleurs dont l’intensité n’avaient décru depuis qu’il avait reçu sa blessure l’empêchait de réfléchir correctement.

Buluglu déposa le gobelet contenant encore quelques nombreuses larves découpées là où il l’avait pris puis repartit s’asseoir dans son coin pendant qu’Amélie se mettait à incanter un sort de soin.

Personne n’osa parler, tous secoués par la vision des petites choses remuantes qui avaient quitté le corps de leur camarade.

C’est à ce moment que Tom se décida enfin à expliquer ce qui s’était passé pour que sa blessure lui fasse aussi mal.

Zoé releva la tête et dévisagea l’adolescent allongé quand elle entendit sa voix résonner dans sa tête. Elle ne posa même pas de question, se contenta de répéter à voix haute ce qu’il était incapable de prononcer.

– Tom dit que lui couper le bras aurait été très débile. Le produit qu’il a reçu était un genre d’acide très corrosif mais à l’effet étrange. Ça brûle l’épiderme et le fait fondre jusqu’à l’hypoderme et permet à une petite quantité de substance toxique de se mélanger avec la peau. Selon lui, c’est une arme pour empêcher la proie de se mouvoir à cause de la douleur mais sans abîmer les muscles et les viscères. Il n’est pas sûr que la substance se mêle aux cellules d’un point de vue moléculaire ou si c’est des petites poches au milieu de la peau, ça semblerait plus logique la…

Nathan l’interrompit.

– On s’en fiche de comment ça fonctionne, on veut juste savoir comment on s’en débarrasse. Il a dit que lui couper le bras était débile, ça veut dire qu’il y a un moyen de le soigner ?

Zoé hocha la tête.

– Oui, il dit qu’il y a un moyen très simple pour s’en occuper…

Elle se tut, pour écouter les explications de Tom. À mesure qu’il déversait ses pensées dans sa tête, le sang se retirait du visage de la télépathe. Elle dévisagea celui qui lui parlait mentalement pour s’assurer qu’il ne racontait pas n’importe quoi, mais voyant qu’il savait parfaitement ce qu’il pensait, sa stupeur se transforma lentement en épouvante.

Tout le monde observait sa réaction et une certaine angoisse leur noua le ventre. Le fait de ne pas savoir la teneur de leurs échanges les faisait imaginer des choses terrifiantes.

Nathan ne supporta pas cet horrible sentiment qui s’insinuait en lui et les images vivides qui apparaissaient dans son esprit. Il fit un pas en avant et se fit porte-parole de ce que tout le monde se demandait :

– Alors ?! Qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse ?

L’adolescente devenue le centre d’intérêt de l’infirmerie avala péniblement sa salive avant de détourner les yeux de la personne qui l’avait terrifiée par ses propos.

Sa voix blanche résonna dans le silence de la pièce et ses propos s’inscrivirent dans l’esprit de tous.

– Il dit que… qu’il faut lui… lui… lui découper la peau…

En entendant cela, Charlotte poussa un cri étranglé et se précipita hors de l’infirmerie.

Dans le silence pesant qui s’était installé, c’est Margaux qui s’exprima en premier, posant sa question avec un ton privé de sa vitalité habituelle :

– Découper la peau ? Comment ça ? Il veut quand même pas qu’on le dépèce quand même ?!
– C’est exactement ça. Il ne sait pas jusqu’où s’étend l’infection, alors ce serait plus prudent selon lui d’enlever toute la peau jusqu’au derme profond. Amélie est capable de la faire repousser, même si ça prend du temps, alors ça devrait théoriquement être bon…

Même si Zoé disait cela avec conviction, son expression donnait l’impression qu’elle s’apprêtait à prendre ses jambes à son cou à la suite de leur professeur.

L’adolescente tourna la tête vers Buluglu et pointa du doigt la dague qu’il avait nettoyée et rengainée après le traitement de Sarah. Elle imita le mouvement simple qui constituait un des rituels du girothani et ce dernier comprit qu’elle lui demander d’aiguiser la dague.

En observant la créature qui ressemblait à un gobelin sortir ses pierres de son sac et se mettre à polir la lame, tous se rendirent compte de ce qui allait se passer. Elias voulait imiter Charlotte et partir le plus loin possible de là, mais parce que Margaux ne semblait pas vouloir bouger, il se résolut à rester.

– C’est juste une grosse blague, pas vrai ? Y’a pas vraiment moyen que Tom demande à ce que l’on retire la peau de son bras, ça serait juste débile, non ?

Joseph s’était levé. Sa voix était aussi tremblante que sa jambe. L’incrédulité dans son ton était pressante et presque forcée, comme s’il cherchait à ce qu’on le rassure. Zoé sentit son regard peser sur elle mais elle ne se retourna pas. Elle avait déjà assez à supporter pour devoir en plus calmer son camarade.

Les chuintements de la lame sur la pierre résonnaient dans la pièce, augmentant leur anxiété à chaque nouveau mouvement du girothani. Joseph endurait du mieux qu’il pouvait, mais il n’était pas le seul à être complètement retourné par ce qui allait se dérouler.

Elias était blême et Tom était persuadé qu’il n’allait pas tarder à tourner de l’œil. Jack battait nerveusement du pied en serrant ses mains avec force, comme pour se donner le courage de ne pas s’enfuir en courant.

Dans son coin, Amélie avait fini de lancer sa magie sur Sarah et les yeux fermés, ses lèvres s’agitaient comme si elle se parlait à elle-même, bien qu’aucun son n’en sorte.

Le regard de Tom finit son petit tour de la pièce et se fixa sur le plafond.

Toujours allongé sur son lit de fortune, il continuait de supporter en serrant les dents les inépuisables vagues de douleurs qui essayaient régulièrement de briser son esprit.

Il avait beau essayer d’imaginer différentes tailles du bâtiment dans lequel ils se trouvaient et de calculer le nombre de poutres nécessaires, son esprit ne parvenait pas à fuir la réalité de la souffrance.

Donner les instructions à Zoé avait été une torture, et bien qu’il appréhendait les tourmentes qui l’attendaient plus tard, il savait qu’il ne pouvait y échapper.

Au moment même où il avait compris comment la substance nocive fonctionnait, deux jours plus tôt, il avait été persuadé que le seul moyen qu’il avait de s’en sortir était celui qu’il avait expliqué à ses camarades. S’il n’avait pas eu le temps de la voir agir sur le sol et sur la lance, il se serait résigné à perdre son bras.

Étrangement, il se trouvait chanceux d’avoir reçu cette blessure dans ce monde. Ici, leur technologie était peut-être quelque chose qui préfigurait dans le registre de l’aberration, éventuellement celui des vagues concepts, cependant, la magie permettait de faire des choses qui auraient nécessité des décennies de recherches et encore plus d’années d’expérimentation.

Bien entendu, s’il regardait la chose d’un autre point de vue, c’est parce qu’il s’était retrouvé dans ce monde qu’il avait reçu cette blessure, mais étonnamment pour Tom, une personne dont le maître mot était rationalité, avoir des pensées vaguement négatives lui donnait presque l’impression de souffrir plus.

Dans d’autres circonstances, il aurait profité de cette situation pour expérimenter l’effet de l’esprit sur le corps, mais la douleur était telle que ses pensées se retrouvaient contrariées et le faisait chercher instinctivement un moyen de l’atténuer.

Tom se rendit compte que le chuintement s’était arrêté.

Bon, et bien je suppose qu’il me reste plus qu’à supporter encore un petit peu la douleur… Après, ça sera fini. Zoé ? Il faut que tu te demandes à Jack de s’en occuper, il sait dépecer des animaux, il comprendra plus facilement ce qu’il faut faire.

Buluglu donna à Zoé le poignard au fil maintenant aussi effilé qu’un rasoir. Cette dernière s’approcha de l’étudiant étranger et tendit la lame en lui expliquant ce que Tom venait de lui dire.

– I… I can’t…

Ce fut la seule chose qu’il répondit. Zoé ne parvint pas à discerner les émotions qui faisaient trembler sa voix, mais on aurait dit qu’il éprouvait une douleur réelle.

Il détourna ensuite la tête et fit de son mieux pour ne pas croiser le regard de la télépathe, bien qu’il avait du mal à garder ses yeux détachés du blessé.

Tant pis, après tout ce qu’il a subi pour me faire arriver ici, ça ne m’étonnes pas qu’il rechigne autant à me voir souffrir à nouveau. Il ne nous reste plus trop d’option. Ça sera aussi un moyen de me faire pardonner…

Comprenant ce que devait ressentir Jack, Zoé s’éloigna de lui et tendit à nouveau la lame vers le second choix de Tom.

Ce dernier, en voyant l’arme, pommeau en avant, saisit immédiatement ce que cela signifiait et se releva aussi rapidement qu’il put.

– NON ! Je refuse ! Je suis incapable de faire ça, navré mais c’est un non capital ! Avec au moins une vingtaine de point d’exclamations !

Tom aurait souri s’il avait pu. Il déversa à nouveau ses pensées dans l’esprit de Zoé mais elle les ignora, préférant utiliser ses propres mots pour le convaincre.

– Joseph, je sais que c’est difficile pour toi, mais tu es la seule personne capable de le faire ici. Si tu ne fais rien, Tom va continuer à souffrir, et crois-moi, je sais à quel point ça fait mal. Ne penses pas que tu vas simplement lui faire mal mais plutôt que tu vas le soulager d’une douleur déjà atroce. Je t’en prie, ne le laisse pas souffrir plus que ça !

Elle avait mis tant de force dans ces derniers mots, les yeux brillants des larmes contenues, que Joseph ne put rien répondre à cela.

Au fond de lui, il était certainement tiraillé par des émotions que personne ici ne pouvait comprendre.

C’était à cause de Tom qu’il avait perdu sa jambe, et même s’il pouvait parfois lui en vouloir, il lui avait pardonné car il n’avait pas eu le choix, mais maintenant que c’était lui qui souffrait, Joseph compatissait avec lui et cela était étrange.

Il aurait dû lui en vouloir, il aurait dû se sentir satisfait de le voir souffrir autant qu’il avait lui-même souffert. Il aurait dû espérer de toutes ses forces qu’il perde l’usage de son bras.

Mais il ne ressentait rien de tout cela.

Prenant une grande inspiration, il attrapa le manche du poignard et s’approcha de Tom.

– Bon alors, qu’est-ce que je dois faire ?

Demanda-t-il au blessé, une expression déterminée sur le visage.

Celui-ci forma un mot sur ses lèvres que Joseph n’eut aucun mal à lire.

« Merci »

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6 commentaires sur “Pérégrinations en Monde Inconnu 15 : Là où on s’aime et on se soigne

  1. Je suis surpris qu’Amélie n’est pas offert une pomme rempli de substances violette à Tom en lui disant « Ne t’inquiète pas, c’est pour le bien du groupe ».
    Je pense que je préfère l’araignée à d’autres parasites comme la bilharziose ( plus de bain dans le lac) ou la douve du foie qui sont invisible à l’œil nue. Alors que l’araignée on peut l’ECRASER ! Jack 31 tapettes à mouches grand modèles merci.
    Quand au supplice de Tom il me rappel celui que les aztèque s’infligeaient (pour rejoindre leurs dieux ils se suicidaient en s’écorchant vifs avec de petites lame en pierre. Finalement Hara-Kiri c’est un rituel tout à fait raisonnable).

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