Auteur : Donäa
Check : Faust
Parce que la vie est une aventure ; parce que la vie ne nous fait pas de cadeaux ; parce que la vie, parfois, nous fait des surprises. Snow Cat n’est pas une histoire d’aventure, ni l’histoire de recherche de trésors ; c’est l’histoire d’un garçon. C’est l’histoire d’une fille. C’est LEUR histoire.
[Point de vue d’Antoine]
Le 14 janvier 2024. À l’extérieur il neigeait à beaux flocons paisibles, descendant des cieux pour se déposer tranquillement sur un sol blanc. De bon matin, des hommes et femmes traînaient dans les rues pour balayer leur porche ou le trottoir. Dans ce petit village, c’était devenu une habitude des habitants de faire ce travail eux-mêmes. Auparavant, avant que je ne vienne habiter ici, des employés municipaux venaient parfois balayer les rues en hiver, mais de ce que l’on m’avait dit, ce n’était plus le cas. Alors ce furent les habitants qui se mirent à la tâche. J’observais le paysage enneigé depuis la fenêtre tout en mangeant les céréales flottant dans ma cuillère. Des tâches blanches éparpillées dans le ciel denim et de la buée sur les fenêtres. Des stalactites au-dessus des porches et la facture d’électricité touchant son toit. Des habits chauds et le retour des grosses bottines. Deux plaids sur soi lors d’un visionnage de film et une agréable sensation lorsque l’on se blotissait dans sa couverture. Je ne cachais pas mon léger sourire.
“L’hiver a ce côté magique…” lâchais-je dans le vide.
Mon bol de céréales se vidait progressivement tandis que les aiguilles de l’horloge au bruit insupportable s’approchaient de l’heure fatidique. Lorsque j’eus terminé mon petit-déjeuner, je me levai de ma chaise et posai le bol sur le bord de l’évier. Je me dirigeais vers le salon et ouvrit la porte doucement. Je vis ma grand-mère, assise dans son fauteuil. Comme tous les matins, elle fixait la télévision, profitant d’un feuilleton au millier d’épisodes. Malgré son vieil âge, elle entendait encore bien ; je ne dus donc pas crier pour qu’elle m’entende.
“Je vais au travail, mimie !”
Elle acquiesça silencieusement et j’en fus satisfait. Je fermai la porte et m’étirai une dernière fois. Je n’aurais pas dû passer tant de temps devant ma série hier soir : j’avais fini par m’endormir bien trop tard. Néanmoins, la fatigue ne m’âbimant pas les yeux, je supposais que la journée se passerait sans encombre. Je saisis ma veste, j’enfilai mes bottines et passai mon écharpe au cou. Enfin prêt à sortir dans le froid de Janvier, je me chauffai d’abord les mains et ouvrit la porte.
Je m’appelais Antoine Dupery, 18 ans. Je mesurais 1m76 et j’étais né le 06 Octobre. Tous les jours de la semaine, du Lundi au Vendredi, je travaillais dans l’agence d’un ami à mon père : “Solvo Cargo”. C’était un endroit un peu particulier, le seul dans le coin. Géré par Darry, que l’on surnommait Dar, ceux qui y travaillaient en venaient à écouter les requêtes des habitants : qu’il s’agisse de couper l’herbe de leur jardin ou de se battre, toutes les demandes légales étaient permises. Cependant, les employés de Salvo Cargo avaient le droit d’accepter ou refuser une requête : si la somme promise était trop faible ou que la tâche demandée était trop compliquée ou infaisable pour eux, ils avaient le droit de leur dire non ou de les diriger vers quelqu’un d’autre. Tout cela dépendait des employés. Il y avait aussi différentes sections : une pour les bagarres, une pour le baby-sitting, une pour écouter les problèmes de l’un ou de l’autre… Si la requête du client ne faisait pas partie d’une des sections existantes, alors il pouvait se diriger vers l’endroit où je travaillais moi-même : la section “Tout genre”. On venait même parfois me demander des tâches spécifiques à une autre section… Cela arrivait plus souvent que l’on pourrait croire. C’était un endroit apprécié et les résultats se montraient très rarement négatifs. Néanmoins, même si les autres ne le remarquaient pas, je n’aimais pas y travailler. Les conditions des employés et la paie n’étaient pas un souci. Le problème, c’était moi.
Je n’aimais pas réellement les êtres humains.
J’arrivais à les supporter ou à parler avec eux, mais je ne ressentais aucune affection envers eux. Je ne faisais pas confiance aux gens et je ne pouvais pas les voir comme ce qu’on appelait “humains”. Je ne les aimais juste pas. Ils étaient manipulateurs, menteurs et la majorité d’entre eux ne pensaient qu’à leur propre bien, ne choisissaient pas la bonne route à suivre et masquaient leur “vrai soi” pour diverses raisons. J’avais mes arguments pour ne pas aimer l’humain. Certains me diraient que j’étaisun idiot asociable qui avait seulement été trahi, mais ça m’était égal. J’arrivais à parler aux gens, sourire, rire, m’exprimer, être triste ou même me montrer mal devant les gens, mais au fond, je n’avais aucune compassion pour eux. Je parlais avec des “potes” sur internet, mais s’ils venaient à me trahir, je ne me dirais rien d’autre que “Prévisible”. Je ne pouvais pas croire en la bonté de quiconque et mes théories sur les humains finissaient toujours par être prouvées. J’en avais marre.
Je n’en parlais à personne ; je jouais toujours le jeu. Je montrais un moi qui n’avait rien contre les gens et qui appréciait tout le monde, un moi qui n’était pas réel. Je ne pouvais pas dire “Désolé, je n’aime pas notre espèce” à quiconque : cela serait bizarre et j’en avais bien conscience. Si je voulais vivre en société et continuer d’avancer dans la vie, je devais m’y faire : les contacts humains étaient obligatoires. Il fallait donc que je supporte encore les miens et espérer un jour vivre seul, reculé, loin de toute ville… Je ne savais pas encore ce que je voulais au plus profond de moi, mais je trouverais.
J’étais certain que je découvrirais mon vrai but dans la vie.
“Bonjour madame Fhara !” dis-je sur un ton joyeux.
Une vieille femme âgée de 62 ans me salua en retour. Elle venait souvent me voir lorsqu’elle avait une requête concernant son chat. Je supposais déjà qu’elle allait me donner un billet de vingt euros et que j’allais devoir acheter de la nourriture pour sa “Praline”… En ce qui concernait ma récompense, elle me donnait toujours un paquet de dix barres chocolatées, alors j’acceptais sans broncher. Cependant, cette fois-ci, elle me montra une photo d’un chien…
“Le chien de mon voisin est malade, mais cet homme ne veut rien y faire. Je le vois souffrir chaque jour dans son jardin, j’aimerai que quelqu’un appelle le vétérinaire Lambert…” me dit-elle.
Je regardais la photo du Rottweiler et pris le téléphone à côté de moi. Avant d’appeler quiconque, je la fixai longuement.
“Je ne suis pas le propriétaire du chien, je ne sais pas si je peux y faire quelque chose… De plus, pourquoi n’appelez-vous pas vous-même ?” lâchais-je.
Elle hocha la tête et me dit que cela irait. Je n’eus aucune réponse sur ma question, mais je n’insistai pas. Je haussa des épaules et inscrit sur mon écran le numéro qu’elle m’épela.
La journée se passa sans encombre. Peu de personnes étaient venues me voir, ce qui était rare pour un lundi. Je n’avais toujours pas eu besoin de me déplacer, ce qui me soulageait. Il était dépassé midi et la grande aiguille de l’horloge silencieuse s’approcha doucement du chiffre treize. Mon service se terminait à dix-huit heures, ce qui me donnait cinq bonnes heures devant moi… Je soupirai tout en posant mes coudes sur le bureau, mes joues dans mes mains.
“Je préfère ça que l’école, de toute façon…” pensais-je.
Cela faisait plus d’un an que je travaillais ici et cela me convenait mieux que de vivre l’enfer de l’éducation. Certains comprendront mon choix, d’autres non ; cela m’était égal. J’avais pris une décision en y réfléchissant longuement, je ne reviendrai pas dessus. Je bâillais sans mettre de main devant ma bouche béante et fermai les yeux. J’avais si hâte de rentrer dormir… Je les rouvris lorsque j’entendis la chaise devant moi se mouvoir. Une personne s’était assise. Je l’observais, mais ne pus pas en tirer grand-chose : elle cachait son visage d’une capuche. Ses longs cheveux blonds qui dépassaient trahissaient son sexe. De belles lèvres roses formaient un faible sourire, mais c’était tout ce que je pouvais discerner de son visage. Elle avait ses deux mains sur le bureau et gardait sa tête baissée. Je déglutis et allais lui demander ce qu’elle souhaitait, mais elle répondit à ma question même sans avoir à l’entendre.
“Ma requête va vous paraître étrange, mais j’aimerais que vous logiez quelqu’un pour moi.”
Je restai figé quelques instants, surpris par une telle demande. On m’avait déjà proposé de laver l’urine d’un vieux, mais ça… Cela avait beau être moins répugnant, je n’aurais jamais cru qu’un jour on me ferait une telle requête.
“Loger quelqu’un… ?” répétai-je, soupçonnant d’avoir mal entendu.
La femme acquiesça. La douceur de sa voix et la mélodie de ses mots me laissa croire qu’elle était entrée dans ses vingt ans depuis peu. Je contemplais son pull tout en restant muet. Je ne savais pas comment répondre. Loger quelqu’un… Je me repris et lui demandai plus de détails. Néanmoins, elle ne me répondit pas de la façon dont j’avais espéré :
“Protèges mon petit chat de ce Monde.”
Je cligna des yeux, étonné. J’avais perdu l’usage de ma bouche et ma gorge se retrouva, d’une certaine façon, comme gelée. Le sérieux dans sa voix me prouvait qu’elle n’était pas là pour rire ; et la bourse qu’elle me mit devant les yeux me le confirma encore plus. Elle leva un peu la tête, mais pas assez pour que je puisse distinguer le moindre détail de son visage.
“Je te donne mille deux-cent euros pour que tu la gardes une semaine.”
Le maximum que l’on m’avait payé auparavant était trois-cent cinquante euros. Tout cela pour faire l’entièreté des tâches ménagères d’une maison ; une journée ennuyante, mais la somme en avait valu le coup. Je bégayai devant l’argent, hésitant de plus en plus. J’avais compté refuser malgré tout, mais à l’entente de ses mots doux… Pour une seule semaine, je gagnais plus de mille euros. Même en deux mois, il était rare que je gagne autant ! Même en trois mois !! Je déglutis bruyamment et repris mes esprits. Je ne pouvais pas me laisser amadouer par de l’argent… Je devais penser à tout avant d’accepter.
“Pour une seule semaine… ?” demandais-je avant tout, tremblant dans une faible excitation.
Elle acquiesça timidement.
“Tu la loges chez toi pendant une semaine et si cela te va, je te paierai deux-mille euros par mois pour la garder.”
Je resta bouche bée, yeux rivés sur ses lèvres. Ce qu’elle me disait semblait sortir d’un rêve… Que l’on demandât cela à moi était cependant assez drôle : cette femme me proposait de loger un être humain… alors que je ne les aimais pas. Au fond, aurais-je dû accepter, alors que je n’aimais pas les relations avec les autres… ? Je soupirai et lui posai une nouvelle question.
“Qui dois-je loger ?”
Elle me répondit sans hésiter, chacun de ses mots avaient été pensé à l’avance.
“Une personne chère pour moi, une fille de dix-sept ans au sourire merveilleux. Hier, c’était son anniversaire, cela sera donc mon cadeau. Je ne peux pas t’en dire plus sur elle, malheureusement.”
Malgré sa réponse, je n’en savais que trop peu sur cette fille. Au moins, je savais que je devais loger une personne du sexe opposée ; ce qui me parut bizarre. Je la questionnais sur son sujet.
“Je ne pense pas pouvoir faire confiance à quiconque d’autre.” me répondit-elle.
Je ne connaissais pas cette femme, alors je ne compris pas d’où venait cette confiance. Même si j’avais un peu parlé avec elle, cela me semblait bizarre qu’elle eût confiance en moi à ce point. J’allais poser une nouvelle question quand elle frappa le bureau et, la tête toujours baissée, me lâcha :
“Je veux juste que tu protèges mon petit chat ! Que tu la loges et ne la laisses pas être vue par ce monde atroce ! Je t’en supplie… Je peux augmenter mes prix s’il faut…”
Sa voix me laissa sans la mienne. Tant d’émotions dans ses mots, que cela soit colère, tristesse ou espoir. Je ne savais pas pourquoi elle ressentait tout cela et je m’en fichais, mais vu le prix et le sérieux de cette requête… Je serrai un poing, avant de me décider. Loger une fille… Au moins pendant une semaine… Je fermai les yeux et soupirai à nouveau. Je finis par acquiescer.
“Je ne te promets pas de la garder plus d’une semaine, par contre.” lui répondis-je.
Je pus voir son sourire amusé et elle acquiesça à son tour.
“Si la loger ne te convient pas, je ne te forcerais pas.” me dit-elle en se levant.
Elle fit en sorte que je ne puisse pas voir son visage en tenant sa capuche.
“Pour ton adresse…” commença-t-elle.
“Dix-sept, rue Glarry, à quelques minutes d’ici.” répondis-je.
Elle apprécia ma réponse et laissa l’argent sur le bureau. Je vérifia sans attendre que tout y était. Satisfait, je la remerciai ensuite et soupirai. Néanmoins, une dernière question me vint à l’esprit. Avant qu’elle ne passât la porte, je lui demandai :
“Pourquoi me demander à moi… ?”
Elle s’arrêta et ne se retourna pas instantanément. Je patientais, attendant vivement sa réponse.
“On a le droit de demander n’importe quoi, pas vrai ? C’est tout… De plus, je t’ai déjà dit que je ne pensais pas pouvoir faire confiance à quiconque d’autre.”
“Faire loger quelqu’un chez une personne inconnue me semble très risqué.”
Elle pouffa d’un rire mignon et tourna légèrement la tête vers moi, mais pas assez pour que je puisse voir quelque chose de nouveau.
“Je mise sur ma chance et mon flair.” me lâcha-t-elle avant de quitter la pièce.
Je voulais lui demander où et quand nous allions nous retrouver dans une semaine, mais je ne pris pas la peine de me lever de ma chaise et soupirai juste. J’avais accepté pour l’argent, mais je regrettais déjà… J’espérais de tout coeur que cela n’allait pas trop m’embêter trop.
“Bonne soirée !” cria Darry, mon patron, depuis le trottoir d’en face.
Je lui fis signe et laissa ma capuche recouvrir mes cheveux. Je mettais toujours un bandeau sur ma tête et il s’avérait utile en ces temps froids. Je me frottais les bras et rentrais chez moi. Après cette requête “spéciale” que j’avais accepté – et comptais regretter – il ne s’était rien passé de ma journée. On m’avait demandé de régler un souci informatique relativement simple et… c’était tout. Je profita de l’entièreté de mon trajet pour me demander comment ma semaine allait se passer si je devais réellement loger une fille… Au moins, chez ma grand-mère, elle n’aurait aucun souci avec ma famille, étant donné qu’au fond, c’était comme si j’étais seul… Mimie restait surtout dans son fauteuil ou son lit, excepté lorsqu’on mangeait ou qu’on s’amusait à des jeux de sociétés divers. C’était la seule en laquelle j’avais une réelle confiance… Comment pourrait-elle me trahir ou me montrer un côté inhumain ?
J’arrivai chez moi plus rapidement que prévu et remarquai que quelqu’un se tenait devant le porche. Une valise sans roulette à ses côtés, la personne portait un pull aux oreilles de chat bien trop grand pour elle. Je m’approchais tout en l’observant. Malgré le froid de l’hiver, elle n’avait sur ses cuisses que des bas noirs. Je me demanda si elle n’avait pas froid comme cela… De grosses bottines décorées de fourrure blanche aux pieds et des gants aux mains. Elle sembla enfin me remarquer et me fit signe. Comparée à celle qui m’avait demandé de la garder chez moi, elle ne cachait pas son visage de sa capuche, bien qu’elle se trouvât sur sa tête. Je retira la mienne et lui fis signe en retour. Je ne pus pas bien voir ses cheveux, mais je remarquai qu’ils étaient d’un blanc neige. Pour ses yeux, ils étaient d’une couleur bleu océan dans lesquels il était facile de se noyer. Je ne pouvais pas bien l’observer avec sa grosse capuche sur la tête, mais c’était inutile pour comprendre qu’elle était mignonne et pour prédire son âge de dix-sept ans. Voyant sûrement que je la regardais longuement, elle m’exposa sa voix en souriant.
“Bonsoir !! Moi, c’est Rosana !”
Je lui rendis son sourire par signe de respect et me présentai à mon tour.
“Antoine, dix-huit ans. C’est donc toi que je dois loger…”
Elle acquiesça avec énergie et prit la poignée de sa valise entre les mains.
“Et moi, j’ai dix-sept ans ! Je suis désolée pour tout ça…”
Elle baissa la tête, gênée et honteuse. Néanmoins, je lui fis comprendre rapidement que cela ne me dérangeait pas plus que cela, même si j’allais devoir lui expliquer quelques “règles”.
“C’est moi qui aie accepté la requête de… cette femme, donc ne t’amuses pas à t’excuser.” dis-je ensuite.
Elle reprit un certain air heureux sur le visage, ce qui me prouva qu’elle me comprenait. Je sortis les clefs de ma poche de veste et les insérai dans la serrure de la porte d’entrée. Avant de l’ouvrir, je lui demandais par curiosité pourquoi elle devait loger ici. Je remarqua rapidement qu’un sentiment désagréable la traversait.
“Laisse, je n’ai pas besoin de savoir ça pour l’instant…” lâchai-je tout en soupirant.
Elle s’excusa et rentra en même temps que moi. Je ne savais pas ce qu’elle allait donner cette nouvelle relation, comment la semaine allait être et encore moins si j’allais la supporter, mais au moins, cela allait être intéressant. Cette fille, Rosana, allait peut-être rendre ma vie un peu plus excitante… ?
Je ne pouvais pas le nier : j’avais hâte de découvrir la réponse à cette question.
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