PC#1 – Chapitre 7 : C’est trois Daargils qui rentrent dans une taverne…

Comme tous les jeunes de son village, Elor rêvait d’aventures.

Habitant l’un des rares hameaux frontaliers qui n’avait pas encore été détruit et pillé par des excursions d’une armée démonique ou une bande de pillards, Elor savait que la Grande Toile ne lui offrirait que peu de possibilités quant à son futur. Le fil de sa vie l’amènerait soit à périr sous les armes Atmosiennes, soit sous celles des hors-la-loi qui pullulaient aux abords de la Faille. Et pourtant, malgré un futur qui s’annonçait sombre, il se demandait si ce n’était pas préférable à ce qui se tissait pour lui.

Le garçon aurait donné n’importe quoi pour pouvoir échapper au futur monotone de fermier qui semblait s’ancrer à chaque fois un peu plus dans la réalité aux nouvelles Moissons.

Se rendre à Azlir, la capitale d’Archonte, était quelque chose que certains entreprenaient pour agrandir leurs champs d’opportunités, mais Elor se rendait bien compte que ça ne lui servirait à rien.

Contrairement à ces gens qui tentaient leurs chances dans les grandes villes, il n’avait aucune qualité qui le distinguait des autres.

Sa mère lui avait bien appris à lire et à écrire, mais il se savait incapable de trouver un travail qui demandait de fortes capacités intellectuelles. Certes, il était grand et bien bâti, certainement le plus grand garçon du village, mais il ne possédait aucune maîtrise des armes et sa maladresse naturelle manquait parfois de lui faire perdre un orteil quand il bêchait la terre ; il ne voulait pas savoir ce qu’il risquait en prenant une véritable épée en main. Impossible donc de devenir écuyer ou simplement l’apprenti d’un artisan.

Milen, un vieux aventurier qui avait roulé sa bosse et qui habitait non loin de chez Elor, avait bien essayé de lui inculquer une base du maniement de l’épée, mais le vieil homme s’était rapidement rendu compte que c’était peine perdu. Le garçon comprenait les mouvements requis et les avait retenu, mais son corps refusait de les effectuer correctement. Elor avait arrêté de compter les bleus qu’il s’infligait lui-même par inadvertance.

Quant à la magie, l’une des disciplines qui, si maîtrisée, permettait à n’importe quel individu de se défaire de l’emprise de la Grande Toile et de filer soi-même son destin, le sang qu’il avait hérité de son père Gildonien rendait cette possibilité caduque. Comme son père, il avait l’avantage d’être insensible à la magie, mais cela faisait également de lui un être qui ne pourrait jamais l’utiliser, quel que soit le nombre d’année qu’il dédiait à son apprentissage.

De sa mère, Elor avait hérité un esprit pragmatique qui l’avait rapidement fait réaliser que ses rêves de gloire et d’aventures n’étaient que cela ; des chimères.

Pourtant, même s’il s’était résolu, non sans une certaine tristesse, qu’il était condamné à travailler au champ jusqu’à la fin de sa vie, il n’avait pas trouvé la force d’enterrer définitivement ses rêves. Il les avait repoussé dans un coin de son esprit et les contemplait parfois quand la monotonie du village lui pesait trop.

C’était pour cette raison qu’il n’hésita pas une seconde quand une opportunité se présenta à lui.

À peine deux jours après que l’étrange convoi Atmosien ait traversé le village et se soient enfoncé dans les terres désolées, un groupe d’humains étaient arrivés chez eux. Il s’agissait des marchontiens, un groupe de mercenaire au service de la royauté Archonte dont le simple nom suffisait à faire trembler les démons et les criminels. Leur dernier exploit remontait à quelques mois déjà mais n’était parvenu au village que très récemment ; c’était eux qui avaient réussi à exterminer la troupe démonique responsable du massacre de Sylenheim. Bien que la Princesse Sanglante et son aide avait réussi à s’échapper de justesse, cela n’entachait en rien l’incroyable prouesse dont ils avaient fait preuve.

Ilgamir, l’oncle d’Elor, dirigeait une unité marchontienne. Tandis que ses camarades installaient le campement à l’extérieur du village, il était venu leur rendre visite.

Cela faisait plus de dix ans qu’il ne l’avait pas vu, mais Elor n’était jamais parvenu à oublier cet homme qui semblait avoir vécu plusieurs vie et connaissait tout sur tout. C’était sans doute à cause des histoires qu’il lui racontait que l’adolescent avait encore aujourd’hui le désir secret et inconscient de partir à la découverte du monde.

En le voyant entrer dans la maison, vêtu de la même armure en cuir sombre et armé des pieds à la tête, il eut l’impression de redevenir un enfant. Après le souper que la famille avait partagé, il avait accompagné son oncle à la taverne où il lui avait expliqué qu’ils avaient une mission de la plus haute importance.

Quelques chopes et nombre d’anecdotes plus tard, son oncle lui parla avec une expression sérieuse qu’il ne lui connaissait pas : “Elor, comme ton père et moi, tu es un enfant de la Gildonie, un guerrier-né. Peut-être que notre patrie ne veut plus de nous, mais ça ne change pas tes origines et tes valeurs. Je sais qu’on te dit pas doué de tes dix doigts, mais je n’y crois pas. Je suis certain qu’avec le bon entraînement, tu pourras devenir invincible. Sans compter que tu sembles avoir hérité de ton grand-père paternel le physique impressionnant des Iltars.” Il avait marqué une pause, le temps de prendre une longue gorgée puis avait repris, parlant moins fort et forçant Elor à se pencher en avant pour l’entendre dans le brouhaha de la taverne bondée : “Je vais être honnête avec toi, fiston, j’ai perdu un homme en arrivant à Orial. Ces putains de démons de Zalgir nous sont tombés dessus alors qu’on sortait du portail transporteur de la ville. On les a décimés, mais il n’empêche que j’ai une place à remplir dans mon groupe. Alors ? Ça te dit, devenir un marchontien ?”

Avec ses capacités cognitives étiolées par la boisson, Elor prit un certain temps avant de bien comprendre la proposition de son oncle, puis, sans même prendre le temps de peser le pour et le contre comme il avait l’habitude de le faire, il accepta. Pour fêter sa bienvenue, Ilgamir paya une tournée à ses hommes et Elor entreprit alors d’atteindre un état d’ébriété qu’il n’avait encore jamais expérimenté.

Alors que les soleils commençaient leur ascension matinale, il rentra en titubant chez lui, accompagné par son oncle tout aussi saoul. Son père était resté éveillé toute la nuit et en le voyant, il lui annonça la nouvelle en souriant. Pourtant, la réaction de son père eut pour effet de sortir Elor de son état d’euphorie causé par le mélange de la boisson et de son nouveau titre de marchontien.

La colère de son père n’avait pas disparu quand l’adolescent prit la route, quelques heures plus tard. Il avait refusé de lui dire au revoir, et bien que sa mère lui avait promis que ça lui passerait, c’était le cœur lourd qu’il avait quitté son village.

C’est à cela qu’Elor pensait, roulé en boule dans ses couvertures, fixant les faibles flammes qui projetaient des ombres dansantes sur les parois en pierre suintantes d’humidité. Des bourrasques agitaient parfois le petit feu de camp, manquant à chaque fois de l’éteindre et s’infiltrant à travers les fines pièces de tissus qu’Elor utilisait pour se couvrir. À force de contracter la mâchoire, ses muscles lui faisaient mal, mais il préférait ça à claquer des dents et montrer qu’il ressentait la morsure du froid.

Son tour de garde était passé, mais il ne parvenait pas à dormir. Bien que le crépitement que les pierres solaires produisaient en brûlant ainsi que les plic-ploc régulier de l’eau qui gouttaient des stalactites auraient dû l’encourager à fermer les yeux, Elor ne parvenait pas à trouver rassurer le son que le vent produisait en traversant les boyaux du donjon. Il avait l’impression d’entendre des milliers d’âme en peine lui chuchoter les horreurs qui l’attendaient.

Cette impression était renforcée par la sensation perpétuelle d’être épié et surveillé par des yeux invisible qui le suivaient partout où il allait. Quand il en avait parlé à Ilgamir, il lui avait assuré qu’il s’agissait de l’atmosphère naturelle des donjons et que ce n’était dangereux que pour les individus isolé ou ceux qui restaient longtemps exposé aux miasmes du donjon. Puisqu’ils étaient en groupe et que leur mission n’était pas censée durer longtemps, il n’y avait donc aucune raison de s’inquiéter.

L’appréhension qu’Elor avait ressentie alors qu’ils traversaient les Terres Désolées s’était accrue à mesure qu’ils s’approchaient de la Faille, mais il put rapidement constater que les marchontiens n’avaient pas volé leur réputation.

Ils étaient entrés dans le donjon en descendant en rappel le long de la falaise. À peine les pieds d’Elor touchèrent terre qu’un hurlement strident retentit et qu’une bête déboula d’une des nombreuses ouvertures sombres qui perçaient la paroi de l’immense couloir qui s’étirait plus loin que le regard portait.

En voyant une créature quadrupède au moins deux fois plus haute que lui charger ses nouveaux camarades, Elor fut paralysé. De larges plaques osseuses couvraient le corps du monstre et des piques aussi longues et épaisses que son avant-bras extrudaient de certaines. Pourtant, ça n’impressionna pas les marchontiens qui se mirent immédiatement en position. L’un d’eux se mit en travers de sa course, comme pour l’intercepter, et Elor sentit son cœur s’arrêter dans sa poitrine.

S’attendant à ce qu’il soit déchiqueté par la créature monstrueuse, il écarquilla en voyant l’humain prendre de plein fouet la charge de l’animal et la retenir. L’impact fut accompagné par un bruit terrible et le sol trembla, mais le marchontien ne recula pas d’un pouce. Ses compagnons ne perdirent pas un instant et se jetèrent sur la créature, armes au clair.

Ils se déplaçaient et frappaient comme un seul homme, sans jamais se gêner ou avoir à s’exprimer. Elor resta bouche-bée en voyant que le monstre qui l’avait immobilisé de peur avait été réduit en pièce en si peu de temps.

Après cela, bien qu’il ressentait encore de la peur à chaque nouvel ennemi qui apparaissait au détour d’un virage ou d’un croisement, il était de moins en moins enclin à céder à la panique et la terreur et pouvait maintenant se mouvoir sans problème, même terrorisé.

Et pourtant, je ne fais toujours aucun progrès avec les armes… J’ai tant appris, mais je suis simplement incapable de reproduire ces mouvements. Si ça se trouves, Ilgamir s’est trompé et je suis simplement trop nul ? pensa-t-il en contemplant un petit lézard rouge qui grimpait sur la pierre sombre du donjon.

Elor se retourna plusieurs fois avant de se relever et de se frotter les bras pour essayer de les réchauffer un peu. Son esprit était concentré sur la possibilité qu’il soit simplement un raté et plus il y pensait, plus cela semblait être véridique.

Après ce qui lui sembla être plusieurs heures et quelques tours de garde plus tard, Ilgamir ordonna à ses hommes de se lever.

“Il est temps de se remettre en route les gars. Sachez qu’on va entrer dans le véritable donjon, alors c’est plus le moment de déconner. Elor, toi, tu restes à mes côtés et tu gardes ta bouche fermé. Les autres, formation anthil, si un ennemi arrive par l’arrière, on passe en ouarg. Moi et Elor resteront la nuque. C’est compris ?”

L’adolescent répondit un “oui” timide en retour tandis que les autres hochaient la tête. Le camp fut levé en quelques minutes à peine, et ils se mirent en route tout aussi rapidement.

Elor se demandait ce que son oncle entendait par ‘véritable donjon’ mais on lui avait ordonné de se tenir coi et il comptait respecter cet ordre simple.

Deux jours passèrent, et à mesure qu’ils s’enfonçaient toujours plus profondément dans le donjon, Elor observait les changements dans l’environnement.

Jusqu’à là, ils étaient restés trois jours à explorer des grottes naturelles reliées entre elles par des couloirs et tunnels naturel, mais maintenant, il avait l’impression de se trouver dans une construction humaine. Ils arpentaient toujours des couloirs, mais ceux-ci étaient rectiligne et leurs parois lisses et polies. Des touffes d’herbes éparses avaient fait leur apparition le premier jour pour se transformer rapidement en mur végétal quelques heures plus tard. Ilgamir avait ordonné de s’en tenir éloigné et donné une nouvelle formation. L’un des marchontien découpait parfois des branches pour faire du feu et ainsi économiser les pierres solaires.

À chaque embranchement, Ilgamir s’arrêtait et sortait un vieux parchemin qu’il consultait quelques minutes avant de continuer sa route. Elor s’était demandé comment il était parvenu à mettre la main sur un plan du plus dangereux donjon au monde, mais sa position de marchontien et leur mission qui semblait de la plus haute importance était certainement des indices non négligeable.

Bien que son oncle lui ait proposé de rejoindre les marchontien, Elor se rendait bien compte qu’il n’était pas encore officiellement l’un des leurs. Durant le court trajet jusqu’à la Faille ainsi que dans la plus haute strate du donjon, Ilgamir et ses hommes avaient souvent pris le temps de lui expliquer des choses qu’il ignorait ainsi que quelques passes d’armes, et bien qu’il ait absorbé le savoir théorique comme une éponge, il était toujours aussi maladroit en ce qui concernait la pratique. Mais il voyait bien que malgré leur gentillesse, il était toujours considéré comme un étranger dans le groupe. Le simple fait de tout ignorer de leur destination ainsi que la raison de leur présence en était une preuve concrète.

Malgré cela, il n’en ressentait pas son oncle, il comprenait bien qui lui fallait faire ses preuves avant d’être reconnu comme membre de leur groupe. Avec sa capacité à retenir un grand nombre de chose, il ne doutait pas qu’il atteigne rapidement le minimum de chose à savoir pour faire un bon marchontien, il ne lui restera alors plus que la pratique.

L’agitation devant lui le sortit de ses pensées.

Elor releva la tête pour voir que tout le monde s’était arrêté. Il fit de même et observa les alentours. Les visages des hommes qui l’entourait étaient sérieux, plus sérieux encore que d’habitude, et il sentait parfaitement qu’ils étaient tendu.

Se concentrant sur ce qu’il y avait devant, il remarqua que le couloir s’interrompait plusieurs mètres plus loin et s’ouvrait sur une gigantesque caverne. En s’approchant, il constata qu’une immense forêt s’étendait, une centaine de mètre plus bas. Une douce lumière verte permettait d’observer la caverne-forêt et de se rendre compte de son immensité.

À un endroit, les arbres s’étaient retirés pour laisser place à un colossal escalier effondré.

Comment on va faire pour descendre du coup ? Je vois pas d’endroit où on pourrait accrocher une corde, et je pense pas que les racines des plantes grimpantes pourraient supporter le poids d’un homme. Fut la première chose à laquelle il pensa, puis il reporta son attention sur la forêt devant.

Fronçant les sourcils, Elor remarqua qu’une haute construction dépassait de la cime des arbres de quelques mètres. Elle se trouvait à ce qui semblait être deux ou trois heures de marches, mais sa présence l’intrigua. Qui pouvait bien avoir construit quelque chose ici, et pourquoi ?

Il mit cette question dans un coin de sa tête, espérant qu’un moment propice se présente pour la poser à Ilgamir.

Derrière lui, les marchontiens avaient déjà commencé les préparations. Muni d’un pieu en métal épais dont la tête avait une forme trouée d’un large cercle et d’un instrument qui ressemblait à la visseuse d’un menuisier, huit mains s’agitaient et creusaient silencieusement un petit trou dans la pierre sombre et veiné de violet du donjon.

Elor comprit rapidement qu’ils comptaient créer eux-mêmes les points d’ancrage destinés à les amener au sol.

“Ok les gars, en bas, c’est le début des niveaux profonds du donjon. On doit monter le camp au niveau du temple Uzorien, là-bas, expliqua Ilgamir en pointant du doigt la construction en pierre qu’Elor avait remarqué plus tôt, il va falloir que Lir et Arthy relance la protection, mais une fois mise en place, on a des cristaux magique pour la maintenir en place. Le vrai problème c’est de traverser cette forêt. Elle est remplies Sylvres qui vivent dans les arbres. En temps normal, elles dorment, mais il faut absolument éviter de casser des branches ou de détacher des fruits. Si vous en voyez une sortir de son tronc, vous prévenez et vous courrez. On ne les combat que par le feu, mais il y’en a trop pour que ce soit faisable ici. Blessez-en une et toutes se réveillent, donc vous êtes averti. Une fois en bas, on avancera en file et par paire. Évitez aussi de parler trop fort, les vibrations de vos voix risquent de les éveiller.”

Une fois les instructions données par le chef d’équipe, les hommes se remirent au travail.

En dix minutes à peine, les vingt marchontiens furent prêts. Les cordes pendaient déjà le long de la paroi lisse et quatre guerriers les avaient empoignées. Elor suivit des yeux leurs descentes, le cœur battant. Jusqu’à maintenant, les couloirs étaient plongés dans un silence pesant, uniquement interrompu par les sifflements du vent et parfois les halètements et grognement de créatures, éventuellement des rugissements, mais c’était plus rare. Maintenant, les bruits de la nature qu’il avait entendu toute sa vie lui semblait étrange. Il y avait des pépiements d’oiseaux, des bruissements de feuilles ainsi que le clapotis de l’eau, s’il tendait bien l’oreille, mais le garçon ne parvenait pas à se débarrasser de l’étrange impression que quelque chose n’allait pas.

Quatre par quatre, les marchontiens descendirent en rappel jusqu’à ce qu’il ne reste plus que Ilgamir et son neveu. Le chef de l’unité indiqua à Elor de garder le silence en mettant un doigt sur sa bouche, puis saisit la corde épaisse et se mit en position pour descendre.

Une chute serait mortelle, c’était certain, mais l’adolescent préféra ignorer ce fait pour se concentrer sur sa descente. Parce que regarder le vide en dessous de lui où se détachaient les silhouettes sombres des marchontiens était trop difficile, il préféra lever la tête et fixer le plafond.

Il remarqua alors que la lumière qui éclairait la jungle provenait d’en-haut. Croyant d’abord qu’il s’agissait d’un toit composé de cristal vert, comme on en trouvait parfois dans les couloirs du donjon, il revit son hypothèse en voyant du mouvement. Il arrêta de bouger pour mieux observer le phénomène et se rendit compte qu’un nombre incroyable de chenille aussi longue et épaisse qu’un humain y était accroché.

Instinctivement, il eut un mouvement de recul et sentit Ilgamir le saisir par l’épaule pour l’empêcher de tomber. Il raffermit sa prise sur la corde et se remit en mouvement, tout honteux de ce qu’il venait de se passer.

Ses pieds atteignirent le sol plus rapidement que prévu et il se retourna vers les autres marchontiens qui restaient silencieux. Ilgamir ne fit pas de commentaire mais il jeta à son neveu un regard qui exprimait bien ce qu’il pensait de son comportement.

Maintenant qu’ils étaient à terre, il était impossible de voir l’étrange construction, mais Elor se rappelait de sa position, il n’aurait aucun mal à la retrouver tant qu’il ne perdait pas les directions.

Sans échanger une parole, le groupe se mit en route.

***

Ils avançaient à un rythme dangereusement lent, s’arrêtant à chaque bruit et s’assurant que rien ne bougeait avant de continuer. À chaque fois qu’une branche basse se mettait en travers de leur route, ils faisaient de leur mieux pour passer en dessous sans même l’effleurer, et quand cela se révélait impossible, ils prenaient leurs précautions pour les toucher sans les casser.

Ilgamir avait placé Myli et Calo devant. Le premier était un Daargil, un elfe sylvestre, tandis que le second était un Anub, une race d’humains à la peau aussi noir que l’encre et aux yeux translucide. Ils avaient tous deux la capacité de voir dans le noir et cela faisait d’eux les plus aptes à ouvrir la voie.

Ils détectaient les racines par terre et faisaient attention à ne pas marcher dessus, les autres marchontien se contentaient de suivre leurs pas, se concentrant sur les branches à hauteurs d’yeux et de torses.

Elor n’était pas aussi capable qu’eux. Pour lui, maladroit invétéré, le simple fait de suivre les pas des autres et de marcher là où ils marchaient était difficile, alors se préoccuper en même temps d’autre chose était un exercice qui lui demandait toute son énergie et toute sa concentration.

Cela faisait deux heures qu’ils avançaient, mais ils n’avaient parcouru pas plus de deux kilomètres. Elor était en sueur, il n’était même plus certains que ses oreilles percevaient grand-chose tant il se focalisait sur l’entièreté des mouvements.

L’adolescent estimait qu’il lui faudrait encore trois heures au moins avant de parvenir au temple, mais il craignait que son corps ne supporte plus ce qu’il lui forçait à faire.

Dix minutes plus tard, ils parvinrent à un éclaircissement. Un escalier large de plusieurs mètres s’élevait vers une plateforme plus haute. Une ouverture en arcade perçait la paroi, mais comme le premier qu’ils avaient vu, cet escalier était lui aussi effondré. Les débris de l’escalier jonchaient les alentours, comme s’il avait explosé.

C’est en soupirant que tous s’assirent dans l’herbe et se détendirent légèrement. Le fait de se tenir éloigné des arbres rassurait l’adolescent, cela lui donnait l’impression que la menace des Sylvres n’était plus d’actualité.

Elor resta debout cependant, le regard tourné vers cette ouverture qui l’intriguait tant. Combien y en avait-il ? Et est-ce qu’elles menaient toutes au même qu’ils avaient traversait plusieurs jours durant ou étaient-elles les portes qui menaient aux couches inférieurs du donjon ? Pourquoi les escaliers avaient été détruits ?

Elor avait encore un millier de questions, mais il prenait soin de les noter et de les sauvegarder dans un coin de sa tête afin de pouvoir les ressortir plus tard. Il n’avait pas l’habitude de garder le silence pendant si longtemps, mais il se rendait compte que même en gardant sa bouche fermé et en observant, il apprenait des choses que l’on pouvait difficilement expliquer.

C’est en analysant la manière qu’avaient les membres du groupe de marcher qu’il comprit la méthode pour marcher sans faire de bruit. C’est également en se concentrant sur comment Ol s’y prenait pour couper les plantes grimpantes qu’il apprit les parties dangereuses et celles inoffensives de la plante.

Bien entendu, cela ne répondait pas aux ‘pourquoi’ des choses, mais c’était déjà mieux que rien.

C’est cette curiosité qui le poussa à s’approcher de l’escalier. Le garçon atteint la partie qui tenait encore debout et se pencha sur les premières marches pour les détailler.

Construit dans les mêmes pierres sombres veinées, chaque marche était composée d’un seul long bloc monolithique. Une longue frise était taillée sur chacune des contremarches, et en les suivant des yeux rapidement, il se rendit compte que toutes contait des histoires différentes.

Le garde-fou de l’escalier était lui-aussi impressionnant de beauté. C’était la première fois de sa vie qu’Elor voyait un escalier entièrement fait de pierre, et les détails finement ciselé suffirent à créer de l’admiration chez le garçon pour les artistes qui l’avait réalisé.

Quel dommage, pensa-t-il, je suis sûr que cela devait être encore plus beau avant d’être détruit.

Il poussa un très léger soupir en se disant qu’il ne saura sans doute jamais à quoi il ressemblait ni comment les soi-disant Uzorien étaient parvenu à extraire de si gros morceau de pierre sans qu’ils ne se brisent.

La réalisation qu’il ignorait tant de chose le déprima. Il se retourna pour se changer les idées et son regard tomba sur ce qui ressemblait étrangement à quelque chose de familier.

À la limite de la clairière, une vingtaine de mètres plus loin, deux corps reposaient au sol, inertes.

Comme des pantins désarticulés, le corps des deux êtres était allongé par terre dans une position improbable, donnant l’impression qu’ils avaient chuté du plafond.

C’était la première fois que l’adolescent voyait des cadavres, mais étrangement, cela ne le choquait pas plus que cela. Peut-être que les derniers jours à voir la troupe de marchontien réduire en morceau des monstres aussi gros que des carrioles l’avait désensibilisé à ce genre de chose, ou peut-être que les corps qui semblaient intacts lui donnait inconsciemment l’impression qu’ils étaient toujours vivant, toujours est-il qu’il s’approcha lentement.

Un petit cratère s’était formé autour de l’un des corps et le second, plus grand, semblait avoir glissé à côté du premier. Lorsqu’il ne fut plus qu’à quelques mètres, il constata qu’il s’agissait de deux femmes. L’une était grande et vêtu d’une armure scintillante qui semblait presque pulser d’une lueur blanche s’il concentrait son regard dessus. De longs cheveux blonds formaient un halo doré autour de son visage indéniablement beau.

Elle était belle, le genre de beauté que l’on retrouvait sur les tableaux de maître se dit Elor, bien qu’il n’en avait jamais vu. Une petite racine avait été mise à nue par le cratère et s’enroulait autour d’un de ses bras ainsi qu’autour de sa poitrine.

La seconde était également une femme. De plus petite stature, elle était vêtu d’une robe simple qui, malgré l’état pitoyable dans lequel elle se trouvait, avait l’air d’être d’une matière qui coutait plus cher que l’ensemble du village d’Elor. La couleur clair contrastait grandement avec sa peau mate, mais ce qui fascina le garçon fut son visage.

Il s’en dégageait une aura qu’il ne parvenait pas à qualifier, mais à l’instar de l’autre femme, elle était magnifique, bien que d’un genre différent. La délicatesse de ses traits, la courbure légère de son nez, la longueur de ses cils, Elor ne parvenait pas à trouver quoi que ce soit chez elle qui n’était pas sublime.

La beauté de ces femmes l’avait tant retourné qu’il en avait oublié une chose cruciale. C’était des cadavres qui lui faisaient face, certes en excellent état de conservation, mais des cadavres tout de même.

Sentant la curiosité maladive qui le rongeait le poussait à s’approcher, Elor fit un effort surhumain afin de se contraindre à retourner voir Ilgamir.

Lorsqu’il lui eut expliqué la situation et décrit les corps, son oncle eut une expression qu’il ne parvint à identifier. Il leva sa main pour attirer l’attention de sa troupe et en quelques signes, leur fit comprendre qu’il était temps de se mettre en route. Ilgamir demanda ensuite à Elor de les conduire à la scène d’un mouvement de tête.

Quand les débris de l’escalier s’effacèrent de leur champ de vision et que les corps apparurent, les marchontiens se mirent en mouvement précipitamment. Ils encerclèrent les cadavres et restèrent silencieux, échangeant des regards avec leur chef et se tenant prêt à abattre leurs armes.

Ilgamir fit quelque pas dans le petit cratère et s’approcha prudemment de la jeune fille. Il dégaina une dague qui pendait à sa ceinture et l’approcha du nez du corps. Malgré la lumière tamisée des chenilles, Elor vit clairement de la buée se former sur la lame tranchante de son oncle.

Elle est vivante !

Il aurait voulu s’exclamer à haute-voix, mais malgré l’étrange joie qu’il ressentait et qu’il n’expliquait pas, il craignait encore les dangers que recelait cette forêt.

Le chef du groupe ouvrit les paupières de la jeune fille et Elor eut un mouvement de recul. Son œil était entièrement noir, d’un noir si profond qu’il semblait aspirer la lumière. Le juron qu’Ilgamir proféra n’était pas pour rassurer son neveu.

Il fit de même avec l’autre femme, mais ses yeux étaient également complètement noirs.

En voyant les racines, un second juron lui échappa. Il se leva, prit la jeune femme dans ses bras et la donna à Elor avant de lui dire :

“Écoute, fiston, je te remet cette gamine. Quoi qu’il se passe, tu ne laisses rien ni personne s’approcher d’elle. On va devoir sortir cette femme de là et la ramener au temple, mais pour se faire, il va falloir que l’on réveille les Sylvres. Donc quand tu entends mon signal, tu cours, le plus vite possible, sans t’arrêter, directement vers le temple, c’est clair ? Tu sais où il se trouve ?”

Le ton de son oncle ainsi que son expression était plus sérieux que jamais. La gorge serré par l’angoisse, Elor hocha la tête.

“Bien, je sais que t’es rapide, mais pas question de trébucher ou quoi que ce soit. Myli va courir derrière toi, mais c’est pour te protéger, alors ne t’inquiète pas. Tout ce que tu dois savoir, c’est qu’il faut courir jusqu’au temple et protéger la gamine. On s’est bien fait comprendre ?”

À nouveau, le garçon opina du chef.

Dans ses bras, le corps inerte de la jeune fille lui semblait si léger. Il avait envie de baisser les yeux et la détailler, mais ce n’était ni l’endroit, ni le moment pour le faire. Son oncle lui avait donné une responsabilité qui semblait des plus importantes et il ne comptait pas rater cette occasion pour faire ses preuves.

Se tenant à la lisière de la forêt, il serrait dans ses bras le corps si fin de l’inconnue, faisant tout de même attention à ne pas lui briser quelque chose. Le Daargil à côté, ils fixaient tout deux les arbres devant, tous les muscles tendus en attente du signal qui le ferait partir.

Elor entendit des chuchotements derrière lui, puis la voix de son oncle s’éleva, criant “Maintenant !” et il se mit à courir.

Le garçon fonçait dans la forêt sans même essayer d’esquiver les branches basses qui lui fouettaient le visage et le faisait saigner. Du coin de l’œil, il avait parfois l’impression de voir des silhouettes humanoïdes se tenir debout et se déplacer, mais il ne comptait pas s’arrêter pour vérifier s’il elles étaient réelles ou une simple illusion causée par sa vitesse et son stress.

Il entendait la respiration contrôlée de Myli, sur ses talons, mais il se rendait aussi compte qu’il le distançait petit à petit. Contrairement à lui, l’elfe ne possédait pas des muscles aussi développés ni des jambes aussi longues. Il se doutait qu’il finirait par le semer s’il gardait cette vitesse, mais il repoussa cette pensée. On lui avait donné une mission et il comptait l’accomplir, quoi qu’il en coûte.

L’emplacement du temple n’était pas difficile à retenir, mais maintenant qu’il ne devait plus faire attention à ne pas marcher sur les racines ou casser des branches, il courrait en ligne droite vers sa cible, modifiant sa trajectoire chaque fois qu’un tronc se mettait en travers de sa route.

Il ne sut pas exactement combien de temps il continua à courir, mais il se rendit compte après un temps qu’il était tout seul. Il n’entendait plus Myli respirer derrière lui, ni le bruit de ses pas. En fait, il n’entendait plus rien que le sang qui battait à ses oreilles. Sa gorge desséchée lui faisait atrocement mal à chaque fois qu’il inspirait, mais ce n’était pas une raison pour s’arrêter.

L’intensité de sa concentration était telle qu’il avait cessé de prêter attention à ce qu’il y avait devant lui pour laisser ses réflexes lui faire esquiver les arbres. Il se focalisait sur ses pieds afin de ne pas trébucher, si bien qu’il faillit bien rater le temple.

Une petite voix au fond de lui le poussa à relever la tête et il vit qu’il avait débouché sur une immense clairière. À son centre, une gigantesque construction en pierre s’élevait.

Sans même prendre le temps de la détailler, Elor continua sa course et grimpa quatre par quatre la volée de marches qui le menèrent au plus haut du bâtiment. Il arriva alors dans une salle de taille moyenne qui trônait au sommet du temple. D’un coup de pied, il referma l’épaisse porte en bois, plongeant la pièce dans les ténèbres, puis s’agenouilla pour déposer le fardeau qu’il était parvenu à amener à bon port avant de s’évanouir, s’effondrant sur les jambes de la jeune fille.


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