La Tentation de Thanatos

星野舞夜 Hoshino Mayo

«タナトスの誘惑» (Thanatos no Yūwaku)

  • Traducteur : Salty Lemon
  • Check : Yurane

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Avant-propos du traducteur (qui aime bien parler/écrire tout seul) :

D’habitude, je traduis des histoires qui sont totalement inconnues, que ce soit dans nos contrées ou même au Japon. Celle-ci est différente.

Pour ceux qui s’intéressent même de loin à la pop japonaise, le nom de YOASOBI doit vous dire quelque chose. C’est un groupe de musique, ou plutôt un duo, qui connaît un succès fou (au Japon en tout cas) depuis deux ans à peu près. Ils ont notamment réalisé un opening et un ending pour l’anime de Beastars. Il s’agit de l’opening de la saison 1 怪物 (kaibutsu) et de l’ending de la saison 2  優しい彗星 (yasashii suisei) que j’aime beaucoup tous les deux. Enfin bref, si je vous parle de YOASOBI, c’est parce qu’ils ont pour habitude de s’inspirer de nouvelles ou de romans pour écrire leurs paroles. 

Et donc pour enfin en venir à ce qui nous intéresse, la nouvelle que je traduis aujourd’hui a inspiré une de leurs chansons et pas n’importe laquelle, c’est la plus connue : 夜を駆ける (yoru o kakeru).

Pour tout vous dire, la chanson est sortie fin 2019 et je n’ai lu cette nouvelle que récemment. Mais bon, c’était un point de convergence amusant entre deux de mes hobbies et une bonne occasion de parler un peu de pop japonaise ici.

Il faut dire aussi que j’ai été étonné de constater que personne à ma connaissance ne s’était donné la peine de traduire cette nouvelle en français alors que YOASOBI a quand même un petit succès et que les anglais ont déjà mâché le travail avec au moins deux traductions différentes pour autant que je sache. Cela dit, ça n’a rien d’étonnant, la pop japonaise est déjà un truc de niche alors les nouvelles qui ont inspiré des chansons, n’en parlons pas…

PS : Je ne sais pas s’il y aura des fans de Beastars parmi les lecteurs (sans doute pas si on croise des approximations statistiques et le nombre pathétique de nos lecteurs) mais je vais écrire ceci quand même parce que ça m’amuse et parce que ça ne coûte rien. YOASOBI s’est basé pour écrire les deux chansons de Beastars sur deux nouvelles (ou plutôt deux petites scènes) écrites plus ou moins à cet effet par Itagaki Paru (autrice de Beastars) elle-même. Plutôt cool, non ? Elles sont disponibles en ligne (en japonais à cette adresse https://bst-anime.com/) et elles sont très courtes. Donc, s’il y a du monde qui est intéressé, lâchez-moi un commentaire ici ou venez me haranguer sur Discord et je me ferai une joie de vous traduire ça du mieux que je peux !

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Le 15 août. Il y a déjà longtemps que le soleil s’est couché et pourtant, il fait ici une chaleur étouffante. Je grimpe à toute vitesse les marches de mon immeuble et je sue, à grosses gouttes et à n’en plus finir.

« Adieu »

Un message de sa part sur LINE, de 5 lettres seulement.

J’ai tout de suite su ce que ce message signifiait.

C’était l’O-bon(1) mais je travaillais quand même. Après avoir fait le nécessaire pour pouvoir rentrer, je me suis précipité vers l’immeuble où j’habite.

Là, sur le toit de l’appartement à l’extérieur des grilles, je l’ai trouvée, elle et ses yeux vides.

Pour tout vous dire, c’est déjà la quatrième fois que je la vois tenter de se suicider en sautant de là-haut.

On dit qu’il y a dans ce monde deux types de personnes :

• ceux dont les pulsions les poussent à vivre – qui sont sous l’emprise d’« Eros » ;

• ceux dont les pulsions les poussent à la mort – qui sont sous l’emprise de « Thanatos » .

L’immense majorité des gens fait partie de la première catégorie mais elle, c’était sûr, elle appartenait à la seconde.

Je savais qu’elle était sous l’emprise de « Thanatos » avant même que nous ne nous mettions ensemble. 

Et pour cause : nous nous sommes rencontrés lorsque je l’ai sauvée alors qu’elle tentait de se suicider du haut de l’immeuble comme aujourd’hui.

Elle venait d’emménager dans l’immeuble. C’était une fille avec des yeux tout ronds et des lèvres charnues. Son visage était adorable, certes, mais c’est son expression fugace qui, en un instant, m’a fait m’éprendre d’elle. Ça ressemblait bien, je pense, à un coup de foudre.

Depuis lors, nous en sommes venus à parler de temps à autre et ça a vite pris entre nous. 

Pour moi qui travaille dans une vraie galère capitaliste et vis tristement seul, elle était comme un ange tombé du ciel.

Il y avait quelque chose que je ne parvenais pas à m’expliquer.

À chaque fois qu’elle tentait de se suicider, elle me contactait sans faute. Puis, elle attendait que je vienne la retrouver.

Pourtant, un suicide est une chose que l’on prépare seul sans prévenir personne – cela augmente considérablement les chances de mourir. Alors peut-être que, quelque part au fond d’elle, elle souhaite que je l’arrête, que je l’aide comme le jour où nous nous sommes rencontrés. Du moins, c’est comme ça que je me plais à l’interpréter. 

C’est pour ça que, cette fois encore, je monte en courant les escaliers de l’immeuble.

« Ahh, Ahh… »

J’arrive au toit.

J’aperçois son dos, derrière la grille.

« Attends !! »

Je saute par-dessus la grille et prends sa main.

Sa main est étonnamment froide alors que l’air ambiant est étouffant.

« Lâche-moi. »

Sa voix, adorable et fugace, sonnait comme des grelots. Sa voix aussi, je l’aimais.

« Pourquoi à chaque fois tu…

— Je veux mourir vite.

— Pourquoi ?

— Parce que le dieu de la mort m’appelle. »

Elle peut voir le « dieu de la mort ». C’est apparemment un symptôme très rare chez les personnes sous l’emprise de « Thanatos ».

De plus, seules les personnes sous l’emprise de « Thanatos » peuvent voir le « dieu de la mort ».

« Il n’y a pas de dieu de la mort.

— Pourquoi est-ce que tu ne veux pas comprendre…! »

À chaque fois que je nie l’existence du dieu de la mort, elle pleure et crie.

Il paraît que le dieu de la mort prend, aux yeux de celui qui le voit, l’apparence la plus charmante. On pourrait dire qu’il ressemble à l’homme ou à la femme de nos rêves.

Quand elle regarde le dieu de la mort (bien que pour moi, elle ne regarde que dans le vide), elle laisse voir en tout point l’expression de la femme amoureuse. C’est comme si elle était tombée amoureuse de lui.

Je déteste cette expression qu’elle arbore.

« Arrête de regarder le dieu de la mort, regarde-moi !

— Non ! »

Elle essaie de repousser ma main et, instinctivement, je serre la sienne avec force.

« Tu me fais mal !

— Ah ! Désolé… »

Pourtant, c’est qui tu es en tort. Tu me repousses. Et tu ne me regardes même pas. 

« Le dieu de la mort ne ferait pas ça, lui ! »

Une noirceur envahit mon cœur.

« Pourquoi… »

Pourquoi suis-je le seul que tu ne regardes pas alors que je t’aime tant ?

Moi, jaloux du dieu de la mort ? Serais-je devenu fou ? Mais à ce stade, tout ça n’a aucune importance.

« J’en ai assez. »

Moi aussi, j’en ai assez.

« Je suis fatiguée de tout ça. »

Moi aussi, je suis fatigué.

« Je veux mourir, vite.

— Moi aussi, je veux mourir !! »

À cet instant, elle relève la tête.

Elle sourit.

Au moment où je vois son visage, je sens la noirceur disparaître de mon cœur.

Ah ? C’était donc ça…

« Tu t’en es rendu compte… enfin ?

— Oui… enfin je comprends.

— Vraiment ? Tant mieux. »

Aah, je comprends mieux.

Si tu m’appelais à chaque fois que tu tentais de te suicider, ce n’était pas parce que tu voulais que je te sauve.

Tu voulais m’emporter avec toi.

En fait, elle est mon « dieu de la mort ».

Il souffle une brise rafraîchissante. En un instant, je ne ressens plus la chaleur étouffante.

« Alors, on y va ?

— Oui, allons-y. »

Ta main dans la mienne.

Pour échapper à l’anxiété à laquelle le monde nous soumet,

nous nous sommes élancés vers le ciel nocturne.

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  • (1) O-bon : Festival bouddhique japonais honorant les esprits des ancêtres.

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3 commentaires sur “La Tentation de Thanatos

  1. Hello ! Je ne sais pas si ce commentaire sera lu mais merci pour la traduction. J’adore la musique de Yoasobi sur cette nouvelle (j’en suis accro) et je voulais en lire la traduction. J’aime beaucoup cette histoire. Étonnement je ne la trouve pas glauque ou effrayante (je dois juste être très bizarre) mais intrigante et envoutante. Elle est d’une beauté un peu malsaine et la musique de Yoasobi ne la rend que plus sublime à mes yeux. Enfin bref ! Merci pour la traduction, c’était un plaisir de la lire.

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