Perdu dans la Nuit 24 : Un étrange monde

Auteur : Faust
Check : Sinei


Et PN sera régulier !

Les sorties régulières seront donc les vendredis, et parfois, il y aura des chapitres supplémentaires quand j’en aurais suffisamment d’avance (?). Ne riez pas, ça peut arriver.

Et enfin, Aln va revoir Éliana ! En espérant qu’elle fasse un peu plus héroïne à partir de maintenant. Et vu là où elle vit, on se demande comment elle a fait pour rester saine d’esprit… Sur ce bonne lecture !


 

Il ressentait le bal des caractères comme s’il en était le chef d’orchestre, et c’est tout naturellement que la danse organisa petit à petit les lettres en l’une des phrases sibyllines à laquelle Aln s’attendait :

Sil Leheifioglis ik Gols, vi Dlahil !

Sil Tylcahoglis mil Tolmag :

Iglim Mag ik LivaniaOlteil,

i Tahoeglim ik Agi Liv

(Transperce les ténèbres, vers la lumière !

N’hésite pas contre le sort :

La magie n’est qu’un bel outil,

Et peut prendre ta vie.)

Le jeune homme sentit un frisson glacé lui remonter le long de la colonne vertébrale. Un couplet de mauvais augure. Et comme pour confirmer ce pressentiment, alors qu’il était momentanément distrait par ces quatre lignes, il se retrouva transporté dans une immense steppe désertique.

C’était la même que celle qu’il avait parfois aperçue avant ou après ses visions, mais pour la première fois, elle semblait réelle, pas simplement comme une image rémanente vouée à disparaître l’instant d’après, mais comme une scène bien matérielle. Il n’y avait pas de soleil, non, pas d’étoiles ni de lune, et pourtant c’était le crépuscule. C’était la première chose qui venait à l’esprit : la lumière crépusculaire, diffuse, tamisée, cette lumière était une lumière de fin de journée. Mais de quelle journée ?

Ses yeux ne s’habituèrent pas à la pénombre, et alors Aln se rendit compte qu’il ne savait pas comment il voyait : c’était comme si un autre sens lui décrivait le monde extérieur, un sens qu’il utilisait pour la première fois. Et avec cela, une étrange sensation de chute.

Une lueur tremblotante au loin à l’horizon. Aln en prit la direction.

Il marcha quelques minutes sans détecter un seul mouvement. La lande succédait à la lande, pas un rocher, pas un arbuste ou même une crevasse ne venait briser ce paysage répétitif. Et juste au moment où le jeune homme se laissait aller à ses pensées, quelque chose se précipita juste devant lui. Laissant échapper un cri de surprise, il sursauta et tomba en essayant de dégainer une épée qu’il n’avait pas. Tétanisé par la surprise, il se reprit en remarquant l’absence de mouvement de la forme. En y regardant de plus près…

Il commença par prudemment prendre de la distance.

C’était une Ombre de son enfance, une de celles que maintenant il rêvait presque d’affronter. Elle ne bougeait pas, même après l’exceptionnelle démonstration de courage  et de sang-froid du jeune homme. La créature était trop occupée à maintenir en place sa chair flasque pour le remarquer.

           « Étrange » pensa-t-il en contournant la chose. Il s’était tellement habitué à ces situations ridicules que cela ne suffisait même plus à lui arracher une réaction. Puis, reprenant sa route, il se rendit compte que, où qu’il porte son regard, il n’y avait maintenant plus que des Ombres se traînant mollement au hasard, parfois s’arrêtant, disparaissant et réapparaissant sans raison. Elles l’ignoraient, et c’est seulement alors qu’Aln commença sérieusement à s’interroger sur là où il était arrivé.

           Il avançait, inquiet, tandis que les Ombres se faisaient masse grouillante et lui laissaient à peine la place de s’infiltrer. C’était répugnant, et c’était vraiment parce qu’Eliana l’attendait probablement à la fin qu’il s’acharnait.

           La lueur se faisait toujours plus distincte, elle le guidait comme un phare, ou comme un lampadaire attire les moustiques pour qu’ils s’y brûlent… Les Ombres gagnaient en qualité ce qu’elles perdaient en nombre. En effet, il y en avait moins, mais partout, des Tentateurs, des Traqueurs, bref, plein d’Ombres qu’Aln n’avait parfois encore jamais vu, mais dont il devinait les dangers.

           Si le jeune homme se savait toujours ignoré, il redoutait ce qui l’attendait plus loin. Les Ombres semblaient maintenant chercher quelque chose, et il sentait parfois leur regard comme hésiter en lui passant dessus : il en avait des sueurs froides, et il se demandait pourquoi ses jambes continuaient à le porter toujours plus loin. Allait-il finir dévoré simplement par une Ombre qui l’aura remarqué par hasard, ou par toutes à la fois ?

           Et pourtant, il continuait d’avancer malgré ses hésitations. Il faisait confiance à sa magie, il savait Éliana au bout du chemin, et il devinait qu’elle avait besoin de lui. Comme les Ombres gagnaient en puissance au fur et à mesure de son avancée, la jeune fille devait avoir affaire à de bien plus terrifiantes créatures. La scène de dévastation à laquelle il avait assisté lorsqu’il était encore un enfant lui revint à l’esprit, cette fois où la Nivmag était devenue folle. Il écarta cette pensée. Ç’aurait été vraiment trop.

           Il sursauta en arrivant en vue de son but. Ce qu’il avait pris pour une lumière était en fait, probablement, une barrière, et elle fléchissait à chacun des coups de butoir que lui assénaient tour à tour une dizaine de formes vraiment presque humaines. Il n’y avait rien dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres autour de la barrière, comme si cette dernière prévenait l’approche d’Ombres moins puissantes, ce qui éberlua le jeune homme. Quelle magie pouvait réussir un tour de force, alors qu’aucun talisman ou presque ne semblait pouvoir bloquer une seule Ombre supérieure ?

           Au cœur du cocon lumineux toujours rétrécissant se recroquevillait Éliana.

           Les créatures le remarquèrent, tournèrent toutes la tête d’un même mouvement, lentement, lentement, parfois à 180°… Et fixèrent attentivement Aln de leurs yeux noirs, totalement noirs. Puis, inclinant la tête, caquetant de concert, elles se concertèrent, se rassemblèrent et délaissèrent la barrière protégeant Éliana. Elles se disputaient, désignant tour à tour Aln puis Éliana, haussant le ton et même se battant entre elles.

           Aln n’arrivait plus à penser, et moins encore à bouger. La simple présence des Ombres le figeait de terreur. Il n’espérait même plus survivre, et même, il se voyait déjà mort et l’image des Ombres en train de se battre pour avoir le plus gros morceau de son corps était déjà réelle. Ah, au moins se battraient-elles aussi pour avoir Éliana…

           Une voix tremblante, quoique douce à ses oreilles, le tira de son désespoir. Le jeune homme s’y accrocha comme à la main d’un ami tendue dans l’obscurité, et il commença lentement à remonter à la surface.

« A…Aln ? C’est toi ?

–         Oui… Oui, c’est moi…

–         Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu es devenu fou ?

–         Ah ! Bonne question, qu’est-ce que je fais ici…

–         Arrête de rester les bras ballants, abruti ! Tu veux vraiment mourir ? »

Ce rappel à l’ordre eut l’effet d’une décharge électrique. Oui, il n’était pas encore mort, et il pouvait survivre. Cependant, l’une des créatures avait remarqué leur bref échange, et, décidée à abréger les infructueuses négociations avec ses consœurs, elle se jeta sur Aln, au milieu des grognements d’indignations de ses voisines. En plus, si elle était la seule assez rapide pour le dévorer, il n’y aurait plus de problème de partage. Heureusement Aln avait déjà repris ses esprits. Il comprit instantanément qu’aucune de ses magies habituelles n’aurait d’effet ici, donc il opta pour ce en quoi il avait le plus confiance : son Nivtoan.

Cela avait fonctionné une fois… Aln imagina comme la première fois la Mort comme l’absence de réaction, l’absence d’énergie, et prononça « Niholn » comme si c’était son dernier mot. Il sentit son énergie vitale s’échapper de lui, et une sensation maintenant bien connue de faiblesse s’abattit sur lui. La perte était bien plus faible que pour la Helnmag, mais il savait qu’une fois encore son espérance de vie diminuait.

Une colonne de lumière s’éleva autour de lui ; la créature glapit en s’arrêtant net, les yeux remplis de haine, mais aussi d’un soupçon de crainte.

Le jeune homme n’hésita pas un instant de plus, et se jeta en direction du havre de lumière d’où l’appelait Éliana. Les Ombres hurlèrent de frustrations, maudissant sans doute leur hésitation, et fixèrent d’un regard méchant le duo maintenant réuni. Pourtant, elles n’attaquèrent plus la barrière. Elles étaient devenues prudentes depuis qu’elles avaient vu de quel genre était le talisman d’Aln. Conscientes peut-être du fait qu’il puisse les détruire pour de bon.

Le jeune magicien s’écroula une fois en relative sécurité. L’usage successif de la Helnmag et de son Nivtoan l’avait épuisé, et il mit quelques minutes à reprendre suffisamment son souffle pour parler. Pendant ce temps, Éliana le dévisageait avec inquiétude. Elle eut un léger mouvement de surprise en le voyant de plus près, et lorsqu’Aln lui jeta un regard interrogateur, elle lui répondit d’une voix hésitante.

« Aln, pourquoi, qu’est-ce que tu fais là ?

–         Ce que je fais là ? Je suis venu te voir, mais ce n’est pas ça l’important ! Qu’est-ce que toi, tu fais là ? Pourquoi il y a des Ombres partout ? Pourquoi tu te fais attaquer comme ça ? C’est à moi de te poser ces questions-là !

–         C’est… C’est compliqué. »

Le jeune homme faillit perdre son semblant de calme pendant quelques instants, mais, s’en rendant compte, il inspira profondément et s’apaisa. Il reprit alors d’une voix plus douce.

« Est-ce que tu peux m’expliquer ? »

Éliana expira un long soupir fatigué, et Aln comprit que ça allait être une longue histoire.

« Tu te rappelles lorsque je t’avais dit que je passais presque tout mon temps dans une sorte de semi-somnolence dans un monde noir, vide et sinistre ?

–         Oui, tu avais aussi dit que tu n’avais alors pas conscience du passage du temps. Encore heureux d’ailleurs, il n’y a pas l’air d’y avoir grand-chose à faire par ici…

–         Ce n’était vrai qu’en partie. Depuis quelques temps, je ne sais pas exactement depuis quand, ce monde devient de plus en plus réel, de plus en plus tangible. Au début, et même encore il n’y a pas si longtemps, j’avais l’impression de toujours flotter. Il y avait simplement une sorte de lumière diffuse, sans source, et sinon, rien. Passé un certain horizon, même la lumière disparaissait, l’obscurité était totale, et je ne m’aventurais jamais là-bas. Quand je m’approchais de cet horizon, j’avais l’impression de sentir des regards répugnants me caresser, comme s’ils me cherchaient, qu’ils me savaient là, qu’ils voulaient me toucher, sans pouvoir me distinguer. C’était étrange. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que la zone lumineuse rétrécissait. Les regards se faisaient plus insistants, plus précis, ils semblaient être à deux doigts de vraiment me voir. Je commençais alors à mieux discerner le monde autour de moi, à sentir le sol sous mes pieds, à me souvenir de brides de mon passé. Cela, ça a commencé après la dernière fois que l’on s’est vu. C’est à ce moment que je me suis rendu compte qu’une fois ici, j’oubliais tout ce qui se passait dans le monde normal, et que dans le monde normal, je ne me rappelais que vaguement celui-ci. »

Elle se tut quelques secondes pour reprendre son souffle.

« Puis elles sont arrivées. Avant, lorsque tu activais ton grimoire, une sorte de faille s’ouvrait devant moi, et j’y entrais. Cette fois, la porte s’est ouverte dans la pénombre, par curiosité – je sais, c’était idiot – je suis allé voir, et je me suis approchée de la frontière, sans la traverser bien sûr. Elles sont toutes les dix sorties de la faille, et j’ai vite compris que je n’aurais pas dû venir. Elles m’ont vu, et elles se toutes jetées sur la frontière. C’est d’ailleurs à ce moment que j’ai compris que c’était une barrière… Elles n’ont pas cessé leurs attaques depuis, et elles faisaient reculer la barrière beaucoup plus vite qu’avant. Et en même temps, la steppe que je voyais de mieux en mieux se peuplait d’Ombres. »

Vers la fin de son récit ses yeux commencèrent à se remplir de larmes. Ce qu’elle avait supporté jusqu’à maintenant lui retombait dessus d’un coup. À ce moment, elle n’espérait plus qu’une chose, qu’Aln active son grimoire, ou, à défaut, qu’advienne une mort rapide.

Aln lui prit la main et la serra, et Éliana sanglota pour la première fois depuis leur rencontre. Posant la tête contre l’épaule de son ami, elle se laissa aller à ses pleurs, comme elle ne se l’était jamais permis. Le jeune homme ne savait rien faire d’autre que d’être présent.

Au bout de quelques minutes, la respiration de la jeune fille se calma, ses sanglots s’envolèrent comme un cauchemar par une chaude nuit d’été. Elle s’endormi ainsi, doucement, tranquillement.

Combien de temps avait-elle passé à attendre l’inéluctable ? Seule, recroquevillée sur elle-même, alors que les ténèbres se rapprochaient, synonyme de mort, avec pour unique compagnie les feulements malades des Ombres ? Et quelle compagnie sordide ! Aln préférait ne pas l’imaginer, car après tout, le temps passait différemment ici et dans la réalité. Il ne pouvait que bénir le hasard qui l’avait fait découvrir et essayer la Helnmag au bon moment, malgré les dangers qui allaient avec. Enfin, même comme ça, il n’était pas bien avancé.

Il se mit à repenser au récit d’Éliana. Les dix Ombres étaient arrivées de la même manière que lui ? C’étaient les plus puissantes qu’il ait jamais vu, et il se doutait que pas un seul de ceux qui les avaient déjà vues y ait survécu. Mais pourquoi n’étaient-elles pas venues avant ? Éliana lui avait dit qu’elle pouvait apparaître là où la magie était puissante. Cela avait-il un rapport avec ce monde dans lequel elle « vivait » ? Et dans ce cas, quel évènement avait pu permettre aux Ombres d’y entrer ? Et comment les autres Ombres étaient-elles apparues ? Enfin, pourquoi une barrière protégeait-elle Éliana ?

« Tant de questions sans réponses… » Soupira Aln.

Les gémissements des Ombres de l’autre côté de la barrière se calmèrent, et ce silence attira l’attention d’Aln. Les dix créatures avaient cessé leur ronde de charognards et s’étaient rassemblées à quelques mètres de la barrière. Là, elles se plongèrent dans une profonde réflexion.

Maintenant qu’Aln pouvait les observer plus tranquillement, il se rendit compte que si les Ombres de son enfance n’étaient que des caricatures d’êtres humains, celles-ci semblaient monstrueusement humaines. Leur visage respirait une ignoble puanteur intérieure, leurs yeux totalement noirs leur donnaient une allure macabre, maléfique, apanage des plus inhumains des hommes. De tailles variées, elles étaient géantes, ou naines. Leur face était toujours d’une beauté sans égale, mais d’expression avilissante au simple regard. Où qu’Aln regarde, il avait toujours l’impression de jeter un coup d’œil sur les abysses les plus profonds de l’âme humaine.

Brusquement, comme si elles avaient reçu un ordre, les Ombres jetèrent un dernier regard chargé de regret sur le duo, puis une faille s’ouvrit devant elles, et elles y entrèrent. Aln comprit alors ce qu’Éliana avait voulu dire en parlant de faille : c’était vraiment comme une brisure dans la réalité, quelque chose qui n’aurait pas dû exister.

La dernière à s’en aller se retourna, et promenant son regard d’Aln à Éliana endormie, elle lui lança une œillade provocante en souriant lascivement. C’était la première à s’être jetée sur elle, et c’était un sourire qu’il connaissait, mais sans savoir pourquoi.

Finalement, lessivé par tout ce qui s’était passé jusqu’à maintenant et malgré son sentiment d’urgence, Aln s’assoupit avec Éliana, et ils dormirent appuyés l’un sur l’autre.

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2 commentaires sur “Perdu dans la Nuit 24 : Un étrange monde

  1. Il est bien chanceux O_o
    Mais suis curieux de voir a quel point il a vieillit quand il sortira du grimoire.
    Le temps je lise youtube ma balancer 3 chansons de falloutboy, j’ai pas été rapide……. tant mieux ^^

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