Perdu dans la nuit : Chapitre 3

Auteur : Ilanor
Check : Nekoyashiki-san


          Lorsque, cette nuit, il s’était réveillé, il se trouvait dans la clairière derrière sa maison. Il avait alors pendant quelques instants voulu penser que ce n’était qu’un mauvais rêve, une hallucination de son imagination débridée par le cadre sinistre de la forêt. La réalité était venu démentir cet espoir : comme dans cette scène illusoire qui avait tourné au cauchemar, il était au sein des Ombres, il s’était fondu en elles. Il avait senti sur lui leur contact glacé, leur indifférence de marbre, comme si elles ne bougeaient que par instinct, sans but, et surtout, ce qui le terrifia plus que tout, c’était qu’il s’y était senti à l’aise… Il avait alors couru tambouriner sur la porte de sa maison, échappant à l’étreinte doucereuse des ténèbres, serrant encore contre son coeur son livret, qui renfermait ses origines, et… autre chose… Et à cette occasion il s’était pris une raclée restant encore dans ses annales, mais qui lui avait au moins permis d’oublier l’effroi des Ombres, de ne plus y penser.

          Plusieurs années s’étaient écoulées depuis les évènements de cette nuit. Aln en avait résolument enfermé le souvenir au plus profond de son coeur, et âgé aujourd’hui de 16 ans, il vivait sans soucis, ayant en apparence oublié cette nuit fatidique, de même que son livre. Ce livre qu’il n’avait plus ouvert depuis, et même, qu’il avait enfermé dans sa chambre avec la ferme intention de ne plus y toucher. Pourtant, malgré toute la terreur du rêve, il ne pouvait parfois s’empêcher de se remémorer ces scènes, particulièrement dans les moments comme celui-ci, ces moments de calme fébrile précédant les activités solennelles du village.

          Malgré le fait qu’il se soit promis de ne plus jamais se risquer à retourner dans l’illusion de cette fois là, il ne pouvait s’empêcher d’être fasciné par les terribles aperçus de la magie qu’il y avait eu. Il en avait peur, mais depuis des années cette chimère séduisante le poursuivait, jour après jour, et aujourd’hui, il sentait qu’il ne pourrait y résister encore bien longtemps.

          En effet, aujourd’hui était le jour de ses 16 ans. Il était orphelin, mais ses parents adoptifs avaient fixé sa date de naissance au jour où ils l’avaient trouvé devant leur porte, car il ne devait avoir alors que quelques jours à peine. Et donc, son anniversaire était le 28ème jour de la 3ème lune, c’est à dire le dernier jour de l’Aldina, le dernier jour de la saison froide. A la différence des adolescents de son âge, il attendait cet évènement avec une certaine appréhension : la cérémonie se déroulait dehors, à la nuit tombée, ce qui voulait dire qu’il se retrouverait peut-être dans la même situation qu’autrefois.

          Bien sûr, la cérémonie n’avait aucun rapport avec une excursion furtive, sans protection, au milieu des Ombres. A cette occasion, l’ancien du village disposait sur la place du village d’innombrables talismans destinés à protéger l’enfant pendant son passage à l’âge adulte. Mais pendant ce dernier, il serait seul. Les talismans ne l’isoleraient pas seulement des Ombres, mais aussi des hommes, pendant toute la durée de la nuit. C’était complètement différent de l’escapade que faisaient tous les enfants, et en vrai, il aurait mieux valu pour eux qu’ils attendent leur passage à l’âge adulte avant de sortir. Une partie de lui était effrayée à l’avance, et l’autre impatiente. Il hésitait à prendre son livre, à le sortir de l’oubli dans lequel il l’avait jeté, à le relire encore une fois au moment de la cérémonie. Il se sentait plein de force au crépuscule de son enfance.

          C’était à ces pensées qu’Aln s’abandonnait, à moitié allongé dans l’herbe, au sommet de la colline surplombant le village, alors que le crépuscule commençait à montrer ses couleurs dorées et veloutées. Près de lui, son meilleur ami – son plus grand complice – qu’il s’était fait au cours de ces dernières années était assis en tailleur, lui aussi songeur. Bien qu’Aln soit maintenant beaucoup plus prudent, et qu’il prenne les histoires de l’ancien plus au sérieux, il n’avait pas abandonné sa nature espiègle. Loin de là, ce que le village entier redoutait le plus, c’était ses absences : on se savait pas alors quel tour il allait jouer, généralement assisté par l’un de ses nombreux sbires. Jion, le fils de l’ancien du village, était le plus fidèle d’entre eux, ainsi qu’un véritable ami.

          Jion était, à la différence d’Aln, baraqué. Plus que baraqué, il était déjà connu dans le village pour sa force physique impressionnante, ainsi que pour son caractère parfois légèrement irascible. Grand, aux yeux noirs allant de paire avec ses cheveux noirs eux aussi, il s’habillait de noir en raison d’un pari bêtement perdu contre Aln, pari dont il ne voulait jamais évoquer l’enjeu. Il se tourna vers Aln, et prit la parole.

« Les derniers moments d’enfance hein ? Te connaissant, je m’attendais à ce que tu fasses quelque chose de grand pour marquer le coup… Il s’est passé quelque chose ?
– Non, pas vraiment. Je pense simplement qu’à partir de demain je ne pourrais plus vraiment faire l’idiot comme maintenant…
– Oh mais non ! Tu ne vas pas t’arrêter juste à cause d’une stupide cérémonie ? Pense à tout ce qu’on a encore à faire ! Et ton projet de saboter le barrage au moment des bains ?             – Il n’y a que toi qui puisse y arriver ! »

Aln sourit béatement, imaginant la scène, et se demandant quel timing serait idéal… Cette pensée ne put le distraire que pendant quelques secondes, et il revint rapidement au sujet de ses préoccupations.

« Jion ? Si tu t’étais retrouvé dans une situation très dangereuse, et que tu t’en étais sorti d’une manière très, très bizarre, mais qu’en même temps tu ais trouvé cette situation fascinante, et que tu pensais pouvoir la revoir, tu ferais quoi ?
– Qu’est ce que tu as d’un coup ? Ça ne te ressemble pas… Normalement tu n’hésiterais même pas : elle est intéressante, tu y vas, point. Quoi, tu as été pris en train de séduire une fille et son père l’a mal pris ?
– Non, c’est pas ça, dit Aln en souriant, tout le monde ne se retrouve pas dans ta situation.
– Si tu fais allusion à ce pari, c’est déloyal ! Pourquoi je suis le seul à avoir été pris ! Traître !
– Je me le demande bien. Je ne vois pas comment j’aurais pu savoir quoique ce soit. Il se trouve juste que j’eus envie de partir, et c’était bien tombé. Enfin, c’est vrai, tu as raison, je ne vois pas pourquoi je me pose la question. Après tant de temps, il faudrait que je découvre ce mystère.
– Tu es vraiment étrange, s’exclama Jion en regardant suspicieusement son ami. C’est la cérémonie qui te rend comme ça ?
– Hmm, peut-être. Peu importe, retournons au village, les adultes vont commencer à s’inquiéter. »

Les deux adolescents se levèrent. Le crépuscule touchait à sa fin, et le soleil se perdait progressivement derrière les hautes montagnes au sud du village. Ils se mirent à descendre la colline, se rapprochant rapidement de la maison d’Aln. De là, on entendait l’activité fébrile qui régnait sur la place du village, en préparation des évènements de cette nuit.
Aln dit au revoir à Jion, et rentra chez lui. Il n’y avait personne, ses parents étant eux aussi occupés avec les préparatifs. Il monta directement dans sa chambre. S’approchant d’un des murs en apparence normal, il tira une pierre imperceptiblement descellée, et en retira son livre. Pris d’un étrange pressentiment, Aln ne l’ouvrit pas, se contentant d’en caresser la couverture vieillie. Il se mit plutôt en devoir de se changer, de revêtir le vêtement de la cérémonie : Une longue tunique bleu ciel, d’une seule pièce, qui s’arrêtait au niveau des chevilles, en laissant une grande liberté de mouvement au porteur. Aln la regarda, puis, mettant la main à l’extérieur, il testa la température.

“Normalement, on ne met rien avec, mais là…” pensa-t-il.

Puis il l’enfila par-dessus ses vêtements, en faisant attention à ce qu’on ne puisse pas le remarquer, et glissa son livre à l’intérieur. Enfin prêt.
Il sortit, et, la nuit étant tombée, il suivit le chemin balisé de glyphes qui menait jusqu’à la place du village. A cette occasion, tous se réunissaient dans la maison de l’ancien, sauf lui qui devait rester à l’extérieur, dans le froid, dans la nuit, jusqu’au matin. Il ne croisa donc personne sur le chemin, et, arrivé à destination, il se dirigea vers le centre de l’esplanade.

Autour de lui, il apercevait les Ombres, pareilles à son souvenir, qui rampaient vers lui, avant d’être interceptées par un dôme invisible. Il ne put s’empêcher de laisser échapper un soupir de soulagement en constatant l’efficacité de la barrière, et alla s’asseoir sur la chaise qui lui était réservée. Jusqu’à l’éveil de son ‘instinct’, il n’avait rien à faire.
La cérémonie était un mot bien surfait pour désigner une nuit de veille au sein d’une formation de talismans et l’écriture de son premier glyphe, une sorte de rune dans laquelle le jeune adulte devait injecter sa volonté. C’était ce qui se rapprochait le plus de la Sagmag, et c’était une sorte d’instinct que la cérémonie réveillait au cours de la nuit. Pour certains, les plus doués, quelques minutes suffisaient, et pour d’autres, toute la nuit. En revanche, cet instinct s’éveillait pour tous. Enfin, on appelait le premier talisman, celui que l’on devait créer lors de la cérémonie, le Nivtoagl, le talisman personnel, que seul son créateur pouvait utiliser, et qui renfermait en théorie une puissance très supérieure à celle d’un talisman normal. En fait, c’était le seul héritage de la Sagmag que les ancêtres du village avaient conservé, bien qu’il n’en soit qu’une forme mineure. Il s’en différenciait par la complexité de son utilisation, à tel point que presque personne ne savait l’utiliser pour autre chose que faire chauffer de l’eau. Tiède bien sûr…

Sachant que personne ne pouvait le voir dans l’obscurité, Aln sortit son livre, et, une fois ses yeux habitués, il commença à le scruter, comme cette nuit là. Il ne l’avait pas réouvert depuis, et les deux premières lignes étaient toujours figées, alors qu’en dessous, le gracieux ballet des caractères recommençait. Comme avant, Aln resta fasciné, et comme avant, il ne remarquait pas l’agitation des Ombres qui fonçaient sur la barrière. Elle tint bon, vacillante, mais elle repoussait avec succès les assauts de plus en plus enragés de la marée ténébreuse. Aln se laissa emporter par la danse qu’il imaginait en ‘lisant son livre’, et ne se posait plus de question. Il comprenait qu’il n’avait pas d’autre choix que de découvrir le contenu de son livre. Il devait s’y plonger, sa curiosité devait être satisfaite. Il chuchota presque amoureusement les mots qui se formaient devant ses yeux.

« Toaglis agialn,
Olaglim mag agi ik »
(Protège ton coeur,
la magie s’emparera de toi.)

Suivant ces paroles, la vision d’Aln se brouilla, en même temps qu’il entendait une voix bien connue résonner dans son esprit.

« Oh ? Encore en vie ? Pas mal, pas mal… Près pour la suite ? Alors amuse-toi bien ! »

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4 commentaires sur “Perdu dans la nuit : Chapitre 3

  1. Oh la suite du chapitre 1 O_O
    Il est tous seul…………. entourer de soi-disant ennemis………….. avec un barrière a 2 sous fais par un vieux grincheux délirant avec ses histoires…… et lui lis un livre ? non mais ……… la raclée qu’il a pris en rentrant chez lui a 10ans lui a pas fait perdre des choses en trop ?

    sinon une petite erreur je crois dans :
    Puis il l’enfila par-dessus ses vêtements, en faisant attention à ce qu’on ne puisse pas le remarquer,

    pour ne pas être remarquer faudrait pas plutôt le mettre « par-dessous » au lieu de « par-dessus » ?
    Mais bon vue sa jugeote sa ne m’étonnerait pas qu’il ait pas encore compris certaines logique T_T

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