Pérégrinations en Monde Inconnu 16 : Là où on fait des Révélations

Auteur : SamiHuunter
Check : Loux


Salut les gars, ça fait un bail, pas vrai !

Ouais je sais, j’ai disparu pendant pas mal de temps, mais bon, je suis de retour !

Voici la suite de PeMI, le chapitre 17 est à moitié terminé, alors il sortira quand il sera un peu plus peaufiné.

Ce chapitre est quand même un peu plus long que les précédents, mais bon, il manque cruellement de qualité, alors je suppose que ça compense ! XD

PS : Je tiens à préciser que tout ce qui a été publié jusqu’à maintenant, ce chapitre comprit ainsi que les suivants, sont simplement des brouillons ! Je réécrierai un jour tout ça au propre, en enlevant et rajoutant les trucs qui ne servent à rien, donc merci de ne pas commenter sur le fait que ce soit si atrocement écrit (le début et la fin de ce chapitre en particulier… et le milieu aussi… mais bon…)

Sur ce, bonne lecture !


Ce furent des sons qui extirpèrent Ania de son coma.

Ses yeux papillonnèrent quelques instants, le temps de s’adapter à la lumière à laquelle ses rétines n’avaient pas été exposées depuis un bout de temps.

Puis son cerveau se remit en marche et les sons que ses oreilles percevaient cessèrent de n’être que des bruits et se transformèrent en cris de douleurs.

Se relevant brusquement, elle vit le monde autour d’elle tournoyer tandis que le peu de force qu’elle avait abandonnait son corps.

Ania ignora ses vertiges. Elle avait eu le temps de voir une scène du coin de l’œil et cette vision parvint à garder à distance l’inconscience qui menaçait de l’engloutir.

Un frisson glacé parcourut le corps de la jeune femme quand ses yeux se posèrent sur la source des hurlements qui l’avaient réveillé de son long sommeil.

Allongé sur une table en bois, l’être mystique qui ressemblait tant aux iorens se débattait tandis que quatre individus s’escrimaient à lui mutiler le bras. Ania vit, horrifiée, un garçon avec une jambe de bois découper un gros tronçon de peau de l’Ioren avant de le jeter dans un gobelet remplit au ras bord d’autres morceaux de chair sanguinolente.

L’aventurière ne put réprimer un hoquet d’épouvante en détaillant la plaie de l’ioren : toute la partie supérieure de son bras avait été débarrassée de sa chair et de sa graisse, dévoilant les muscles du mutilé. Il semblait que les individus comptaient faire de même avec l’avant-bras puis qu’ils avaient déjà bien entamé le découpage méthodique de cette partie.

Quatre paires d’yeux se posèrent sur Ania et elle se maudit aussitôt d’avoir laissé échapper un son.

Elle n’eut pas le temps de contempler plus longtemps les quatre individus qui la dévisageaient. Parmi les visages qui la fixaient, elle reconnut l’un des garçons qui se trouvait présent lors de son secours, après le fiasco de l’attaque du village globs.

Les craintes qu’elle avait difficilement étouffées quant aux monstres aux apparences humaines remontèrent à la surface de son esprit. C’était la présence du ioren qui l’avait rassurée, mais maintenant qu’elle le voyait se faire charcuter par ces enfants à la puissance monstrueuse, comment pouvait-elle se sentir en sécurité ?

La peur gagna Ania. Une peur primale et instinctive qui restreignait son raisonnement à une seule idée : Fuir le plus loin possible ! Elle chercha des yeux la sortie, puis avisant la porte non loin de là, elle se précipita vers elle, sa peur suffoquant toute tentative de pensée cohérente avant qu’elle ne puisse avoir du sens.

Bien qu’elle entendit les monstres derrière elle se mettre en mouvement et échanger des propos dans une langue qu’elle ne comprenait pas, elle ne se retourna pas.

Arrivée devant la porte, elle se jeta dessus, épaule en avant, s’attendant à ce qu’elle soit fermée à clé. La porte s’ouvrit à la volée et Ania, surprise, atterrit violemment sur la terre. Elle entendit clairement un crac, puis une vive douleur irradia de son épaule droite.

Des points rouges dansèrent devant ses yeux et une irrépressible nausée accompagna la sensation de douleur qui venait de l’empoigner. Ses pensées, déjà assez désordonnées, devinrent plus confuses encore alors que la souffrance enflait à chaque battement de cœur. Malgré la douleur qui lui faisait monter des larmes aux yeux et floutaient sa vision, la peur mortelle et la panique qui l’étreignaient étaient bien trop importantes pour qu’elle puisse se soucier d’une quelconque blessure.

Ania parvint à se relever, grognant de douleur à chaque mouvement qui augmentait son tourment. À peine eut elle jeté un regard circulaire sur ses alentours qu’elle se mit à courir vers la zone qu’elle identifia comme la sortie, ou essaya-t-elle tout du moins. Si elle avait été en pleine possession de ses moyens, elle se serait rendue compte qu’elle se dirigeait vers le bâtiment central du camp, à l’exact opposé de la grande porte.

Bien que ses forces aient été décuplées par la peur qui semblait lui donner des ailes, il n’empêchait pas qu’elle n’avait rien mangé depuis plusieurs jours, sans compter la douleur qui l’obligeait à mobiliser ses faibles ressources mentales pour ne pas perdre connaissance.

Ania fit quelques pas chancelants avant de relever la tête et voir deux silhouettes devant elle. Elle reconnut sans difficulté celle d’un globs, mais l’autre individu lui était inconnu.

Il tenait dans la main quelque chose, et Ania se mit sur ses gardes en se demandant quelle arme il pouvait bien porter, mais un autre coup d’œil sur l’objet lui renseigna qu’il s’agissait simplement d’une flûte.

La peur laissa un peu de place à l’incompréhension et des questions s’imposèrent dans l’esprit de l’aventurière. Elle les ignora pour se concentrer sur le duo étrange du globs et du monstre à l’apparence humaine. Le « garçon » leva sa main qui tenait la flûte et instinctivement, Ania fit un pas en arrière.

Mais la chose devant elle fit quelque chose d’étrange à laquelle elle ne s’attendait pas.

Une fois sa main à hauteur du torse, la flûte qu’il tenait se métamorphosa en une harpe et il se mit à en jouer.

Quand les notes atteignirent ses oreilles, elle sentit ses membres s’alourdir tandis que la douleur irradiant de son épaule s’effaçait lentement. Plusieurs secondes lui furent nécessaires pour qu’elle comprenne que la chose à l’apparence humaine était en train de l’endormir avec sa musique.

Elle aurait voulu s’enfuir, se boucher les oreilles ou même se jeter sur le monstre pour lui faire cesser son sortilège, mais le sol était si confortable. Le sol ? Quand est-ce qu’elle s’était allongée par terre ? Quand bien même elle se sentait partir vers l’inconscience, une petite part d’elle tentait vainement de refouler cette fatigue factice et regardait paniquée sa conscience migrer vers le monde onirique.

Elle était presque endormie et incapable de réagir quand elle se sentit soulevée et emportée quelque part.


Une douce mélodie, aussi belle qu’envoûtante. Voilà ce qui réveilla Ania.

Elle ouvrit lentement les yeux tandis que les notes de la plus belle des musiques qu’elle ait jamais entendue continuaient de la bercer.

C’était la première fois qu’Ania se sentait aussi reposée.

Elle avait l’habitude de ne dormir que d’un seul œil, que ce soit dans la nature où n’importe qui ou quoi pouvait lui sauter dessus, mais aussi dans les auberges où parfois un ivrogne un peu trop hardi essayait de la visiter pendant qu’elle dormait. Elle ne pouvait pas non plus baisser sa garde avec les membres de son groupe quand c’était eux qui risquaient de devenir trop entreprenant après avoir bu une ou deux chopes de trop.

Les quelques années qu’elle avait passé en tant qu’aventurière avait fait d’elle une femme forte, parée à toute éventualité et capable de se débrouiller aussi bien que n’importe quel homme. Mais elles l’avaient aussi rendue suspicieuse, constamment tendue, paranoïaque même. Bien que ce soit une nécessitée pour ceux qui désiraient rester en vie assez longtemps pour profiter de leurs paies, elle avait tout oublié du confort et des bienfaits qu’une bonne nuit sereine peut prodiguer.

Puis, les souvenirs des évènements les plus récents remontèrent à la surface de sa conscience et un début de panique menaça de la submerger, mais les notes hypnotiques empêchèrent ses émotions négatives de prendre le contrôle de son esprit.

Ne comprenant pas sa propre réaction, Ania décida d’appréhender les alentours, peut-être se trouvait-elle dans une salle différente de celle où l’on avait torturé l’ioren.

Elle se trouvait dans une pièce de modeste taille. Le bois était le matériau principal dans la construction, omniprésent. Que ce soit les murs, le sol ou le plafond, partout où ses yeux se posaient, elle ne voyait que des madriers en bois.

L’aventurière n’était pas une experte en ce qui concernait la construction, mais il n’empêchait pas qu’elle possédait quelques connaissances qui lui restaient de son enfance. Ces maigres notions étaient tout de même suffisantes pour qu’elle puisse admirer la beauté de l’ouvrage. Non seulement l’assemblage semblait s’emboîter parfaitement, mais la finition de chaque élément le constituant était d’une qualité bien supérieure à tous les autres chalets qu’elle avait bien pu voir.

Relevant lentement le haut de son corps pour s’assurer qu’elle n’était pas prise de vertige, Ania en profita pour observer la disposition des lieux.

La simplicité du mobilier surprit la jeune femme. Parce que la construction avait une qualité bien supérieure à la moyenne, Ania s’était attendue à ce que l’intérieur soit bien plus riche et fourni.

À part quelques lits, inoccupés pour la plupart, il n’y avait qu’un bureau sur lequel reposait des instruments et récipients étranges, quelques chaises disséminés ici et là. Un escalier menait à un étage supérieur, mais Ania se doutait qu’il ne devait pas y avoir plus de choses là-haut qu’ici.

Les quelques fenêtres étaient presque closes, laissant filtrer quelques rayons de soleils qui offraient un éclairage tamisé, mais suffisant pour y voir quelque chose à l’intérieur. Le petit courant d’air qui caressait le visage d’Ania lui apprit qu’il ne devait pas y avoir de fenêtres, chose qui l’étonna à nouveau, mais la température semblait idéale, alors elle en déduit que cet oubli devait être volontaire.

Une grande tache écarlate s’étendait sur le lit à côté d’elle. Frissonnant, Ania n’eut aucun mal à l’associer à la scène à laquelle elle avait assisté à son réveil.

Détachant son regard du lieu de tourmente, la jeune femme observa la porte. Cette dernière lui rappela sa tentative de fuite désespérée. Fronçant les sourcils, elle palpa délicatement son épaule droite, mais elle n’en ressentit aucune douleur.

Étrange, pensa-t-elle, songeuse, je suis certaine de me l’être cassée, mais c’est comme si elle n’avait jamais rien eue…

Inconsciemment, elle fit comme à son accoutumée, développer des hypothèses pour essayer de répondre aux choses qu’elle ne comprenait pas.

Elle parvint à dégager trois hypothèses : La première, la moins plausible, était que tout n’avait été qu’un rêve, mais les traces de sang sur le lit d’à côté rendait cette possibilité invraisemblable.

La seconde était celle à laquelle Ania croyait le plus. Peut-être avait-elle dormi assez longtemps pour que la blessure à son épaule se soit résorbée, ce qui expliquait également la sensation de repos qu’elle ressentait.

La dernière lui plaisait le moins. Il était possible qu’un de ces monstres déguisés avaient le pouvoir de soigner des blessures. L’aventurière refusait de croire qu’un groupe d’individus qui possédait une telle puissance avaient également la possibilité de soigner des blessures aussi graves. C’était… injuste !

Et puis, pour quelles raisons se seraient-ils donné la peine de la soigner ? On parlait ici de créatures capables de faire souffrir un ioren de sang-froid, que gagnaient-ils à la garder en bonne santé ? Mais surtout, elle n’avait pas reçue de soins similaires quand on l’avait trouvée agonisante dans la forêt.

À mesure qu’elle s’enfonçait dans ses pensées, de nouvelles questions émergeaient auxquelles elle ne pouvait opposer aucune réponse.

Ania finit par comprendre qu’il lui manquait des éléments pour appréhender sa situation. Quel que soit les théories et hypothèses qu’elle pouvait formuler, rien ne s’emboîtait et rien ne semblait logique.

L’aventurière soupira, essayant ainsi d’évacuer sa frustration, puis elle se décida enfin à se lever.

Essayant de faire le moins de bruit possible, elle posa un pied sur le parquet, puis l’autre. Avec lenteur, elle mit du poids dans ses jambes et poussa prudemment les lames de parquet de la plante des pieds. Sans surprise, aucun craquement ne s’éleva. La qualité du travail et des matériaux était réellement à un niveau supérieur.

Après s’être levée, Ania resta un moment debout, essayant de voir si elle n’était pas prise de vertiges après tant de temps passé au lit, mais elle se sentait parfaitement bien, et la mélodie qui continuait de résonner ne faisait que renforcer cette sensation de bien-être inhabituelle.

Récupérant ses bottes en cuir hautes qui reposaient non loin de son lit, elle les enfila rapidement et les lassa en gardant son regard fixé sur la porte d’où provenait les sons. À part ses bottes et son couteau, aucune de ses affaires ne manquaient.

La jeune femme s’approcha de la porte. Posant sa main sur le loquet en bois, elle se mit à le déplacer, millimètre par millimètre, essayant de faire le moins de bruit possible. Puis, quand elle ne sentit plus de résistance, elle la poussa avec une lenteur calculée, prenant le temps d’observer tout ce qui pouvait tomber dans son champ de vision.

Les notes de musiques se firent plus fortes une fois la porte ouverte, et Ania n’eut aucun mal à comprendre que le garçon qui l’avait endormi de sa harpe se trouvait non loin de là, peut-être même à côté.

Se félicitant pour sa présence d’esprit qui l’avait poussée à ouvrir la porte le plus discrètement possible, Ania se mit détailler les environs.

Elle vit un grand bâtiment dont les cheminées laissaient échapper d’importantes volutes de fumée. Une grande palissade était érigée et Ania ne put s’empêcher de se demander s’il y avait d’autres bâtiments à l’extérieur de cette barrière ou non. Apercevant une tour de garde dans la fortification, de nouvelles questions se soulevèrent dans l’esprit de l’aventurière.

S’agissait-il d’un camp militaire ? Mais pourquoi n’avait-elle vue que des enfants jusqu’à présent ? Quelle était leur nation d’origine ? La langue qu’elle avait entendue n’était en rien similaire à aucune autre langue qu’elle avait pu entendre. Où ce campement se trouvait était la question qu’elle estimait être la plus importante, celle qui nécessitait une réponse rapide.

Avant de perdre conscience, la dernière fois, elle avait été amenée dans un village globs et s’était faite soignée par ces monstres à l’apparence humaine. Elle n’était plus dans le village globs mais la présence des mêmes monstres qui lui avait prodigué des soins la poussait à croire qu’elle se trouvait dans leur village à eux. Se situait-il dans la Forêt d’Arthin ? Ania ne se serait pas étonnée si ces créatures avaient toujours vécues là, mais si profondément que personne ne les avait jamais vus ou avait réussi à s’en sortir vivant pour prévenir les autres de sa découverte.

Si c’était le cas, alors pourquoi se trouvaient-ils dans le village globs ?

Ania referma la porte en douceur tout en essayant de trouver une réponse à cette question.

Sur la pointe des pieds, elle se dirigea vers une fenêtre entrouverte et se mit à chercher des yeux une sortie. Bien que sa curiosité la poussait à rester là et à rencontrer ces êtres étranges pour essayer d’obtenir des réponses à ses questions, l’aventurière avait depuis longtemps compris que la curiosité n’était pas un outil indispensable à un aventurier. Elle préférait continuer à vivre dans l’ignorance que de ne plus vivre du tout.

Accroupie devant la fenêtre, Ania l’entrouvrit un tout petit peu plus afin d’agrandir son champ de vision.

Son regard se posa sur le bâtiment qui semblait être le quartier général du campement, mais maintenant, elle pouvait voir ce qui ressemblait à une zone d’entraînement couverte. Le préau s’étendait de la maison où elle se trouvait jusqu’au bâtiment principal. Protégé des intempéries, de basses palissades délimitaient des petites arènes, et sur chacune de ces palissades, un nombre incalculable d’armes étaient accrochées. Quand Ania vit des arcs suspendus à la barrière de ce qui ressemblait à une zone de tir, son sourire s’élargit.

S’assurant qu’il n’y avait personne dans les environs, l’aventurière regarda la distance qui la séparait du sol et détermina qu’il ne devait pas y avoir plus de deux mètres qui la séparaient du sol, le bâtiment semblait être construit sur pilotis.

Passant ses jambes par la fenêtre, elle s’asseya sur le rebord, prit une inspiration et sauta. Se réceptionnant avec souplesse sur l’herbe épaisse, la jeune femme resta un moment immobile, le temps de s’assurer que personne ne l’avait entendue. Plusieurs secondes passèrent et personne ne s’approcha, Ania en déduit que la mélodie qui jouait depuis tout ce temps avait couvert ses bruits de fuite.

S’étant assuré qu’il n’y avait toujours personne, Ania piqua soudainement un sprint vers son objectif : les arcs accrochés.

En sautant par-dessus l’une des barrières qui se trouvait entre le bâtiment d’où elle venait et la zone de tir, elle attrapa promptement une dague et la glissa dans sa botte d’un mouvement expert. Bien qu’elle ait remarquée l’étrange matière qui constituait l’arme qu’elle venait de dérober, semblable à du bois, elle n’y prêta guère attention. Elle avait besoin d’un arc si elle voulait se protéger, et c’est tout ce qui comptait pour le moment.

Arrivé devant la palissade sur laquelle les quelques arcs pendaient, l’aventurière en saisit un, fit vibrer la corde, et bien que le son qu’elle lui rendit fut différent de ce qu’elle avait l’habitude d’entendre, elle apprécia néanmoins la sensation que la corde dégageait et la manière dont elle vibrait.

Mais où sont les flèches ?!

Ania se rendit compte qu’elle avait fait une erreur de calcul, bien que les arcs semblaient être à la disposition de tous, les carquois devaient certainement se trouver à l’abri dans le quartier général, à quelques mètres de là.

Se maudissant pour son impulsivité, Ania s’apprêtait à jeter l’arme qu’elle avait récupérée et qui risquait de l’encombrer plus qu’autre chose, mais son regard tomba sur un carquois en bois contenant quelques traits, au pied d’un des piliers qui soutenait le toit.

L’archère refoula la panique qui avait commencée à gagner du terrain sur son calme habituel, puis elle récupéra le carquois et s’accroupit derrière une barrière.

Malgré son cœur qui battait à cent à l’heure, Ania ne se sentait pas mal. Elle avait piqué un sprint sur plus de cent mètres, après plusieurs jours sans exercice, mais elle n’était ni essoufflée, ni ankylosée.

Notant qu’elle allait devoir faire des tests pour s’assurer que tout allait bien chez elle, Ania releva la tête et constata que personne encore ne l’avait remarqué.

Que font-ils ? Personne ne monte la garde ou quoi ?

Au lieu de la rassurer, la facilité avec laquelle tout se déroulait angoissait Ania. Des créatures aussi puissantes qu’eux ne pouvaient ne pas l’avoir remarquée, alors elle se demandait ce qu’ils lui réservaient, et l’inconnu laissait sa place à l’imagination fertile de la jeune femme.

Alors qu’elle s’apprêtait à s’approcher du bâtiment qui semblait être soit le quartier général, soit les cuisines, Ania remarqua du mouvement.

Quatre adolescents sortirent du grand bâtiment en face d’elle. Elle reconnut sans mal le géant parmi eux, mais l’autre garçon et les deux filles qui l’accompagnait lui étaient inconnues.

Ils se dirigèrent vers la maison qu’elle avait quittée, et à chaque nouveau pas qu’ils prenaient vers la construction, l’angoisse dans le cœur d’Ania augmentait.

Immobile et impuissante, elle comprit qu’elle se retrouverait dans une situation délicate une fois sa disparition remarquée.

Mais à sa grande surprise, ils s’arrêtèrent devant le bâtiment d’où elle avait fuit. Le garçon brun qui l’avait endormi de sa flûte se leva, révélant sa présence sur les marches qui menait à la porte d’entrée. Le fait qu’elle ait eu raison quant à la présence du garçon ne parvint pas à la consoler.

Il se mit à leur parler, puis le petit groupe prit la direction de la maison juste à côté, où ils pénétrèrent sans même frapper.

Ania ne parvint pas à ressentir du soulagement. Il fallait qu’elle prenne une décision, et vite, elle n’avait gagné du répit que sur une période indéterminée, sans doute assez courte. Alors que l’hésitation la paralysait, elle vit le flûtiste se retourner et la jeune femme sentit son regard la transpercer. L’œil exercé de l’archère n’eut aucun mal à voir le sourire qui fendit son visage en deux.

Précipitamment, Ania se baissa, rompant le contact visuel qui n’avait pas durée plus d’un quart de seconde.

Est-ce qu’il m’a vu ? Il ne m’a pas vu, pas vrai ?! C’est impossible de me voir d’aussi loin, surtout qu’il n’a même pas pris la peine de chercher, comme s’il savait que j’étais là… Il a dû entendre un bruit, mais pas me voir, oui, ça doit être ça…Je suis certaine que son sourire ne voulait rien dire !

Finissant de se rassurer, Ania attendit que les battements de son cœur se calment pour oser regarder si le champ était libre. Malgré son appréhension, il n’y avait plus aucune trace du garçon brun, mais la mélodie qui résonnait suffit à lui faire comprendre qu’il s’était rassis à sa place.

L’absence du musicien influença grandement la décision d’Ania. Elle aurait choisi quoi faire à pile-ou-face si elle avait pu, mais elle n’avait ni le temps, ni les moyens. La jeune femme se mit à courir vers le chalet qu’elle avait quitté. Alors qu’elle était presque arrivée, elle entendit clairement une porte s’ouvrir et des voix échanger des paroles.

Ils arrivent !

Elle accéléra, et une fois arrivée sous la fenêtre par laquelle elle avait pris la fuite, elle s’immobilisa. Que faisait-elle ? Si elle voulait s’enfuir, il n’y avait pas de meilleur moment pour le faire ! Elle s’était donnée la peine d’aller chercher des armes, autant qu’elle en profite pour prendre la poudre d’escampette par la même occasion !

Non loin de là, la voix du flûtiste s’éleva à nouveau, et des rires suivirent. Le sentiment d’empressement se fit plus fort.

Ania se décida en un instant. Elle fourra l’arc qu’elle avait dérobé sous la maison, dans l’espace créé par les pilotis qui soutenaient le bâtiment, entre le sol en terre et le parquet. Elle y mit également le carquois et le poussa du pied pour qu’il reste dissimulé dans l’ombre. Sortant la dague qu’elle avait fauché par la même occasion, elle hésita une demi-seconde avant de la remettre à sa place, dans sa botte.

Elle prit son élan alors que les individus à l’apparence d’adolescents continuaient d’échanger des propos sur un ton de plaisanterie, à peine quelques mètres plus loin. Elle s’élança, posa un pied sur le mur de bois et ses mains crochetèrent le renforcement de la fenêtre. Elle se hissa en s’aidant de ses jambes et glissa sans un bruit à l’intérieur. Refermant les battants tels qu’ils étaient avant qu’elle ne les ouvre, elle s’assura de n’avoir rien modifié d’autre dans la pièce.

Le loquet de la porte se souleva et Ania s’éloigna promptement de la fenêtre, atteignant son lit juste quand la porte finit de s’ouvrir, révélant le garçon brun qui lui offrit un sourire énigmatique.

Puis, cinq personnes entrèrent à sa suite.

Le groupe de quatre à qui le flûtiste avait parlé apparurent les uns après les autres avant que le géant ne laisse place à l’ioren qu’elle reconnut immédiatement.

Plusieurs émotions se succédèrent, mais la stupéfaction fut la plus importante de toutes.

Que faisait-il ici ? Que se passait-il ? Pourquoi accompagnait-il ces barbares qui lui avaient charcuté le bras ? Pourquoi souriait-il de la sorte en leur compagnie ?!

L’incompréhension se lisait sans peine sur le visage de l’archère, mais peu lui importait de conserver une façade, plus rien n’avait de sens et elle avait perdu la volonté de produire des hypothèses pour expliquer l’inexplicable.

Elle nota néanmoins que le bras de l’ioren était couvert de bandages et soutenu par un tissu noué sur sa nuque. Ce détail la rassura un peu. Cela signifiait qu’elle n’avait pas perdu la raison et que ce qu’elle avait vu n’était pas une hallucination. Mais cela soulevait aussi de nouvelles questions.

Repoussant son envie de les questionner, Ania se tint droite, faisant de son mieux pour ne pas trahir son désarroi.

Quelques secondes passèrent durant lesquelles personne ne parla, puis le ioren prit la parole.

Se pointant du doigt, il prononça un mot simple.

– Tom.

Ania le dévisagea, se demanda ce qu’il essayait bien de vouloir exprimer, mais garda le silence, se contentant de l’observer, légèrement terrifié par la présence des autres créatures.

L’ioren répéta plusieurs fois le mot «Tom » avant de pointer du doigt le géant et dire « Anthon ». La jeune femme comprit alors qu’il nommait ces gens.

Ainsi, Ania apprit que le ioren se prénommait Tom, le géant était Anthon, la belle jeune fille blonde aux yeux marrons était Amélie. La deuxième fille, plus petite en taille qui semblait particulièrement timide se nommait Zoé, et le dernier membre du groupe, un jeune homme au faciès particulièrement plaisant, était Nathan. Le flûtiste portait un nom étrange, quelque chose comme « Ouyliam », mais c’était certainement parce qu’ils utilisaient une langue différente qu’elle trouvait tout cela différent.

Puis, une fois que Tom eut terminé de présenter tout le monde, tous la dévisagèrent, l’air d’attendre quelque chose.

Bien qu’elle fût tentée de donner un faux nom, Ania se décida à leur avouer la vérité. Se pointant du doigt, elle ouvrit la bouche et prononça, d’une voix hésitante :

– Ania…


Amélie broyait du noir.

Avachie sur sa chaise, elle faisait semblant de lire une des nombreuses tablettes qui traînait sur son bureau.

Depuis que Sarah et Tom avaient été soignés, la guérisseuse s’enfonçait tous les jours un peu plus dans un état de dépression alarmant.

Elle ne parvenait pas à oublier le sentiment d’impuissance auquel elle avait été confrontée quand sa camarade s’était retrouvée souffrante, sous sa responsabilité.

Bien qu’elle ait tout tenté pour trouver un remède ou simplement apaiser ses souffrances, rien n’avait fonctionné. Durant cette période, chaque nouvel échec l’avait frustré jusqu’à ce que le cumul de ces frustrations ne dépasse le seuil supportable et qu’elle perde complètement le contrôle d’elle-même.

Si le groupe d’Anthon était rentré plus tard… Amélie ne préférait pas y penser, car cela la déprimait encore plus.

À quoi est-ce que je sers ?

C’était la question qui la tracassait le plus, car elle n’avait pas encore trouvé de réponses qui lui convienne.

Faisant part de ses doutes à Nathan, ce dernier lui avait répondu sans même hésiter :

– À quoi tu sers ? Mais tu es la personne la plus importante ici ! Tu nous aides quand on est blessé et tu fais de ton mieux pour soulager notre douleur. Comment pourrait-on se passer de toi ?

Il avait accompagné sa tirade d’un sourire qui le rendait si charmant qu’Amélie n’avait même pas écoutée ce qu’il avait dit, trop concentrée à essayer de contrôler la rougeur qui lui montait aux joues et son rythme cardiaque qui s’était emballé.

Se rendant compte que demander à Nathan quoi que ce soit était non productif, elle se tourna vers une personne en laquelle elle avait découvert la parfaite confidente : Zoé.

Après qu’elle lui ait exposé son problème, Zoé hocha la tête avec l’expression sérieuse qu’elle réservait aux conversations « importantes », puis elle commença en disant une phrase qui eut le don d’agacer grandement Amélie.

– J’ai eu un problème similaire au tien, et quand j’en ai parlé à Tom, il m’a dit…

La guérisseuse cessa de prêter attention à ce qu’elle racontait quand le génie fut mêlé à la discussion. Elle ne voulait pas en entendre parler, surtout pas dans ce cas-là. Même si les paroles de Zoé pouvait lui faire du bien, le fait qu’elles soient inspirées de ce que Tom avait dit rendait caduque leur efficacité. Amélie refusait de se faire aider par cet asocial antipathique aux tendances sociopathes.

Seulement voilà, les gens qu’elle consulta pouvaient bien dire ce qu’il voulait, la guérisseuse se sentait plus inutile que jamais.

Elle en était arrivée à un point où elle s’était retrouvée sans s’en rendre compte devant la maison de Tom, prête à toquer à la porte. Sa fierté personnelle l’empêchait de quémander de l’aide à l’une des personnes qu’elle détestait plus que jamais. Inconsciemment, elle jugeait injustement Tom responsable de son état. Parce qu’elle n’avait de cesse de se comparer avec lui et qu’elle sortait toujours perdante de ces comparaisons, elle avait l’impression que le génie était la personnification de son échec, et son égo en souffrait grandement.

Elle s’était déjà montrée faible en sa présence, se laissant aller quand il avait touché un point sensible, avant qu’ils ne partent en expédition, elle n’allait pas recommencer et lui donner le plaisir de la voir pleurer.

Un bruit retentit, tirant l’adolescente de ses pensées dépressives.

Les sons qui venaient de retentir provenaient d’une petite installation qu’Amélie avait demandée à Joseph de concevoir. La porte au rez-de-chaussée était reliée à l’étage par une petite ficelle accrochée à des petits cylindres en bois creux remplis de graviers qui s’entrechoquaient bruyamment quand on ouvrait la porte.

– J’arrive !

Après avoir averti ses invités, et patients potentiels, la jeune fille se leva et s’habilla promptement. Elle passa de l’eau sur son visage pour essayer de se redonner de l’énergie, mais cette action n’eut pas l’efficacité escomptée.

La guérisseuse attacha ses longs cheveux blonds en une queue de cheval haute, une coiffure que l’adolescente trouvait convenable autant sur un plan pratique qu’esthétique.

Elle jeta un dernier coup d’œil sur sa « chambre », puis s’étant assurée qu’elle n’avait rien oublié, s’approcha des escaliers.

Pour des raisons pratiques, Amélie avait décidé de convertir l’étage de l’infirmerie en un petit studio dans lequel elle pourrait vivre. Le jour suivant sa décision, Joseph avait confectionné tous les meubles que la guérisseuse avait demandé, Chris et Jules les avaient transportés en haut des escaliers.

Son camarade estropié avait alors entreprit de faire un système d’évacuation pour la salle de bain qui fut rapidement installé. Bien que ça l’ait grandement agacé, Joseph s’était contenté d’imiter celui que Tom avait conçu pour sa chambre dans sa maison, faute de mieux. Il prit également le temps de refaire un système hydraulique dont Amélie n’avait pas besoin, étant capable de créer de l’eau grâce à la magie.

Puisque son camarade s’était donné la peine de tout faire, la jeune fille se voyait mal le rembarrer, surtout pour une raison aussi puérile que « je ne veux pas de ce que tel individu a conçu dans ma chambre ». Le fait qu’elle ait remarqué sa propre stupidité ne la fit que se détester plus, et Tom par la même occasion.

Personne n’avait rien dit sur le fait qu’elle s’approprie un espace personnel de la sorte, tous comprenaient que c’était bien plus pratique pour les blessés et la guérisseuse que cette dernière vive juste au-dessus de ses patients.

Une fois en bas des escaliers, la jeune guérisseuse jeta un regard circulaire sur l’infirmerie et découvrit Sarah, assise sur un lit.

En voyant sa camarade, les lèvres de l’ancienne patiente s’étirèrent en un grand sourire dévoilant une dentition parfaite. Ses yeux en amande se rétrécirent pour ne former plus que deux fentes à travers lesquelles on voyait de la malice pétiller dans l’émeraude de ses pupilles.

Levant une main pour la saluer, elle s’écria :

– Salut Mel ! C’est l’heure de ma visite quotidienne !

La bonne humeur de Sarah était contagieuse car, rapidement, Amélie sentit les commissures de ses lèvres remonter.

– Salut Sarah, comment tu te sens aujourd’hui ?
– Non mais regardez-moi ça, la voilà devenue un véritable médecin ! Il ne te manque plus que la blouse et le diplôme et tu pourrais ouvrir ton cabinet !

Même si cela lui réchauffait le cœur d’entendre des compliments, l’humour taquin n’eut pas l’effet escompté sur la guérisseuse aujourd’hui. Elle ne put s’empêcher de répondre, sur un ton dénué d’humour, une phrase qu’elle regretta dès qu’elle franchit ses lèvres.

– Ça va être difficile pour nous d’obtenir un diplôme si on se fait zigouiller par un monstre grand comme une maison.

Pourtant, ce pessimisme inhabituel de la part d’Amélie n’eut aucun effet sur Sarah. Elle garda son sourire, mais son air malicieux s’effaça au profit d’une expression plus douce qui reflétait toutes les bonnes intentions et l’affection que l’ancienne patiente éprouvait pour sa camarade soigneuse.

– Tant qu’on se fait pas zigouiller par un monstre, grand comme une maison ou petit comme une tête d’épingle, on peut toujours espérer revenir à la maison. Et puis regarde le bon côté des choses, quand on rentrera, on sera super connu !

Elle tendit son bras et tapota gentiment l’épaule d’Amélie. Sarah était une fille sensible aux émotions des autres, mais malgré ça, elle ne vit pas la détresse que son amie ressentait et prit cet élan de négativité comme une soudaine mélancolie.

La guérisseuse sourit en sentant les bonnes intentions de Sarah qui tentait de la réconforter à sa manière. Cet échange fut comme une piqûre de rappel pour Amélie. Elle avait des responsabilités ici ! Elle ne pouvait pas se laisser aller de la sorte !

Reprenant une expression sérieuse, elle commença son interrogatoire qui était devenue une routine pour sa patiente.

– Bon, voyons voir cette jambe ! T’as ressenti quelque chose dernièrement ? Inconfort ? Douleur ? Courbatures ou crampes ? Spasmes musculaires ou boutons ?

Sarah fit semblant de réfléchir une seconde avec de répondre avec un air faussement sérieux :

– Hmm, je me suis gratté la jambe hier en me réveillant, est-ce que ça compte ?
– Si c’est tout, je pense que ça devrait aller.

Amélie lui sourit puis s’accroupit et se mit à détailler la jambe de sa camarade.

Comme la plupart des lycéens, Sarah avait découpé le bas du jean qu’elle portait en arrivant ici, se retrouvant avec un short relativement court qui mettait en valeur ses longues jambes fines et élancées. La peau mate de son mollet gauche était parcourue d’imperceptibles cicatrices, mais à part ces petites marques, il ne restait plus aucune trace de la blessure qui avait failli lui coûter sa jambe ou sa vie.

Le fait que tout se présente aussi bien était rassurant, mais la guérisseuse ne voulait pas risquer quoi que ce soit et avait demandé à sa camarade de passer la voir tous les jours pour vérifier qu’elle était parfaitement guérie. Cela faisait déjà six jours que rien ne semblait sortir de la normale, et Amélie décida que si au bout du dixième jour, rien n’avait changé, elle considèrerait Sarah complètement guérie.

– Quelque chose a changé depuis ta rémission ?

Avant de répondre, Sarah prit le temps de réfléchir, sérieusement cette fois.

– Je ne crois pas, j’ai perdu des jambes, mais mes performances n’en ont pas moins baissé, au contraire, je cours plus vite que jamais. Mais à part le fait que maintenant, mes cuisses soient tellement fines qu’on dirait deux bâtonnets de bois, rien.

Puis, comme si répondre sérieusement était trop difficile pour elle, elle ajouta avec un sourire complice :

– Et puis, j’ai l’impression que ma peau est beaucoup plus sensible maintenant que je me rase les jambes avec des armes blanches… Je pense que je devrais me laisser pousser les poils de jambes, ça sera sans doute plus confortable !

Les deux filles se regardèrent avant d’éclater de rire.

Une fois qu’elles parvinrent à calmer leurs fous-rires, Amélie jeta un coup d’œil sur les jambes de sa camarade, mais se garda bien de donner son avis.

Avant qu’ils ne se retrouvent dans ce monde, Sarah faisait partie du club d’athlétisme. Si elle avait été acceptée dans leur lycée, c’était parce qu’elle était l’une des meilleures de sa génération. Championne de France et vice-championne d’Europe, elle avait fait parler d’elle, et les photographies qu’on avait prises d’elle pour un magazine sportif avait fait complexer plus d’une de ses camarades. Les années à pratiquer l’athlétisme avaient sculpté son corps jusqu’à ce qu’il soit optimisé pour son sport.

Cependant, depuis qu’ils étaient arrivés ici, ses jambes musclées avaient grandement perdue en volume. Bien qu’elle se plaigne d’être à présent anorexique, les autres filles gardaient le silence et jalousait secrètement leur amie. La plupart trouvaient injuste la génétique qui faisait un travail si mal équilibré.

Il fallait dire que du haut de son mètre quatre-vingts-un, avec ses long cheveux d’un noir profond qui cascadaient jusqu’au creux de ses reins en formant des boucles épaisses, encadrant un visage triangulaire parfaitement symétrique ; ses yeux verts qui contrastaient avec sa peau mate, créant une harmonie qu’on avait plus souvent l’habitude de croiser chez les actrices hollywoodiennes que dans la vie réelle, le terme beauté orientale n’était presque pas suffisant pour la qualifier.

En plus de cela, elle avait une personnalité si charmante qu’il devenait difficile de ne pas l’aimer. Combien de filles auraient préférées qu’elle ait un comportement exécrable pour avoir une bonne raison de la détester.

Alors qu’avant, les autres filles pouvaient se réconforter en se disant que Sarah avait réussi à obtenir cette silhouette de sportive esthétiquement parfaite grâce à son sport et qu’elles avaient donc la possibilité d’y parvenir aussi en faisant des efforts, force était de constater que la nature semblait offrir des traitements préférentiels à un nombre réduit de personne.

– Au final, pourquoi vous refusez de me dire ce qu’il m’est arrivé ?

La question de Sarah sortit la guérisseuse de ses pensées puériles.

Elle releva la tête et dévisagea sa camarade qui la fixait, un air sérieux sur le visage qu’elle ne lui connaissait pas.

Les souvenirs du traitement de Sarah lui revinrent en mémoire et elle hésita. Elle aurait voulu lui dire la vérité, mais elle sentait que la jeune fille n’était pas prête à l’entendre. Amélie ne pouvait pas non plus compter sur Zoé pour lui avouer ce qu’il s’était passé. Si c’était l’un des garçons présents qui lui annonçait la chose, elle allait se sentir honteuse que des gens l’aient vu dans un tel état, et Tom serait du genre à lui créer un traumatisme.

Il lui dirait sur un ton froid et dénué de tout sentiment quelque chose ressemblant à : « Tu avais des larves vivantes qui se nourrissaient de ta chair en décomposition, on les a extraites une par une en drainant le pus de la quarantaine de furoncles qui parsemaient ta jambe gauche. »

Cette représentation mentale du garçon poussa Amélie à mentir, chose qu’elle ne parvenait pas forcément à réussir avec brio.

– Euh, je sais pas trop en fait, c’était très confus, on avait Tom qui souffrait le martyr et l’aventurière qui a tenté de prendre la fuite, je crois que je t’ai lancé un sort en me trompant sur un mot, et ça a miraculeusement marché.

Essayant de maintenir un visage impassible en racontant ce mensonge, Amélie se dit que cette version valait mieux que l’originale. Les explications du gobelin balafré leur avaient tous fait froid dans le dos.

Selon Buluglu, elle avait reçue une piqûre d’un démon volant brillant. C’était, d’après la description qu’il en faisait, un petit insecte qui ressemblait au croisement d’une araignée et d’un scarabée. Partout sur sa carapace étaient incrustées ce qui ressemblait à des petites pierres précieuses brillantes.

Cet insecte avait la fâcheuse habitude de piquer des êtres vivants et d’injecter sous la peau de ses victimes ses œufs. Charrié par le sang, les œufs se mettaient à produire une substance qui provoquait la liquéfaction des matières organiques autour de l’œuf. Puis, baignant dans un liquide riche en nutriment, l’œuf absorbait ses derniers avant de se transformer en larve.

Une fois que le corps de l’être parasité n’avait plus rien à offrir, les larves se frayaient un chemin à travers la carcasse en putréfaction de leur hôte. Elles allaient errer pendant un certain temps avant de se tisser un cocon et de devenir un insecte adulte.

– Je vois… Je suppose que je vais devoir me contenter de ça pour le moment.

Pas dupe, Sarah avait bien compris que son amie lui cachait quelque chose, mais elle préférait ne pas insister. Connaissant Amélie, elle savait que jamais elle ne dirait un mensonge pour autre chose que de bonnes raisons.

Comprenant qu’elle n’obtiendrait pas plus de réponses quant à ce qu’il lui était arrivé, Sarah décida de changer de sujet.

– Oh, et sinon, l’aventurière est pas là ? Tout le monde est super curieux à son propos, pourquoi elle ne reste pas avec nous ?

Voyant le regard d’Amélie se durcir, Sarah se demanda si elle n’avait pas ramené sur la table un sujet qui valait mieux éviter, mais avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit d’autre, Amélie poussa un long soupir.

– T’as pas idée à quel point « curieux » est un faible mot pour parler de l’invasion d’abrutis que j’ai subie depuis qu’elle s’est réveillée, il y a deux jours.
– À ce point ? T’exagère même pas un peu ?

Sarah semblait réellement surprise. Elle s’attendait à ce que ses camarades soient excités par l’arrivé d’une humaine inconnue, mais de là à parler d’inondation ?

– Tu crois que j’exagère ? Onze fois ! Chris et Jules sont venus onze fois ! À chaque fois, ils prétendaient s’être coupés ou s’être fait un bleu « sans le faire exprès ». Et à chaque fois qu’ils étaient là, ils passaient leurs temps à regarder partout l’air de chercher quelque chose, j’ai même surpris Jules en train de fureter près de l’escalier. J’ai été obligé de leur botter les fesses pour qu’ils arrêtent leurs simagrées.

Même William est venu. Il disait avoir mal aux yeux, mais je suis persuadé qu’il cherchait lui aussi à apercevoir la nouvelle venue !

Devant sa colère qui semblait réelle, Sarah ne put s’empêcher de pouffer de rire. Il était rare qu’Amélie agisse de la sorte, mais à entendre ce qu’il s’était passé, elle comprenait parfaitement pourquoi elle se mettait dans un tel état.

– Ça ne m’étonne pas de la part de Chris et Jules, ces deux-là n’apprennent jamais rien de leurs erreurs. Mais je suis étonné qu’aucun d’entre eux n’ait réussi à la croiser.
– Bah, pour je ne sais quelle raison, ils semblent persuadée qu’elle loge ici, mais en réalité, elle vit chez Tom. Il s’est mis en tête d’en apprendre plus sur sa langue et ce monde, et donc il a décidé qu’il passerait autant de temps avec elle qu’humainement possible.
– Tu veux dire qu’ils… vivent ensemble ?
– Ouais, je pense pas qu’on ait besoin de s’inquiéter, mais quand Zoé l’a appris, elle n’a pas arrêtée de se plaindre pendant au moins deux heures avant d’aller trouver Lily et continuer. Je ne l’avais jamais vu jalouse avant.

Sarah rit en entendant cette anecdote, mais elle n’avait pas terminé son interrogatoire.

– Et toi ? Qu’est-ce que tu en penses ? Je veux dire, on parle bien d’une vraie femme, non ? Avec un jeune adolescent en pleine puberté, t’as pas peur que certaines choses se passent entre eux ? On ne sait jamais ce que Tom pense, peut-être que vivre si proche d’une personne du sexe opposé va le transformer en une bête sauvage !

Amélie planta son regard dans les yeux émeraudes de son amie, une expression indéchiffrable sur le visage.

– Mais qu’est-ce que tu racontes ? On parle bien de Tom, pas de Jules ou Elias. J’ai un peu de mal avec lui, mais l’une de ses rares qualités est qu’il pense avec sa tête, et pas une autre partie de son anatomie.

Sarah eut l’air un peu déçu, réaction que la jeune guérisseuse ne comprit pas tout à fait.

– T’es pas drôle, Mel, c’est pas comme ça que tu vas gagner la guerre !

Perplexe, Amélie s’apprêtait à lui demander une explication plus approfondie sur ce qu’elle entendait par « guerre » quand la jeune fille reprit en parlant de quelque chose qui attisa sa curiosité.

– Mais sinon, est-ce que Anthon était avec Romane quand elle est passée te voir ? Je suis sûr que oui, il a toujours dégagé des ondes super romantiques !
– De quoi tu parles ? Pourquoi Romane serait passée ? Et c’est quoi ces « ondes romantiques » ?
– Ah !

Les yeux verts de Sarah s’écarquillèrent et elle plaqua une main sur sa bouche grande ouverte, comme si elle voulait s’empêchait de lâcher d’autres cris de surprise.

Immédiatement, Amélie comprit qu’elle venait de dire quelque chose qu’elle n’aurait pas dû.

– Sarah, de quoi est-ce que tu parles ?! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Bien qu’Amélie avait une petite idée de la raison pour laquelle Romane pouvait la visiter en tant que patiente, elle préférait s’assurer de la chose plutôt que sauter hâtivement aux conclusions.

– Quoi ? Je ne vois pas de quoi tu parles ! Oh, j’avais oublié que, euh, Luke avait besoin de moi pour s’entraîner au lancer de couteau ! Faut que je file !

Et avant qu’Amélie puisse la retenir, Sarah se précipita vers la porte et s’enfuit en criant un « Salut Mel ! À plus ! » avant de disparaître.

Au moins, elle a vraiment l’air de s’être rétablie, elle court plus vite que n’importe qui ici, constata Amélie avec un petit sourire.

Maintenant, il lui fallait retrouver Romane et avoir la conversation avec elle.

Se retrouvant toute seule, l’humeur joviale que Sarah avait réussie à lui transmettre se transforma rapidement en déprime.

Pourtant, sa conversation avec Sarah lui avait fait un peu de bien.

Elle remonta dans sa chambre et se réinstalla devant son bureau, cependant, elle ne parvint pas à se concentrer sur les tablettes devant elle.

Après dix minutes passées à relire la même phrase en boucle, Amélie décida d’aller faire un petit tour pour essayer d’aérer son esprit, encombré de nombreuses pensées inutiles et négatives.

Elle redescendit les escaliers et arrivée devant la porte, prit une grande inspiration, comme pour se donner du courage. L’adolescente l’ouvrit en grand, la faible lueur projetée par les soleils qui entamaient leur descente quotidienne l’illumina tandis qu’une douce brise caressa timidement son visage.

Le vent portait les notes de musiques qui s’échappaient de la flûte de Will et quand elles parvinrent à ses oreilles, un sentiment de bien-être l’enveloppa. Pendant un instant, elle oublia ses maux, ses craintes et sa tristesse et fut heureuse de simplement pouvoir respirer l’air frais.

Elle déambula sans but véritable dans le campement, discutant avec ses camarades, rigolant avec ses amies sur le dernier chapitre de l’histoire de Lily, remarquant Romane qui faisait de son mieux pour l’éviter, rougissant aux compliments que Nathan lui fit, appréciant la musique de William et le spectacle animalier que la bande de créature suivant le musicien offrait malgré eux.

Puis, alors qu’elle s’apprêtait à rentrer chez elle pour attendre l’heure du dîner, remplie d’énergie positive, elle se retrouva devant la maison de Tom, juste à côté de l’infirmerie.

Elle se détourna en levant les yeux au ciel, se jugeant idiote d’être ainsi obsédée par un rien, mais les paroles de Sarah lui revinrent en mémoire : On ne sait jamais ce que Tom pense, peut-être que vivre si proche d’une personne du sexe opposé va le transformer en une bête sauvage !

– Je ne rentre pas parce que je suis curieuse, mais simplement parce que je dois m’assurer que Ania va bien. Oui, j’y vais en tant que guérisseuse !

Donner cette excuse à haute-voix était le seul moyen qu’Amélie avait trouvé pour rassembler assez de courage afin de rentrer chez le génie asocial.

Elle ouvrit lentement la porte et pénétra à l’intérieur. Les fenêtres étaient grandes ouvertes, laissant entrer la lumière du jour et éclairant la pièce, révélant le bordel qui y régnait.

Des tablettes à moitié remplie traînaient partout, de la vaisselle sale avec des moucherons qui virevoltaient gaiement autour des restes de repas qui commençaient à pourrir. Des vêtements, sans doutes sale, étaient abandonnés ici et là. Le bureau de Tom était tellement encombré, principalement de choses qu’Amélie ne connaissait pas ou qui ressemblaient à des instruments dont elle ignorait l’usage, que l’on ne voyait plus sa surface.

Un bruit soudain attira son attention.

Sous les escaliers, un hamac avait été tendu duquel le gobelin balafré venait de se lever.

Il s’approcha de la guérisseuse qui fit un pas en arrière, puis déposa la tablette qu’il lisait en équilibre sur le bureau. Posant un doigt griffu sur sa bouche, il lui fit clairement comprendre qu’elle devait garder le silence.

Amélie entendit la voix de Tom à l’étage, puis celle de la jeune femme, mais elle ne parvint pas à comprendre quoi que ce soit. Ce n’était que des murmures presque inaudibles.

L’adolescente voulu monter les escaliers, mais le gobelin se mit en travers de sa route en secouant lentement la tête.

Le message était clair : ne pas monter les escaliers.

Bien qu’il n’affichait pas une attitude agressive, le gobelin dont elle ne se souvenait pas du nom avait un physique assez menaçant pour que sa simple présence lui retire toute envie de le défier.

Grinçant des dents, Amélie fit demi-tour et sortit de la maison en claquant la porte. Toute l’énergie positive qu’elle avait réussi à emmagasiné au contact de ses camarades s’était évaporé, laissant la place à une colère sourde à l’encontre de Tom.

Ses yeux se posèrent sur l’infirmerie, mais au lieu de rentrer chez elle, Amélie se dirigea vers les dortoirs pour parler avec la seule personne qui avait le plus de chance de régler ce conflit : Charlotte.


Il faisait noir quand Amélie termina sa conversation avec Charlotte. Les soleils s’étaient déjà couchés depuis un bon moment, leurs dernières lueurs finissaient de disparaître pour laisser place aux ténèbres de la nuit.

Les deux femmes avaient discuté pendant plus de quatre heures d’affilées.

L’adolescente lança un au revoir à son professeur qui la regardait sur le pas de sa porte, cette dernière lui adressa un dernier sourire encourageant en retour avant de fermer sa porte, certainement pour se préparer à dormir.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Amélie se sentait en paix avec elle-même. Le tourbillon d’émotions négatives qui n’avait eu de cesse de prendre de l’ampleur et menaçait de l’engloutir avait disparu.

Alors qu’elle était passée la voir pour lui demander de parler à Tom et de lui faire cesser son comportement qu’elle jugeait agaçant, elle s’était retrouvé assise, une tasse de thé à la main, à parler de ses insécurités et de ses craintes à cœur ouvert.

La guérisseuse ne savait pas si Charlotte avait utilisé de la magie pour la faire parler de la sorte ou si elle était simplement douée pour forcer ses interlocuteurs à s’ouvrir, toujours est-il qu’elle se contenta de poser deux ou trois questions après qu’Amélie eut fini de se plaindre pour que cette dernière se mette à lui dévoiler tout ce qui pesait sur son cœur.

Se frottant les yeux bouffis, l’adolescente descendit les escaliers. Elle avait beaucoup pleuré en parlant avec sa professeure, mais avec ses larmes étaient sortis les sentiments qu’elle avait gardés pour elle-même pendant si longtemps.

C’était la première fois qu’Amélie se lâchait de la sorte, mais malgré la peur qui l’avait prise au ventre pendant qu’elle se révélait complètement à Charlotte, son silence et l’expression avenante que sa professeure affichait l’avait rassurée, la poussant à s’ouvrir encore plus. En retour, elle n’avait reçu aucun jugement négatif ou moquerie mais uniquement des conseils ou des mots gentils.

C’est avec une facilité déconcertante que le petit professeur avait ouvert en grand la porte que l’adolescente avait tenté de maintenir fermé par tous les moyens pendant toutes ces années. Mais plus que cela, elle ne se contenta pas d’ouvrir la porte et de se laisser immerger par le flot de sentiments qui avaient été contenus si longtemps, elle avait pour chacun d’entre eux quelque chose à dire, pas juste un commentaire désintéressé, mais un point de vue adulte sur la question.

Au fur et à mesure que leur conversation continuait, Amélie se rendait compte que jamais elle n’aurait pu discuter de la sorte avec ses camarades. Aucun d’entre eux ne possédait la maturité nécessaire à accompagner correctement un adolescent en pleine crise existentielle. Même Tom ne serait pas parvenu à régler son problème, elle en était persuadée. Bien qu’il soit prodigieusement intelligent, il vivait dans un monde régit par la logique. Il était très difficile pour lui d’appréhender les sentiments, et ce n’était pas parce qu’il n’en ressentait pas, mais parce qu’il appliquait sa logique rigoureusement parfaite là où elle n’avait pas sa place.

« Sache que si tu ne le comprends pas, lui non plus ne te comprends pas. Et tu as beau le juger, il fait l’effort d’essayer de te comprendre même si on ne dirait pas, je peux t’en assurer. Tom est le genre d’individu sur qui on ne peut pas pousser une idée sans démontrer sa logique implacable. Quand une démonstration ne résout pas un problème, on ne répète pas la démonstration on espérant qu’elle fonctionne, on fait une nouvelle démonstration, différente de la première. »

Bien qu’au moment où elle avait dit ceci, Amélie avait immédiatement démentit cette affirmation, au plus profond d’elle-même, l’adolescente savait que c’était la vérité.

Plus elle y pensait, plus elle était persuadé que c’était ça son secret : garder le silence, écouter, puis donner un conseil ou poser une question qui forçait la réflexion et poussait à l’introspection.

Les lycéens avaient tendance à l’oublier, mais malgré son physique, Charlotte avait tout de même un master en psychologie en plus de sa thèse en histoire, et même si elle était précoce, il n’empêchait pas qu’elle avait quelques années de plus qu’eux, et la maturité qui allait avec elles.

Toujours est-il que cette séance de psychanalyse lui avait fait le plus grand bien. Elle était déterminée à changer et à affronter ses démons.

Sortant des dortoirs, l’adolescente apprécia la petite brise qui lui rafraîchit la peau et lui fit un bien fou.

Restant exposé aux éléments quelques secondes, Amélie s’étira et décida qu’elle avait mérité de prendre un bon bain.

Depuis qu’elle était entrée en dépression, la guérisseuse n’avait plus pris de bain, se contentant de faire sa toilette dans sa chambre en utilisant sa salle de bain. Maintenant qu’elle s’était libérée de cette gangue de négativité, elle sentait qu’il était temps de reprendre son habitude des longues trempettes nocturnes solitaire.

Elle rentra chez elle récupérer des affaires propres avant de prendre la direction du lac.

Parce que la nuit était tombée, tous les élèves étaient partis se coucher, à l’exception de ceux qui montaient la garde et patrouillaient sur le chemin de ronde installé sur le rempart.

Elle sortit du campement par la grande porte, saluant Louis qui lui rendit son salut et lui souhaita un bon bain un riant.

Arrivé devant la palissade, elle entra dans le vestibule qui précédait les bains et où l’on se changeait. Elle commença à se déshabiller quand une voix lui parvint du côté des bains.

Fronçant les sourcils, elle tendit l’oreille, restant immobile pour s’assurer qu’elle n’hallucinait pas. Hélas, elle reconnut sans problème la voix qui s’éleva en réponse à la première.

Sans réfléchir, elle ouvrit la porte des bains et se retrouva en face d’un Tom immergé dans le bain, accompagné par l’aventurière qui eut un sursaut de frayeur en la voyant débouler comme ça.

Le garçon se retourna paresseusement et haussa les sourcils en voyant la guérisseuse qui le dévisageait, vibrante de colère.

Fidèle à lui-même, il répondit avec une expression nonchalante, sortant sa main de l’eau et l’agitant pour la saluer.

– Oh, salut Amélie, tu veux te joindre à nous ? La température de l’eau est idéale.

La guérisseuse eut une soudaine envie de lui crier dessus en voyant son attitude désintéressé, mais elle se rappela de la longue discussion qu’elle avait entretenue avec Charlotte. Elle était différente maintenant. Elle avait changé, et en bien, elle n’était plus cette adolescente puérile qui s’énervait dès qu’elle voyait Tom faire quelque chose qu’elle n’appréciait pas.

Ce changement, elle allait le démontrer.

Prenant une grande inspiration, comme pour se donner du courage, Amélie se força à sourire avant de répondre :

– Quelle bonne idée, attendez une seconde, j’arrive.

Elle repartit dans le vestibule et se déshabilla. Bien sûr, elle garda ses sous-vêtements. Elle avait changé, peut-être, mais pas au point de s’exhiber devant une personne qu’elle n’appréciait pas juste pour lui prouver qu’elle était différente.

Ressortant de la petite pièce, elle se glissa le plus rapidement possible dans l’eau, gardant une certaine distance avec Tom, mais ce dernier, en pleine conversation avec Ania, ne lui jeta même pas un coup d’œil.

Cinq minutes plus tard, alors qu’ils avaient cessé de parler, Amélie interrompit le silence qui était retombé dans le bain.

– En fait, pourquoi est-ce qu’on ne la voit jamais ? Elle pourrait pas essayer de discuter avec nous un peu ?

Tom, qui avait fermé les yeux et se laissait bercer par les clapotis de l’eau et les chants des insectes et autre animaux nocturnes, releva la tête et dévisagea sa camarade.

– C’est parce que vous lui faites peur.

Pendant un instant, l’adolescente pensa qu’il se moquait d’elle et voulut répondre à sa tentative d’humour par une remarque cinglante, mais le visage de Charlotte apparut dans sa tête et elle se retint.

– Qu’est-ce que tu veux dire par « on lui fait peur » ?
– Eh bien, pour faire simple, vous possédez tous une quantité de magie phénoménale, tellement importante qu’elle fuit sans arrêt. Vos « auras » sont si écrasantes que les personnes qui les sentent sont instinctivement paralysées par la peur, en tout cas, c’est ce qu’Ania ressent.

Amélie n’en croyait pas ses oreilles, elle faisait peur ? Elle ?

Jetant un regard sur l’aventurière, la guérisseuse remarqua qu’elle s’était approchée de Tom, comme pour se cacher derrière lui.

Tom se remit à parler et sa camarade reporta son regard sur lui.

– C’est pour ça qu’elle vient se baigner le soir. Il y a trop de monde la journée, et elle ne se sent pas rassurée en votre présence.

Je vois, mais ça n’explique pas sa présence dans le bain, avec elle… Quoi qu’il m’a déjà dit que ce n’était que de la chair à ses yeux. Il doit s’en ficher qu’on le voit nu ou l’inverse.

Gardant cette pensée pour elle-même, Amélie hocha la tête, montrant qu’elle comprenait bien la situation.

– Et sinon, tu as appris quelques trucs qui pourraient être important pour nous ?

Tom garda le silence pendant quelques secondes, et au moment où la jeune fille s’apprêtait à reformuler sa question, pensant qu’il ne l’avait pas entendu, il répondit.

– Oui, j’ai appris quelques trucs, en effet, mais je pense qu’il n’est pas encore temps pour vous de les savoir. Je préfère éviter que l’un de vous se mette en tête quelque chose qui soit dangereux pour le groupe, tu comprends, n’est-ce pas.

Bien qu’elle comprenait parfaitement, elle n’était pas forcément d’accord. Pour elle, ce genre de décision devait être discutées avec les autres, mais quoi qu’elle dise, elle savait que Tom ne changerai pas d’avis, alors elle préféra laisser tomber le sujet.

– Et sinon, comment va Ania ? Elle n’a pas mal quelque part ou quelque chose ? Vu qu’elle ne passe pas à l’infirmerie, je ne peux pas m’assurer que ses blessures se sont rouvertes…

Sans même demander quoique ce soit à l’aventurière, Tom répliqua presque immédiatement.

– Ça va, ses plaies ont parfaitement cicatrisées, on ne les voit presque plus, et depuis que tu l’as soignée, pas une seule fois elle ne s’est sentie mal, courbaturée ou même essoufflée, ce qui est assez étrange d’ailleurs. Je me demande si tes sorts de soins ne modifient pas quelque chose chez les personnes qui les subissent…

La réponse de l’adolescent plongea Amélie dans la confusion. Ignorant les phrases compliquées qu’il se mit à déblatérer en essayant de lui expliquer les hypothèses qu’il avait fomentées pour expliquer ce mystère, son cerveau aurait bloqué sur la première partie de sa réponse. Elle aurait voulu lui demander comment il en savait autant sur elle sans demander des informations à la concernée, mais elle ne voulait pas avoir une réponse qui la déplaise.

Son imagination se mit à générer des images assez détaillé qu’elle aurait préféré jamais ne voir et qui lui firent monter le sang aux joues.

Essayant désespérément de contrôler sa rougeur, elle essaya de reprendre contenance et demanda en s’éclaircissant la gorge, coupant le génie alors qu’il continuait d’exposer calmement ses idées trop compliquées pour la jeune fille :

– Et toi ? Ça va ?

Tom se tut et tourna se tête vers sa camarade. Il resta quelques instants à la fixer sans expression, puis un petit sourire triste étira ses lèvres fines.

Plusieurs fois, il ouvrit la bouche avant de la refermer sans qu’aucun son ne s’en échappe. Amélie l’observa faire, perplexe.

Puis, il poussa un long soupir et planta son regard noir dans les grands yeux noisettes de la guérisseuse. Il avait sur son visage une expression particulièrement sérieuse qu’elle n’avait jamais vue avant.

– Dis-moi, Amélie, tu sais garder un secret ?

Cette question eut le don d’attiser la curiosité de la jeune fille. Elle répondit presque instinctivement.

– Bien sûr !
– Très bien alors, je vais t’avouer une chose que je n’ai dite à personne. Je vais certainement mourir d’ici quelques jours, quelques semaines tout au plus.

En entendant cela, Amélie écarquilla les yeux et son ventre se noua. Elle sentit le sang se retirer de son visage et son cœur s’emballer.

Elle savait qu’il disait la vérité. En temps normal, il aurait gardé son expression nonchalante et sa voix monotone, mais cette fois-ci, elle pouvait lire sur son visage la tristesse qu’il ressentait. La véracité de cette déclaration semblait indiscutable.

Amélie tourna la tête et resta quelques minutes sans rien dire, fixant les vaguelettes qui venaient s’écraser sur la palissade de bois. Elle n’avait même pas cherché à demander s’il y avait un moyen de le soigner. Depuis qu’ils étaient arrivés ici, pas une seule des affirmations de Tom s’étaient révélées fausses.

Amélie jeta un regard à Ania qui restait silencieuse. Elle ignorait si elle adoptait cette attitude parce qu’elle avait toujours peur d’elle ou qu’elle comprenait la situation et la teneur des révélations qu’il venait de faire.

La gorge nouée, l’adolescente finit par briser le silence.

– Tu es certain qu’on ne puisse rien faire ?

Tom secoua lentement la tête.

– Impossible… Je pense que tu le sais déjà, mais nous avons affronté un monstre similaire à l’ours à six pattes qui a tué Nolan, tu t’en souviens ?

Hochant la tête, la jeune fille garda le silence, attendant la suite de l’histoire.

– Alors qu’il était maîtrisé, il nous a craché au visage un genre d’acide gastrique, ce même acide qui m’a brûlé le bras. Du sang était mêlé à cet acide, et ce que personne ne sait, c’est que je m’étais ouvert la main en testant le tranchant de la dague d’Ania, au campement girothani. Je pensais que ma plaie avait cicatrisée et s’était refermée, mais il semblerait qu’un peu de sang ait pénétré par la blessure et a contaminé mon sang.

Il s’approcha d’Amélie et tendit son bras droit hors de l’eau, éclairé par les trois lunes qui brillaient dans le ciel.

Malgré la basse luminosité, il n’était pas difficile de voir les vaisseaux sanguins du garçon qui étaient d’une belle couleur violette et légèrement enflés.

Comprenant maintenant pourquoi le jeune homme gardait toujours des bandages de fortune sur le bras, la jeune fille l’attrapa et se mit à réciter une incantation de guérison. Quand son sort toucha le bras du garçon, rien ne changea. Elle se mordit la lèvre inférieure et réessaya. Son camarade se laissa faire sans rien dire.

Au bout du troisième sort de soin, la jeune fille comprit qu’il n’avait pas mentit. Jusqu’à présent, elle avait entretenu l’espoir qu’il allait soudainement éclater de rire et lui dire que c’était une blague et qu’il l’avait bien eu.

Seulement, elle savait maintenant qu’il n’avait fait que dire la vérité.

– Mais… pourquoi tu nous as rien dit ?

La jeune fille ne comprenait pas l’attitude du garçon. Maintenant qu’elle savait tout cela, elle ne voyait pas en quoi garder le secret était une bonne chose. Si ça lui était arrivé, elle n’aurait pas hésité une seconde pour le dire à ses camarades.

– Que crois-tu qu’il va se passer si j’annonce aux autres que ma vie est en sursis ? Non, mettre tout le monde au courant est une manœuvre idiote. Je préfère continuer à vivre comme si de rien n’était plutôt que de mettre une sale ambiance au camp pendant je ne sais combien de temps. Ce serait contre-productif.
– Mais pourquoi me le dire à moi alors ?
– Parce que tu es l’une des rares personnes ici qui peut accepter la vérité. Tu as la tête sur les épaules, et même si parfois tu agis comme une gamine, c’est uniquement parce que tu es encore jeune. Tu fais pour les autres ce qui est le mieux selon toi, et tu t’y tiens. Que penses-tu que Nathan ferait s’il savait la vérité ? Il tomberait certainement en dépression, et Charlotte ? Mentionne simplement Mathieu ou Nolan et elle se met à pleurer sans que personne ne puisse l’arrêter. Comment réagirait-elle en se sachant condamner à voir son élève mourir ? Ne vas pas penser que j’agis selon une de mes lubies, Amélie, je sais exactement ce que je fais. Au moment de partir, j’aurais d’ailleurs besoin de ton aide pour que tout se passe au mieux. Je demanderai sans doute à William et à Jack de me donner un coup de main, car eux aussi semblent assez matures pour gérer ce genre de situation…

La guérisseuse ne savait pas quoi répondre. La réalité venait de la frapper de plein fouet et elle se mettait à réaliser certaines choses.

Elle n’entendit pas Ania et Tom échanger quelques phrases. Son camarade lui tapota gentiment l’épaule, se rendant compte que ses révélations avaient dû être un choc pour elle, puis il sortit du bain, la laissant toute seule, en tête à tête avec ses pensées.

Amélie resta dans l’eau encore une heure, plongée dans ses souvenirs. Elle se rappelait de toutes les fois où elle s’était énervée contre Tom, les choses qu’elle lui avait souhaités, l’attitude puérile qu’elle avait adoptée en sa présence. Elle se souvint du jour où il s’était énervé contre elle et ce qu’il avait dit : « Peut-être que tes parents te manquent, mais devine quoi, tout le monde est comme toi… et moi, je ne sais même pas où se trouve Camille »

Camille.

Elle savait de source sûre que l’univers de Tom tournait autour d’elle. Il ne l’avait pas vu depuis presque 40 jours, et maintenant, il allait mourir.

Il allait mourir sans même pouvoir la revoir.

Bien qu’elle eut l’impression d’avoir épuisé toutes ses larmes durant sa discussion avec Charlotte, Amélie se mit à pleurer comme jamais elle ne l’avait fait auparavant.

Elle pleurait encore quand elle s’endormit.

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5 commentaires sur “Pérégrinations en Monde Inconnu 16 : Là où on fait des Révélations

  1. T’inquiète pas il n’y a pas que des mauvais auteur, il y a aussi des mauvais lecteurs casse bonbon comme moi.
    Par exemple on ne doit pas stoker un arc avec la corde en tension car ça l’use beaucoup plus vite.
    Pour Tom, l’amputation et traitement à la pénicilline. Tous a la chasse aux champignons.
    Bon si jamais vous trouvez un portail vers un autre monde n’hésitez pas a me contacter pour l’équipe scientifique (un nombre illimité de sujets de thèse).

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