Perdu dans la Nuit 25 : Son monde

Auteur : Faust
Check : Sinei


Chapitre régulier de Perdu dans la Nuit ! Oui, oui, c’est possible ! Bref, un petit peu d’intimité entre Aln et Eliana. (Non, je vois déjà vos espoirs se lever, et ce n’est pas ce que vous croyez… ^^) Bref, sur ce, bonne lecture !


Ils dormirent d’un doux et profond sommeil, comme cela n’avait pas été le cas depuis longtemps. Il faut croire que pour eux, la présence de l’autre était plus rassurante que l’enfer qui les environnait n’était inquiétant. Eliana se réveilla la première. Réalisant la situation dans laquelle elle se trouvait, elle sursauta, et ainsi Aln alla s’écraser la tête la première sur le sol. Un triste réveil pour un sommeil aussi doux.

Après qu’il se soit tant bien que mal relevé, les deux jeunes gens se regardèrent d’un air gêné. Eliana remarqua bien sûr la disparition des dix Ombres qui la hantaient depuis Dieu sait combien de temps, et Aln lui raconta leur départ. En omettant bien sur les sous-entendus de la dernière… La jeune fille grimaça, mais bien vite on put lire sur son visage la joie d’être en vie, et libre pour un temps. Malheureusement, un silence gêné s’abattit à nouveau sur eux comme une chape de plomb.

Ils ne savaient pas vraiment par où commencer, après les évènements de la veille, et en même temps ils ne pouvaient pas les ignorer. Finalement, Eliana prit l’initiative d’une voix hésitante.

« Je suis désolée pour hier. C’est venu d’un coup, après tout ce qui s’est passé, je… je n’en pouvais plus.

– Non, non, ne t’inquiète pas ! Tant mieux si tu vas mieux maintenant, et puis… je ne vais pas me plaindre du fait qu’une aussi jolie fille se soit endormie sur mon épaule avec un visage aussi doux… »

Évidemment, la jeune fille fit la moue et détourna le regard. Il n’allait bien sûr pas lui épargner ça… Elle perçut le sourire en coin d’Aln, et se jura d’avoir sa vengeance d’une manière ou d’une autre. Le plus tôt serait le mieux. Mais malgré tout, cette réplique lui arracha un sourire, et voyant l’air réjoui du jeune homme quand il obtint le résultat voulu, elle ne pouvait pas lui en vouloir.

La barrière sembla briller plus fort, comme si elle voulait chasser à elle seule la pénombre les enserrant, et en effet, Aln eut l’impression que ce sourire fugitif avait illuminé ce monde sinistre tout entier.

Bien vite cependant, une étincelle sérieuse brilla dans les yeux d’Eliana. Quelque chose l’avait frappé quand Aln s’était présenté, mais dans la précipitation elle n’avait pas réussi à l’identifier. Elle avait senti chez lui un changement, sans réussir à le déterminer. Maintenant qu’elle pouvait l’observer tranquillement…

Lorsqu’elle se mit à le dévisager avec insistance, Aln pensa d’abord à s’en amuser, mais il finit par détourner le regard, craignant la réaction de sa compagne à l’issue de son examen. Et en effet, elle plissa les yeux. Cela ne devait pas faire si longtemps que ça depuis leur dernière rencontre, et pourtant…

« Aln ? Tu as l’air… vieilli. »

Le jeune homme garda le silence.

« Tu as utilisé la Sagmag, c’est ça ? »

Et ce disant, elle le fixa de ses beaux yeux marrons aux reflets inquisiteurs. Mentir n’avancerait à rien. Et il ne pouvait pas mentir à ce visage-là.

« Pas la Sagmag, la Helnmag. »

Eliana roula des yeux, comme pour signifier que c’était du pareil au même.

« Pourquoi ? Je t’ai pourtant dit qu’à chaque fois que tu l’utilises, tu écourtes ton espérance de vie, alors pourquoi ? »

Il ne pouvait malheureusement pas simplement répondre : « Je voulais te voir ! ». C’était une chose de l’avoir dit la veille, dans le feu de l’action, mais s’il le disait maintenant, les conséquences seraient dangereuses à plus d’un sens. Réfléchissant quelques instants, il proposa sa réponse la plus logique, qui d’ailleurs n’était qu’à demi fausse.

« La première vision du grimoire était trop imprécise, je ne savais pas quoi en tirer, donc j’ai utilisé la Helnmag afin de forcer une vision sensée. Je pensais que ça en valait la peine : une Ombre que j’ai affrontée m’a montré une image de toi, assiégée par les Ombres, et je m’inquiétais, je voulais te voir.»

La fin était sortie toute seule.

Eliana soupira. Elle n’arrivait pas à se mettre en colère. La seule chose qu’elle ressentait, c’était de l’inquiétude. Mais il était venu pour elle, et au bon moment, à un moment où elle n’attendait plus que la mort. Ou pire encore. « Oh, vraiment… » marmonna-t-elle en rougissant très légèrement. Puis elle reprit.

« Et comment as-tu appris la Helnmag ?

– Oh, dans la bibliothèque d’Ilksa.

– Ah, oui, tu avais dit l’avoir atteinte. Mais… Qui t’as appris ? Il y avait quelqu’un d’autre là-bas ? Tu n’as quand même pas essayé seul ? »

Aln détourna le regard. Terrain miné, mais trop tard. Il se maudit à l’avance pour son incapacité à mentir correctement, et répondit d’une voix fausse qui se voulait contrôler.

« Bien sûr que non ! Même moi je ne suis pas assez fou pour ça ! »

Eliana resta pétrifiée. Puis on la vit osciller entre l’admiration et l’envie de gifler Aln pour sa témérité, et enfin elle se décida pour un compromis entre les deux : elle serra les poings, baissa la tête, puis, la relevant, elle jeta un regard chargé de crainte rétrospective au jeune homme.

« Tu aurais pu mourir au moindre faux pas.

– Je sais.

– En évaluant mal la quantité de magie, en perdant le contrôle, tu aurais pu perdre trente ans de vie.

– Mais ce n’est pas arrivé.

– Cette fois, oui, mais la prochaine ? Promets-moi que tu ne feras plus jamais ça. »

Il hésita quelques instants. Il était touché qu’elle s’inquiète autant pour lui, et surtout il ne voulait en aucun cas la voir s’inquiéter plus encore qu’avant. Mais il savait aussi qu’il n’hésiterait pas en cas de besoin. Pourtant, il décida tout de même de garder ce genre d’initiative pour le dernier des derniers recours. Après tout, il ne voulait pas trop vieillir avant elle.

« Je te le promets.

– Vraiment ? Tu comptes vraiment tenir ta promesse ?

– Oui. Je ne l’utiliserai plus de manière aussi irresponsable.

– Si tu romps ta promesse, je te le ferai payer. »

Le jeune homme se tut quelques instants, puis reprit d’une voix inquiète.

– Et ? De combien ai-je vieilli ? »

Eliana leva les yeux au ciel, puis l’observa avec attention.

« Je dirai, de deux ans ? Tu fais enfin un peu plus adulte. »

Aln laissa échapper un soupir de soulagement, Eliana haussa un sourcil, et ils se sourirent : il était encore jeune.

« Je faisais déjà très adulte avant, grommela le jeune homme. »

En guise de réponse, la jeune fille lui accorda un regard dubitatif accompagné d’un sourire taquin. Aln l’ignora donc, et puis, se tournant vers l’extérieur de la barrière, il reprit :

« Bon, comme les Ombres sont parties, que fait-on ?

– Ah, déjà, on se sait pas dans combien de temps nous avons avant que tu ne m’abandonne encore une fois.

– Ce n’est pas comme si je voulais…»

Aln s’interrompit en remarquant le sourire espiègle de la jeune fille, puis il soupira. Le bon côté, c’était qu’elle semblait déjà bien remise.

« Et dire que je demandais sérieusement…

– Désolée, je n’ai pas pu m’en empêcher. Plus sérieusement, on ne sait pas quand tu vas repartir, donc on doit se dépêcher. Que t’est-il arrivé depuis la dernière fois ? Et quelle était la première vision dont tu as parlée ? »

Le jeune magicien commença son récit, en détail, et finit en décrivant la dernière vision d’Alsag qu’il avait eu. Bien sûr, il n’évoqua pas sa panique et son inquiétude au moment où il avait compris qu’il ne verrait pas Eliana. Elle avait voulu l’interrompre plusieurs fois, pour toujours se raviser, et finalement, à la fin du récit, elle scruta Aln d’un regard doux. Lui aussi en avait vu de toutes les couleurs.

Le jeune homme connaissait ce regard. Chargé d’inquiétude, d’autre chose peut-être, mais d’inquiétude surtout. Pour rien au monde il ne voulait le voir sur Éliana. Aussi, d’un air faussement gêné, d’une voix qu’il voulait timide, sans pouvoir malgré tout cacher un sourire en coin, il reprit.

« Ne me fixe pas trop, tu vas me gêner… »

C’était déprimant. Eliana retint son envie de le gifler, rougit légèrement, serra les dents et finit par soupirer. Et dire qu’elle s’inquiétait pour un idiot pareil. Il n’arrivait même pas à cacher son sourire. Mais elle comprenait ce qu’il voulait dire.

« Ne t’inquiète pas, personne au monde ne peut te gêner.

– Quelle impolitesse !

– Ah, tais-toi… quand tu étais à la bibliothèque avec Alsag, tu as vu quelque chose de particulier ? Un indice ? »

Aln reprit son sérieux et se plongea dans ses pensées.

« Oui. Je n’en ai pas parlé avant, car c’était plus une impression qu’autre chose, mais il y avait un homme et une femme qui suivaient Alsag.

– C’est tout ?

– Non… Ils avaient quelque chose de bizarre : je ne sais pas pourquoi, mais ils m’ont vraiment fait penser à des Ombres, et pourtant c’était clairement des êtres humains. Et la femme m’a vu, j’en suis presque sûr. »

Aln sentit un courant d’air glacé, malgré le calme plat de la steppe, et se rappela de la mimique de la femme. Elle était belle, et il était toujours heureux de voir de belles femmes, mais là, elle lui avait vraiment donné la chair de poule. Eliana fronça les sourcils, comme si elle avait entendu ses pensées, et reprit.

« Tu es sûr qu’elle t’a vu ?

– Pas complètement, peut-être qu’elle regardait Alsag derrière moi, mais j’en ai vraiment eu l’impression.

– Si c’est vrai, c’est mauvais signe. D’autant plus si tu dis qu’ils t’ont fait penser à des Ombres. Est-ce que tu penses qu’elles avaient un rapport avec celles qui étaient juste dehors, hier ?

– Je n’en sais rien… Je ne me rappelle même plus de leur visage, c’est bizarre. »

Eliana se mit à réfléchir. Cette histoire lui disait quelque chose, mais elle n’arrivait pas à savoir quoi exactement. Puis elle reprit.

« Il va falloir que tu fasses encore plus attention à toi. Et du coup, je crois que tu n’es plus en sécurité quand tu utilises le grimoire. Peut-être qu’il te rapproche beaucoup plus des Ombres que ce qu’on pensait.

– Mmh… Si seulement je savais comment Alsag a enchanté le grimoire.

– Même si tu le savais, ça ne t’aiderait pas : tu n’y comprendrais rien. Mais dans tous les cas, s’il cherchait vraiment un livre, c’est qu’il n’était pas dans la bibliothèque d’Ilksa. Et à l’époque, la seule bibliothèque plus fournie, c’était celle de la capitale de la Coalition. Je pense que ça n’a pas dû changer depuis.

– Ah… Et j’imagine que ça veut dire qu’il faut que j’aille jusque là-bas.

– On n’a pas d’autre indice.

– Mais ça ne sert à rien. Ça s’est passé il y a des dizaines d’années, et on ne sait même pas ce qu’Alsag cherchait là-bas, ni même ce qu’il a trouvé.

– C’est le cas depuis le début, tu sais ? Depuis quand est-ce qu’on a besoin de savoir pour agir ? À partir du moment où tu as ouvert ton grimoire, tu t’es jeté dans l’inconnu, et ce n’est pas demain la veille que tu vas en sortir. Et puis, ce n’est pas comme si on avait le choix. Non, le plus gênant, c’est que les livres qu’il a pu consulter sont sans aucun doute en accès limité. Sans permis spécial, tu ne pourras probablement pas y accéder. »

Aln réfléchit quelques instants, puis se fendit d’un sourire satisfait.

« Pour ça, j’ai déjà une solution. J’ai oublié de préciser que Rieln était le fils d’un conseiller de la Coalition. Il devrait pouvoir m’obtenir ce permis, non ?

– Oui, ça devrait aller. Mais… dans ce cas, pourquoi escortait-il cette Nimronyn ? »

Le jeune homme soupira longuement.

« C’est aussi ce que je voudrais savoir. Qui est-elle pour recevoir un tel traitement ? Et puis, à la manière dont il en parlait, ça n’avait pas l’air d’être une simple mission d’escorte.

– Je vois. Enfin, ça ne sert à rien de s’en préoccuper. À moins que tu ne repenses souvent à cette Nimronyn, bien sûr. »

Pendant quelques secondes, Aln se sentit vraiment en danger. Mais vraiment, ce n’était qu’une impression, hein ?

« Impossible ! Haha, elle est bien trop vieille pour moi ! »

Et là, il sentit qu’il avait commis une erreur.

« Eh bien, désolée d’avoir plusieurs dizaines d’années ! Humpf !

–         Ah !  Ce n’est pas ce que… Vraiment, ce n’est pas pareil, c’est… »

La jeune fille l’observa avec gaieté bredouiller. Vraiment, c’était réjouissant, et puis elle éclata d’un beau rire cristallin. D’un long rire. Quand elle réussit à se calmer, elle prit en pitié Aln qui gardait les yeux baissés, et d’une voix encore légèrement hilare :

« C’est bon, j’ai compris, ne t’inquiète pas. Le problème, c’est que tu vas devoir rencontrer le père de Rieln. Ça ne me dit rien qui vaille.

– Qui sait ? Peut-être que c’est un homme bien !

– Espérons-le…

Éliana se renfrogna. Heureuse de ne pas être seule dans ces heures sombres, elle était très reconnaissante à Aln d’être avec elle, et d’essayer de l’aider. Plus que reconnaissante. Mais plus le temps passait, et plus la culpabilité de l’avoir entraîné dans tout ça la tenaillait. Bien sûr, elle n’en était pas directement responsable. En un sens, c’était la fatalité, et pourtant… D’abord les Ombres, maintenant son village, la politique : à chaque nouveau danger, elle avait l’impression qu’un fardeau de plus venait lui peser sur le cœur. Elle se mordit la lèvre inférieure. La voyant ainsi, Aln intervint.

« Moi qui rêvait d’aventure, je suis servi. Enfin, je n’aurai jamais imaginé que mon aventure serait liée aussi fermement à mon histoire, mais finalement, ce n’est pas plus mal. J’ai peut-être une chance d’en apprendre plus sur mes parents, de savoir ce qu’ils faisaient avant de mourir, et quoi ! Je me croirai presque important ! Que peut demander de plus un homme ? »

Là, Aln s’interrompit une seconde, puis reprit avec un sourire en coin et en bombant le torse..

« Après tout, les grandes épreuves font les grands hommes !

– Pfff, pouffa Eliana, tu as du courage pour le dire de toi-même. »

Le visage de la jeune fille s’éclaira, et ses mornes pensées s’étaient éloignées. Aln sourit avant de reprendre.

« Bref, tout ça pour dire que j’ai choisi ce qui m’arrive, et que je ne regrette rien. Alors ne t’inquiète pas trop pour moi, Éliana. Me faire tourner en bourrique te va beaucoup mieux. »

Elle sursauta un peu, puis jeta un regard reconnaissant au jeune homme. Dans un sourire :

« Aln, je… »

Alors qu’elle allait continuer, elle remarqua la silhouette d’Aln commencer à se fondre lentement dans la pénombre. Le jeune homme lui lança alors un regard chargé de regret, puis dit d’une voix douce :

« Ah, il est temps… À bientôt Eliana.

– À bientôt, Aln. Reviens vite…

– Je vais essayer. »

Il sourit gentiment et disparut complètement, laissant seule une Éliana qui se rappelait maintenant de là où elle était. Mais à sa surprise, et à son soulagement, avec le départ d’Aln revint la sensation de flottement à laquelle elle était habituée, et le monde trouble dont elle avait l’habitude, triste, mais où elle se sentait plus en sécurité.

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