一緒 -Issho-

Auteur : Salty Lemon (et un ami à lui)

Check : Mystix

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Mesdames et Messieurs, aujourd’hui pas de traduction mais une histoire tout droit sortie de ma plume (ou plutôt de mes touches de clavier mais ne chipotez pas enfin…). Quoique, cette histoire pourrait en rappeler une autre aux plus érudits, l’indice est le suivant : ce n’est pas sans lien avec le gros, gros film d’animation qui est sorti il y a peu dans nos salles. Dans quelques jours (temps suffisant pour fouiller vos vieux cerveaux), j’expliquerai cela dans les commentaires si ça intéresse quelqu’un.

Si une idée vous vient, commentez. Sinon, commentez quand même, ne soyez pas radins avec vos mots ; c’est des commentaires que je demande, pas des virements Paypal… (Ah, attendez, j’ai parlé trop vite, Sore me chuchote à l’oreillette qu’en fait…)  < (^-^)>

 

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一緒
(Issho)

Une lumière me réveille. Un rayon qui traverse l’appartement ? Non, c’est son sourire ! Elle et moi, nous vivons ensemble. Chaque matin, elle se lève à la même heure et prépare mon petit-déjeuner. Toujours le même bon repas. Toujours la même gentille fille dont la présence m’apaise. Depuis peu, elle porte une tenue sombre et droite, tout comme sa longue fourrure qu’elle attache: même ainsi elle est plus belle que quiconque.

Avant de partir, elle me caresse affectueusement. Malheureusement, elle doit pousser la lourde porte et partir, baignée par la pâle clarté de l’aurore.

« A plus tard ! »

Elle, c’est celle que j’aime et qui m’aime. Je suis son chat.

。。。

Je suis seul. J’attends son retour. Le rebord de la fenêtre est un observatoire parfait sur le monde qu’elle explore tous les jours. Ce monde, je n’y appartiens plus mais il ne m’est pas inconnu. Je connais la sensation de marcher sur l’herbe, je connais la caresse du vent et la fraîcheur de l’eau. Ce monde, je l’ai connu avant d’être son chat et, franchement, je ne pense pas le regretter.

Le ciel commence à perdre sa couleur azurée. Ce soir il laisse place à des étoiles timides. Elle devrait bientôt arriver : je ferais bien de l’attendre devant la porte. La voilà justement qui émerge de l’obscurité.

« Haa, enfin rentrée ! » soupire-t-elle.

Doucement, elle se saisit de moi et me caresse. Dans ses bras, je me roule de plaisir. Avec un sourire, je ronronne et elle rit aussi. Seulement, toutes les bonnes choses ont une fin et une sonnerie aiguë retentit. Elle place à son oreille l’objet bruyant et vibrant, duquel sort une voix de femme.

« Allô. »

« Non, toujours pas. »

« Ne t’inquiètes pas, je vais trouver, tu verras.»

« Je sais bien mais j’y peux rien ! C’est cher partout.»

« Non, je ne rentrerai pas à la maison.»

« Bon, désolée, mon bain est prêt. Je te laisse, salut. »

Apparemment, c’était le genre de conversation qu’elle ne voulait pas avoir. Je le sais, je reconnais la voix qu’elle prend pour fuir l’anxiété. Demain sera un jour nouveau ; du moins je l’espère.

。。。

Ce matin, elle s’attarde dans une salle que je n’aime pas beaucoup. Petite, froide et froidement blanche. Elle fait une drôle de tête. Elle se regarde dans le miroir. Je n’ai jamais réussi à voir autre chose qu’un vieux chat noir dans le miroir ; je me demande comment elle fait. Elle et son reflet enchaînent les expressions toutes moins naturelles les unes que les autres.
« La raison pour laquelle je postule à cet emploi est que … »
J’ignore le sens de ses mots mais jamais celui de sa voix. Chaque syllabe résonne dans ma tête pour former une idée ou une émotion. « Depuis que je suis petite, j’ai toujours aimé les livres. Je suis tout particulièrement attirée par la création de livres pour enfants. »
Elle parle d’une voix faussement assurée. Son visage lumineux semble ombragé par un voile défaitiste. « Depuis que je suis petite, j’ai toujours aimé les animaux… »
Comme une façade qui tangue, prête à tomber, son visage penche et son sourire se tord.
« J’ai toujours aimé les maisons, c’est pourquoi je voudrais travailler dans l’immobilier… » « Ca passera jamais, hein ?… » Soupire-t-elle.
Elle relâche les muscles de son visage et hausse les épaules, comme si elle avait abandonné, qu’elle reconnaissait sa défaite face à une force face à laquelle elle n’est rien, comme un pétale de rose malmené par le vent.

。。。

Plusieurs jours sont passés depuis. Au bord de la fenêtre, j’attends son retour. Quand elle arrive enfin, le soleil ne distribue plus ses douces nuances orangées et on devine déjà la lune dans la grisaille du ciel. Elle tient fébrilement une lettre, qu’elle laisse tomber et se tourne vers moi. Elle me regarde, je crois, mais sans me voir. En fait, c’est le paysage qui lui inspire un visage si sombre. Je me demande ce qu’elle voit, à travers la fenêtre ? Elle s’effondre près du lit.

Son regard vide fixe un temps le bout de papier abandonné par terre. Puis il dérive du sol au plafond et du plafond au sol dans un cycle incessant, répété sans conscience. J’entends ses lèvres réciter d’une voix terne.

« … candidature refusée… »
« …nous ne mettons pas en cause vos compétences personnelles… »
«Alors pourquoi candidature refusée ?! »

Elle éclate alors en sanglots. Je me doute que c’est cette lettre qui la met dans un tel état. Alors je m’en approche et m’allonge dessus, pour qu’elle ne la voit plus. Est-ce qu’elle comprend ? Sans doute. Son visage est maintenant blotti contre moi. Nous sommes baignés par une lune pathétique et ses pleines larmes ont sur ma fourrure des reflets argentés. Ces larmes sur ma peau me rappellent la vive douleur dans mon cœur ; et cette douleur, c’est la sienne.

Je sais, que mon empathie ne résout pas ses soucis, que je ne peux rien faire pour elle, pas même apaiser sa peine. Je ne suis qu’un chat après tout et c’est peut-être là le problème.

Aujourd’hui comme d’habitude, elle s’est levée, m’a souri, a ouvert la lourde porte et a disparu dans la clarté de l’aurore.

De l’autre côté de la porte, il y a un monde imparfait, et cruel. Chaque jour, elle essaie désespérément d’apprendre à apprécier ce monde et, pour cela, je l’aime d’autant plus.

。。。

Une journée paisible s’éteint. Le soleil couchant crée une aquarelle orangée qui semble déborder dans la pièce. Ses rayons, chauds et paresseux, me bercent. Le temps lui-même somnole, je crois : il paraît moins hâtif que d’ordinaire.

Derrière moi, le bruit d’une page qu’on tourne, une page qu’elle tourne avant de contempler le ciel.

« Un beau coucher de soleil … N’est-ce pas ? »

Bien sûr, je ne comprends pas ses mots. Mais à des moments comme celui-ci, c’est sans doute à la même chose que nous pensons.

« Ca me rappelle le jour où tu es arrivé.»

Le jour de notre rencontre, tout comme aujourd’hui, le soleil couchant était magnifique.

« Il avait plu ce jour-là … »

Il s’agit d’un de mes plus vieux souvenirs, et aussi de l’un des plus précieux à mes yeux.

Je dormais seul avec la pluie et le ciel terne quand j’ai été recueilli. Plutôt que celle que j’appelle « Elle », c’est sa mère qui m’a emmené. A travers l’ouverture d’une boîte, j’ai vu les rues défiler lentement, pas à pas, jusqu’à ne plus voir en face de moi qu’une large porte beige.

« Je suis de retour… Qu’est-ce que tu fais allongée par terre à regarder le plafond ? »

« Il est tard ; qu’est-ce que c’est, ça ? »

On a ouvert la boîte et une main hésitante a frôlé mon dos humide. J’ai tourné la nuque et je l’ai vue pour la première fois : un teint rose comme celui d’un nouveau-né et de grands yeux marrons. Un visage aussi jeune que désespérément apathique.

« Un chat ? »

« Il est mignon, hein ? C’est ton chaton maintenant. »

Ainsi, je suis devenu son chat.

。。。

« Maman, attache mes cheveux. »

« Attends un peu. »

Ce matin, la maison est pressée par le temps. L’air impatient, elle attend sa mère qui s’efforce de me faire comprendre quelque chose. Quoi d’ailleurs ?

« Daru, mange proprement ! »

« Maman, attache mes cheveux. »

Faute d’une réponse, son attention se porte sur moi. Elle me regarde étrangement, comme si elle attendait quelque chose de ma part.

« Les chats noirs, ça porte malheur, tu sais ? »

Quelques minutes plus tard, elle réapparaît avec un chapeau jaune et un cartable rouge et, inlassablement :

« Maman ! Mes cheveux ! »

« Demain, d’accord ? Il faut y aller là. »

« Je n’ai pas envie d’aller à l’école. »

« Mais tu viens d’arriver dans cette école. Il faut que tu travailles si tu ne veux pas prendre du retard. »

« Je sais bien. »

Elle est jeune, avec une fourrure splendide. Pourtant depuis que l’ai vue, pas une seule fois elle n’a souri. Sa voix est faible et résignée. Elle a un grand vide dans son cœur, j’en suis sûr. J’ignore juste comment le combler.

« Bon… j’y vais. »

。。。

Les après-midi sont longs. Au moins, j’ai un chez moi. Mais j’aimerais me rendre utile. J’aimerais, ne serait-ce que pour rembourser la dette que ma présence contracte, combler le vide dans son cœur. Alors que faire ? Je suppose que n’importe quoi ferait l’affaire pourvu que ça parvienne à animer son visage de pierre.

Quelque chose d’agréable, de plaisant, d’amusant, de drôle… Quelque chose de drôle… Oh ! Quelque chose a bougé ? Oui, oui ! Si je ne me trompe pas, derrière ce mur… Là ! Un lézard ! J’ai trouvé ma surprise. Je m’approche doucement, je prends mon appui. Raté ! Tu fuis, misérable proie, tu cours. Tu détales mais en vain. Encore un peu et je t’ai et… bon ça devient ennuyeux de te voir sautiller de meuble en meuble. Tiens, coup de patte ! J’ai touché autre chose que le lézard. Enfin, aucune importance, je l’ai dans ma gueule. Je suis satisfait mais j’entends une voix aigüe empreinte d’une exaspération non-dissimulée.

« C’est quoi ce bruit ? Qu’est-ce qu’il a cassé ? »

Elle se baisse et ramasse ce que j’ai fait tomber.

« Cette tasse, c’était tout ce qui me restait de papa … »

Eh bien, elle a l’air encore moins guillerette que d’ordinaire. Je me demande pourquoi elle me regarde avec des yeux pareils. Heureusement que j’ai tout prévu. Va, petit animal, défends ma cause. Je relâche le lézard de ma gueule.

« Ah, c’est quoi ça ?! AAAAAH ! »

Aaah, je n’ai pas été déçu, quelle belle agilité, quel bel arc il a fait en plongeant vers le visage de ma maîtresse. J’espère que c’était aussi drôle pour moi que pour elle ! En tout cas je peux vous dire que son visage était tout sauf figé, pour changer.

。。。

Aujourd’hui, ma jeune maîtresse est différente. Elle ne m’ignore pas, au contraire elle a décidé de m’emmener dehors. Elle m’a mis dans une boîte, la même que celle dans laquelle j’ai été amené dans cette maison. L’air extérieur est frais et doux sur ma fourrure étouffante.

J’entends les rires d’autres enfants. Elle aussi entend les rires des autres enfants et elle soupire. Elle soupire longuement.

« J’aime autant rester seule. »

« Et toi aussi, tu préfères être tranquille. »

J’ignore où nous allons, je sais seulement que ma maîtresse se hâte mais la raison de cet empressement m’est inconnue. Toujours est-il que la marche ne s’éternise pas. Elle finit par me poser à l’ombre d’un pont. Un endroit magnifique. Cet endroit qu’elle tenait à me montrer luit sous le soleil de midi. Pour une fois, l’herbe ne paraît pas plus verte de l’autre côté et l’eau du ruisseau est la plus pure que j’ai vue. Je comprends enfin pourquoi son pas était si pressé : elle avait hâte. D’ailleurs, elle observe ma réaction avec un intérêt inhabituel avant de se retourner, l’air étrangement pensive.

« C’est bien ce que je pensais, tu es bien mieux ici. Aller, adieu ! »

Elle s’éloigne, me laissant seul. Elle aurait pu rester pourtant, cela ne m’aurait pas dérangé. Je vais me dégourdir les jambes, peut-être laper un peu d’eau azurée puis enchaîner sur une sieste. Je suis un chat après tout.

Aaaah, j’ai bien dormi. Le soleil a déjà à moitié disparu derrière l’horizon et seul le bruit de l’eau accompagne mes bâillements. Il va falloir rentrer et je ne connais pas le chemin. Heureusement, j’aperçois ma maîtresse qui revient, et me prend dans ses bras bienveillants. Mais comment expliquer cette lueur coupable dans ses yeux ?

。。。

Les rayons du soleil passent maintenant à peine entre les immeubles. Assise sur la balançoire d’un parc quelconque, elle me caresse doucement. Elle ne parle plus, elle est plongée dans ses pensées. Des pas rompent le silence. Une jeune fille similaire à ma maîtresse approche sans que celle-ci ne s’en rende compte.

« Qu’il est mignon ! »

« Ah bon ? »

« Oui, il est mignon ! Dis, est-ce que je peux le caresser ? »

« Si tu veux. »

« Il est tout noir, vraiment beau. »

« Tu trouves ? »

« Oui, il est tout doux en plus ! C’est toi, la nouvelle de la classe d’à côté ? Je pourrais venir chez toi la prochaine fois ? Tu veux bien ? »

« Hein ? »

« Tu ne veux pas ? »

« Mais non, mais non, ce n’est pas du tout ce que je veux dire ! »

« Tant mieux ! »

Sur le chemin du retour, elle a souri et j’ai pensé qu’elle avait un sourire comme de l’or : aussi rare et aussi éclatant. C’est alors qu’elle m’a dit, d’une voix enjouée :

« Désolée»

« Et puis, merci ! »

。。。

Depuis ce jour, je l’ai toujours accompagnée jusque dans cet appartement où nous vivons ensemble. Toute la nuit durant, j’ai regardé sans voir ; fouillé mon vieux cerveau. Pas de regrets ni d’amertume ; je ne hais pas le temps qui, quand j’y pense, nous a rapprochés. Et pourtant, mon temps, et son temps à elle sont bien distincts.
Alors, tandis que nous partageons un repas matinal, je remercie les moments comme cette nuit-ci et ce jour lointain, qui ont fait se croiser nos vies ; ces moments que je voudrais éternels.

。。。

Les ombres sont maintenant bien longues et il y a des jours que le ciel n’a pas abrité la moindre teinte de couleur chaude. C’est en cette période que ma fourrure me sert le mieux. Je dors plus qu’auparavant, plus profondément aussi. La faute au temps ? Au temps, oui.

« Oui, Daru va bien aussi. Même si il commence à se faire vieux. »

« Mmh… »

« Je pense que je vais me débrouiller avec des petits boulots encore cette année. Je verrai. »

« Ma mère ? Non, je ne lui en ai pas parlé. »

« Hein ! Elle t’a appelée ? Désolée… Elle t’a dit des bêtises, non ? »

Je ne me souviens pas de ce que je faisais avant de devenir son chat, ni d’oû. Je me souviens cependant de ma mère. Elle était belle, tendre, chaleureuse. Elle me donnait tout ce que je pouvais désirer. Quand j’étais immature et faible, c’est elle qui me maintenait dans ce monde.

Mais cette mère et tous mes frères et soeurs ont un jour disparu.

CRO -CRO -CRO ; FLAP-FLAP

Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé. On ne peut pas se souvenir de tout. Ce dont on se souvient, ce sont les choses vraiment importantes. Les choses lointaines sont microscopiques, indistinctes tandis que ce qui est proche apparaît clairement. Il en est de même pour les souvenirs. Le passé n’est que trop vague. Mais je me souviens des choses qui viennent de se passer.

Du moins, c’est ce que je pensais.

Mais ces temps-ci, pour une raison qui m’échappe, des choses lointaines me reviennent aussi vives que si elles étaient récentes.
D’ailleurs, mon corps ne fonctionne plus très bien. J’ai déjà bien vécu cela dit. Je me demande quel âge ma mère avait à l’époque ? Si elle était en vie, est-ce qu’elle aurait quelque chose à me dire ? Peut-être qu’elle aurait autant de choses à me dire que la mère de ma maîtresse a à lui dire…

。。。

Ces derniers jours, l’appartement est resté sombre et la porte est restée fermée. Elle est avec moi, mais c’est comme si elle était ailleurs. Elle passe le plus clair de son temps allongée dans son lit à fixer le plafond et balayer du regard les fenêtres fermées.

Biip. « C’est maman. Est-ce que ça va ? Rentre à la maison de temps en temps, tu ne vis pas loin après tout. Je m’inquiète, tu sais. J’en parlais même tout à l’heure avec… »

Biip. « Donc tu pourras pas venir au mariage au final ? Dommage… Mais, euuh, on peut faire un after ! Un autre jour ! Alors, dis-moi quand tu peux, hein ? »

La première voix à sortir du haut du meuble de l’entrée est celle de sa mère. Elle a l’air inquiète, comme à chaque fois. Je ne l’ai pas vue depuis très longtemps. La deuxième voix est celle d’une amie de longue date, rencontrée dans un parc un soir. Elle rendait fréquemment visite auparavant. Mais, maintenant… la dernière fois que je l’ai vue, je trouvais la chaleur étouffante ; c’est dire si c’est lointain. Elle aussi est inquiète et, honnêtement, sa voix légère ne tromperait personne.

« Désolée. Désolée. Là, vraiment, je peux pas. Pourquoi est-ce que je suis la seule à ne pas avancer ? Si seulement j’étais plus forte, ou plus adulte ? »

« Aah, si seulement. »

Sa douleur et sa peine me broient le cœur. Je sais bien qu’elle se bat plus que n’importe qui pour exister. Je veux l’aider, tenter de la consoler. Et pourtant, mes vieilles pattes ne peuvent même plus l’atteindre. Le lit est trop haut, moi trop bas. Pitoyable.

。。。

Les jours raccourcissent et un azur glacé recouvre le monde. Roulée dans ses couvertures, comme un gros chat elle dort. Blessée, elle continue de dormir. Je ne peux toujours rien pour elle. Et j’erre, je tourne en rond. Et je n’en peux plus. S’il y avait une solution dans cet appartement, je l’aurais déjà trouvée.

。。。

Ding-dong Ding-dong Ding-dong

Qu’est-ce qui se passe encore ? J’étais en train de dormir mais bon…

BOM-BOM
BOM-BOM-BOM

Ma maîtresse aussi a été réveillée. Une voix paniquée retentit de l’autre côté de la porte. Ooh, une voix que je reconnais d’ailleurs.

« Vite, euuh, la police… »

Criiiii

Ma maîtresse se lève du lit. Même avec mes yeux de Chimène, elle n’a pas fière allure, loin de là. Sa fourrure ébouriffée et un seul œil à moitié ouvert lui donnent, au mieux, l’aura d’un petit mammifère en hibernation.

« Maman ? »

« Tu es là ?! »

« Hein ? »

Elle semble confuse. Moi aussi, je serais sans doute confus si j’étais, au pied levé, et au pied du lit, embrassé par ma mère. Attendez un peu : dans mon cas, ce serait encore plus perturbant !

。。。

Ma maîtresse est assise avec sa mère. L’appartement est moins sombre, elle est toujours aussi confuse. Elle apporte deux tasses et une question.

« Alors, qu’est-ce que tu fais là ? »

« Bon, écoute-bien. Je dormais comme toi quand le téléphone a sonné. C’était ton numéro. Je réponds. Et là, rien ! Juste le signal sonore qui retentit. Alors, tu comprends, j’ai tout de suite cru qu’il t’était arrivé quelque chose et je suis venue aussi vite que j’ai pu. »

« Quelque chose, c’est-à-dire ? »

« Bah, tu sais bien. Quelque chose. Pas moyen de t’avoir sur ton portable non plus, d’ailleurs. »

« A cette heure-ci… »

Tiens, il me semblait que c’était sur le sol que je dormais. Apparemment pas… Je ferais bien d’aller dire bonjour, pour une fois qu’il y a du monde.

PATATRAS !

Parfait exemple d’une entrée fracassante, pour mon dos en tout cas. Ah, qui viendra soigner, ne serait-ce que mon égo blessé ?

« Ah lala, fais attention ; t’es plus tout jeune maintenant. »

On sourit de moi. Oh, cache ton amusement, jeune fille. Je souffre ici. Voilà, comme ça, c’est bien. Continue. Mmh mmh, les oreilles, voilà.

«Tu devrais entretenir un peu mieux l’appartement ; même si c’est juste pour le chat. »

« T’es pas exactement qualifiée pour me parler de ça, tu sais. Enfin… »

« Hehe. Enfin bref. Je me demande bien ce que c’était, ce coup de fil ? »

« C’était peut-être Daru. »

« Tu veux encore lui faire porter le chapeau ? Eh ben ! »

« Peut-être qu’il a sauté sur le meuble et touché les boutons du téléphone. »

« Et qu’il a appelé chez moi ? Ce serait une sacrée coïncidence ! »

Les regards se dirigent vers l’endroit où je dormais tout à l’heure : sur le meuble de l’entrée. Si je pouvais, je leur assurerais que l’endroit n’en vaut pas la peine, qu’on y dort très mal. J’ai le dos en compote. J’ai sommeil aussi.

« AHAHAH, donc tu voulais me voir, Daru ? Hehe ! »

Elle approche sa main pour me caresser. Un peu de douceur avec mon cou, voyons. Aller, houste.

« On dirait pas. »

« HAHAHA »

« HAHAHAHAHAH »

Les mêmes rires qu’à l’époque. A l’époque, c’était il y a des années. A l’époque, elle allait bien.

« Merci, de t’être inquiétée. »

« C’est normal. Bon, je suis rassurée en tout cas. Je vais rentrer. »

« D’accord, je viendrai te voir bientôt. »

Est-ce que ça veut dire que maintenant… elle va mieux ?

« Daru ? Tu dors ? »

。。。

Baigné dans son odeur, j’ai sombré dans mon plus long sommeil. J’ai sombré dans mon plus long sommeil parce que j’étais comblé. J’étais comblé parce qu’elle allait mieux.

Tagadam-Tagadam-Tagadam-Tagadam

J’avais une grande admiration pour ce bruit. Puissant, régulier. C’est le bruit du coeur de la Terre, qui vivifie jusqu’aux recoins du monde. Même si dans cette chambre où nous vivions, mon temps ne croisera plus le sien, le monde bouge. Et nous y voyageons toujours.

Donc, un jour sans doute …

。。。

Un soir où les fleurs de cerisiers étaient ou cachées par le brouillard ou noyées dans les flaques d’eau, une jeune employée de bureau rentrait chez elle. Du moins, c’est ce qu’on pouvait croire tant elle marchait naturellement, sans hâte ni lenteur aucune. Avec l’expression la plus paisible, elle allait, un parapluie jaune à la main. Là où elle allait, on entendait le métro tout comme le bruit de l’eau. Au bord de la rive, une boîte en carton ; c’est dans cette direction qu’elle se dirigeait.

Des dizaines de personnes s’étaient déjà penchées sur cette boîte. De jeunes enfants, qui avaient d’abord eu un sourire aux lèvres, puis un air confus, comme si ce qu’ils voyaient avait des implications qu’ils ne pouvaient pas comprendre. Des adultes, qui montraient tous un visage triste avant de se trouver des excuses, ce qui n’enlevait pour autant rien à l’authenticité de leurs sentiments. Des vieillards qui soupiraient lourdement et hochaient la tête. Un sage aussi s’était penché sur cette boîte. Mais lui s’était contenté de sourire. Car il savait que ce qui s’y trouvait n’était pas là pour que qui que ce soit s’en inquiète, mais dans un but bien précis.

A l’intérieur, il y avait un chat blanc. Il avait fait un long voyage duquel il avait tout oublié. Il avait oublié beaucoup de choses. Trop peut-être ? Mais tel est l’ordre des choses. Toujours est-il qu’il avait fini ici avec un seul souvenir. Une odeur. Devant lui se tenait maintenant une jeune femme. Puis elle s’est agenouillée. L’épaisse brume qu’elle expirait créait un contraste charmant avec ses joues rougies par le froid. Ses yeux dégageaient une innocence rare chez un adulte. Elle attendait en souriant la fin de l’examen olfactif que le chat blanc lui faisait subir. Satisfait, il avait commencé à s’asseoir quand elle l’a saisi lentement. Parapluie jaune dans sa main gauche, elle tenait le chat blanc contre sa poitrine avec sa main droite. Elle s’est levée et elle a chuchoté doucement :

« Rentrons. »

Dessin Maël.png

Salty Lemon et un ami à lui

 

7 commentaires sur “一緒 -Issho-

    1. Je comprends, moi aussi j’ai perdu mon chat il y a quelques années et son absence s’est cruellement fait ressentir au temps de sa mort. Bon courage et merci pour le commentaire (^-^)

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  1. Petite nouvelle émouvante. Le premier paragraphe sur les répétitions avant les entretiens d’embauche me rappelle une formation que j’ai eu par Pole Emploi l’année dernière, et coté déprime, j’ai failli y tombé juste avant cela après avoir subitement perdu un emploi et un coup de jarnac de mon ex patron. Je comprend l’état d’esprit
    Concernant les dernières phrases, le chat blanc est une réincarnation ? Je doit dire que je séche sur la référence sur un film d’animation.

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    1. D’un côté ton vécu n’est pas très réjouissant (surtout la formation Pôle Emploi, tout le monde me dit que ça donne envie de crever), de l’autre je me réjouis que l’histoire t’ait touché. C’est pour moi une réussite si l’histoire parvient à évoquer des souvenirs chez le lecteur. Et donc je te remercie de ton témoignage ^^
      Le chat blanc est-il une réincarnation ? Eh bien, ce que j’ai écrit va dans cette direction, c’est clair. Mais il appartient au lecteur de décider de ce qu’il en est vraiment.
      C’est cool que t’aies pensé ma petite question même si tu n’as pas trouvé (c’était tout sauf simple). Le film auquel il fallait penser, c’était Tenki no Ko (Les Enfants du Temps en France) et il fallait plus spécifiquement s’intéresser à la filmographie de son réalisateur Makoto Shinkai. Je vais bientôt rédiger quelque chose en commentaire pour expliciter un peu tout ça (car c’est plus qu’une simple référence). Je te conseille de jeter un œil à sa filmographie si t’as le temps : tu trouveras peut-être la « référence » et tu passeras un bon moment à coup sûr !

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      1. Je n’ai pas encore le temps de regarder le film des Enfants du Temps mais j’ai lu de bonnes critiques sur celui-ci?

        Sinon, pour la formation par un prestataire de Pole Emploi, c’était sympathique, le groupe à trouver que j’étais moins maladroit que je ne le pensait. Et sans compter les repas gratuit 🙂

        A notez que j’avais coché l’avertissement par mail des commentaires mais il n’a pas fonctionné.

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        1. Franchement, je suis un gros radin habituellement mais j’ai payé ma place pour aller le voir et j’ai pas regretté. L’animation est à la hauteur, la soundtrack est incroyable (toujours Radwimps) et l’histoire est prenante (en tout cas bien plus que celle de Your Name à mon goût). Tu peux y aller.

          Bon, bah je suis un peu étonné du coup mais si ça s’est bien passé tant mieux ^^ Est-ce que je peux te demander quel genre de formation c’était par curiosité ?

          C’est étonnant, moi l’avertissement marche très bien quand je m’en sers. Mystère et boules de gomme… (et boum tu prends 10 ans dans la face avec cette seule expression haha)

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  2. Bon, je doute qu’il reste grand-monde pour lire ça mais, chose promise chose due, voici la petite histoire derrière cette histoire que vous avez lue.

    C’était il y a quelques années, peu de temps après la sortie de Your Name en France. Personnellement, le film m’avait laissé de marbre bien que je reconnaisse sa qualité. Et pourtant, tout le monde avait l’air de s’enthousiasmer exagérément devant ce film et devant Makoto Shinkai.
    Donc d’un côté j’étais plutôt content parce que Shinkai méritait cette reconnaissance à mon goût et de l’autre, je me disais qu’il avait d’autres films pour lesquels il aurait été plus légitime de l’admirer. Je pense notamment à « The Garden of Words » et à « She and Her Cat  » que j’aime beaucoup tous les deux.

    En parallèle de ces considérations cinématographiques, je me posais souvent la question de l’adaptation des œuvres. Vous la savez déjà mais les Japonais sont les champions des adaptations éhontées pour faire de la thune. Les adaptations vont dans tous les sens : du plus intuitif (un roman adapté en manga) au plus contre-intuitif (un film adapté en roman). Ça peut donner des choses intéressantes comme Fune wo Amu (animé adapté d’un film nommé aux oscars) mais c’est souvent assez fade. Les œuvres sont conçues pour un format spécifique alors on peut se demander dans quelle mesure on peut faire passer une œuvre d’un format à un autre sans la dénaturer. En tout cas moi, je me le suis demandé.

    Et comme je n’ai pas vraiment un goût prononcé pour la réflexion métaphysique, je me suis dit « On va essayer. » J’ai pensé écrire une adaptation de « She and Her Cat » en nouvelle. Pour moi, c’était un très bon spécimen. Entre la musique, la lumière et les silences qui sont particulièrement importants dans cette série et qu’on peut difficilement retransmettre avec des mots, j’allais rencontrer toutes les difficultés possibles dans le travail d’adaptation.
    Finalement, je n’ai pas su m’en tenir à une pure adaptation alors il y a quelques scènes que j’ai écrites moi-même, quelques détails que j’ai ajoutés et beaucoup de choses que j’ai omises. Issho est donc une « adaptation libre » de « She and Her Cat : Everything Flows ».

    Ce qui ressort de cette « expérience », c’est que c’est extrêmement difficile de faire une pure adaptation. Qui plus est, l’intérêt d’une telle chose est très discutable. En conclusion, je suis à fond en faveur des adaptations qui s’éloignent de l’original.

    Au cas où je ne vous aurais pas donné envie d’aller voir « She and Her Cat : Everything Flows » (2016), je vous conseille tout de même de regarder le court-métrage (quelques minutes) « She and Her Cat : Their Standing Points » (1999) ne serait-ce que parce que Makoto Shinkai double lui-même le chat !

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