Auteur : Zakkarin
Check : Soreyawari
Cette partie marque la fin du premier opus (et donc du prologue).
Sur ce, bonne lecture
Quinze jours étaient passés depuis que Jack avait refait ses stocks de vivres, et ils commençaient déjà à manquer.
La neige s’était mise à tomber trois ou quatre jours plus tôt, mais depuis, pas une minute ne s’était écoulée sans que le vent qui hurlait ne se taise et que les flocons ne cessent de tomber en s’amassant devant la porte et sur le toit qui menaçait de s’écrouler sur sa tête. Malgré les réparations rapides de Jack, des flocons s’engouffraient par moment dans la cabane et venait fondre sur le parquet en mauvais état.
Après plusieurs essais infructueux, il avait renoncé à essayer de sortir et se contentait de lire des livres lus et relus qui composaient son trésor personnel. Quand un craquement se faisait entendre, il priait pour que la couche de neige, qui devait maintenant dépasser son mètre quatre-vingt-cinq, ne s’effondre pas sur lui avec le toit.
Il soupira et tourna la tête vers la fenêtre. Un morceau de carton s’étalait dessus, rendant impossible toute intrusion intempestive de la neige par le verre cassé, mais limitant également la vision qu’il avait de l’extérieur. Il referma avec précaution le livre épais qu’il feuilletait depuis ce matin et le rangea dans le carton qui contenait ses semblables. Il racontait l’histoire d’une jeune qui avait brisé les chaines appliquées par une société soi-disant avenante envers sa population, mais qui en réalité tenait ses citoyens en esclavage, et avait provoqué la rébellion des Districts qui devaient fournir la capitale en produits de toutes sortes.
Jack chassa de ses yeux une mèche rebelle et s’approcha de la porte. Il passa une main dessus et sentit le bois froid le long de ses doigts. Il essaya de l’ouvrir, mais la résistance qu’elle lui opposa le fit comprendre qu’il serait vain de continuer.
Pourtant, il s’entêta, bandant ses muscles épais pour un garçon de son gabarit au maximum, serrant les dents quand ils commencèrent à devenir douloureux. Un craquement se fit entendre, mais la porte ne bougea pas d’un chouia.
Il laissa tomber, pour la énième fois, lança un regard chargé de tout ce que lui inspirait cette porte immobile, puis se détourna, son égo blessé lui criait de recommencer, tandis que sa raison lui prouvait par a plus b que la couche accumulée devait maintenant dépasser les deux mètres de hauteur.
Jack s’allongea sur le lit, les mains croisées derrière sa nuque, et dans le silence, il se remémora son passé.
Cela devait faire plus d’une heure qu’il était sur son lit quand des bruits lui parvinrent de dehors. Jack ferma les yeux et se força à faire le vide dans son esprit, triant les sons qui lui parvenaient : des respirations, des crissements légers, caractéristiques des pas sur la neige avec des raquettes, des murmures que le vent emportait au travers de la forêt.
Alors qu’il était encore allongé, l’oreille tendue, le carton placé sur sa fenêtre voltigea quand une pierre vint briser le verre restant. Jack ne bougea pas d’un pouce, tous ses sens en alerte. Il était en train de se demander quelle pouvait être la raison d’un pareil éclat de violence. Il avait immédiatement exclu un quelconque jeu entre gamins, car aucun parent n’accepterait de laisser sortir son enfant avec des températures pareilles, et surtout pas aussi loin de chez eux.
Maintenant que plus rien ne bouchait l’ouverture de la fenêtre, la lumière pure du soleil inondait la petite pièce. Le regard de Jack tomba sur la pierre qui avait fracassé la fenêtre. C’était un caillou, gros comme un poing, qui gisait au milieu des débris de verre sur le parquet humide.
Un coup retentit à la porte, et les réflexes de Jack prirent le dessus sur son raisonnement : il se leva d’un bond, repoussa son lit contre la fenêtre de manière à refermer l’accès par l’orifice. Le manque soudain de lumière ne l’empêcha pas de plonger sous la table et de la soulever pour bloquer l’accès.
Son cœur battait à cent à l’heure. Son cerveau tournait encore plus vite. Il jetait des coups d’œil frénétiques sur tous les objets susceptibles de lui offrir une échappatoire. Un autre coup retentit à la porte, la faisant grincer.
Ne prenant pas le temps de se demander pourquoi ils prenaient autant de temps, il recula jusqu’à l’un des murs de l’étroit abri, puis, prenant son élan, il sauta, attrapa l’un des morceaux branlant du toit.
Pendant deux secondes, il crut que la charpente abîmée allait résister, puis dans un vacarme d’enfer, elle s’effondra, emportant un garçon, des débris de bois pourris et plusieurs mètres d’une neige épaisse.
Prisonnier du poids qui s’était abattu sur lui, il se débattit pendant plusieurs instants, avant de se calmer et prendre une grande inspiration. Il faisait toujours ça dans les situations périlleuses, cela lui permettait d’oxygéner son cerveau, et donc de clarifier ses pensées. Il creusa pendant une bonne minute, les bruits étouffés par la couche de neige qui le plongeait dans l’obscurité lui apprirent que les assaillants frappaient à coup redoublés contre la porte.
Enfin, il parvint à s’échapper de la prison qui le maintenait au sol. Il récupéra son manteau qui trainait par terre, escalada le monticule, puis s’accrocha au rebord de la brèche qui s’ouvrait vers le ciel dégagé.
Il se hissa sur le toit, puis esquissa prudemment un pas sur la couche de neige restante. Un cri venant d’en bas lui fit prendre conscience de la situation précaire dans laquelle il se trouvait :
Une vingtaine d’hommes étaient amassés devant la cabane, cinq d’entre eux avaient un fusil dans les mains, et trois hommes s’esquintaient les épaules sur la porte en bois. Ils portaient tous plusieurs couches de vêtements, mais à la façon dont le tissu se tendait sur leurs torses, on devinait que ce devait être les gros bras du village.
Malgré les armes et l’air sérieux et concentré qui se peignait sur leurs visages, Jack ne put retenir un petit gloussement en remarquant qu’ils étaient en train d’essayer de pousser la porte, alors qu’il aurait suffi de la tirer pour l’ouvrir. Apparemment, ils allaient bientôt parvenir à la défoncer.
Un craquement sinistre l’avertit qu’il avait eu raison. Il jeta un coup d’œil aux hommes qui affichaient un large sourire, comme pour s’auto-féliciter d’avoir réussi l’exploit d’ouvrir une porte en force. Leurs sourires disparurent bien vite. Ils virent Jack sur le toit, froncèrent les sourcils, comme si une composante nouvelle dans un plan qui semblait bien rodé était de trop pour leurs cerveaux.
– Mais tirez bon sang !
Sortant d’une sorte de torpeur, les hommes avec les fusils mirent Jack en joue, tandis que d’autres sortaient des arbalètes et chargeaient des carreaux. Un coup de feu retentit, la balle siffla aux oreilles de Jack. D’autres suivirent, mais elles se perdirent au loin, Jack avait déjà agi.
Sans prendre d’élan, il sauta en direction d’un des sapins qui s’élevaient aux alentours de la cabane. Ses mains tendues crochetèrent une branche assez basse, et après un rapide mouvement de balancier, il agrippa un autre arbre. Se hissant à la force de ses poignets, il grimpa habilement vers la cime en quelques secondes. Quelques mètres plus bas, il entendait les hommes grogner. Se déplacer rapidement par la voie des airs était une chose, au sol, avec les congères et les terriers, en était une autre.
Un carreau d’arbalète se fichant dans le tronc, à une dizaine de centimètre de lui le ramena à la réalité : il produisit un bruit mat et fit gicler des échardes tout autour. Jack perdit des précieuses secondes à contempler l’effet de l’impact sur le bois. Il déglutit péniblement, se rendant compte qu’une fois touché par l’un de ces engins, quel qu’en soit l’endroit, il ne serait sans doute pas en mesure de continuer sa course, s’il n’était pas tué sur le coup.
– Ne le laissez pas s’échapper !
C’était encore la même voix, comme si cette personne était la seule douée d’un cerveau et d’une langue pour pallier le manque des autres costauds. Malgré la situation, Jack sourit en sachant qu’ils ne parviendraient jamais à l’attraper. Il avait passé des heures dans cette forêt, et connaissait toutes les astuces des trappeurs pour ne pas se faire repérer par les mammifères qu’il chassait, alors semer quelques humains ne devait pas relever de l’impossible, surtout connaissant sa capacité à se déplacer dans une nature vierge.
– Allez bande de gros bouseux ! Ecoutez votre chef et venez m’attraper si vous pouvez !
Jack se mit à rire, provoquant consciemment les brutes qui avaient des difficultés à se mouvoir en bas. Il sauta vers le pin qui étalait ses branches à un mètre de lui, attendant le dernier moment pour attraper l’appui afin d’obtenir plus de vitesse. Il passa sur un autre pin et atterrit sur ses pieds. Il courut le long d’une ramure épaisse sans se soucier le moins du monde de la hauteur et de l’instabilité de l’endroit. Il avait confiance en ses pieds, et ils lui rendaient bien en trouvant à chaque fois un appui sûr.
Bondissant vers un autre pin, il tendit son corps au maximum, se retrouvant à l’horizontale dans les airs, puis ses doigts rencontrèrent le bois. Il effectua une pirouette et attrapa une branche qui se trouvait là.
Les hommes qui avaient commencé par croire que ce serait un jeu d’enfant revirent leur jugement, le garçon avait l’air dans son élément, se mouvant avec autant de grâce que d’exactitude, et le temps qu’ils perdirent à observer, fascinés, les acrobaties qu’il faisait, il était déjà au loin, l’écho de son rire se répercutant contre les sapins qui semblaient leur jeter des regards moqueurs au travers de leurs branchages recouverts de neige.
Jack, continuait de se déplacer, voler serait le terme plus exact, car à peine son pied ou sa main touchait un arbre, qu’il s’envolait pour reprendre appui ailleurs, son manteau virevoltant derrière lui comme une ombre qui peinait à le suivre.
Soudain, alors qu’il saisissait d’une main une branche en hauteur, elle se cassa net. Il vit le tapis neigeux foncer vers lui, puis il arqua son corps pour retomber sur ses jambes. Quand il sentit le contact entre ses bottes et la neige, il fit un roulé-boulé.
Il se releva aussitôt et se mit à courir. Il n’avait pas de temps à perdre, et la neige avait amorti le plus grand du choc.
Alors qu’il continuait à courir, ses pieds s’enfonçant de plusieurs centimètres à chaque fois, le ralentissant énormément, il entendit des aboiements.
– C’est pas dans les règles ça.
Il avait marmonné entre ses dents serrées, écoutant les hurlements bestiaux qui se rapprochaient rapidement de sa position.
Écoutant avec appréhension les bêtes qui le coursaient, il remarqua le bruit d’un cours d’eau. Sa course l’avait mené jusqu’à la rivière qui parcourait la forêt de conifères. Elle était gelée à certains endroits, mais le courant était trop fort ailleurs et emportait des grosses plaques de glace.
Jack s’arrêta devant la rive qui allait en pente douce jusqu’aux eaux agitées. Il se retourna, le cœur au bord des lèvres. Un plongeon et ça serait la fin pour lui, l’eau devait être incroyablement froide. Il devra donc affronter les chiens sur ses talons ici.
Il estimait la probabilité de s’en sortir contre cinq chiens assez faible, et au nombre de grognements et d’aboiements qui lui parvenaient, il savait qu’ils devaient être plus d’une douzaine.
Des bruissements de feuilles l’avertirent que les chiens l’avaient retrouvé. Des yeux étroits apparurent, un museau fin à la dentition redoutable, des oreilles triangulaires dressées, des pattes musclées et un poitrail puissant. Puis un autre chien sortit des fourrés, et encore, jusqu’à ce que treize de ces bêtes soient visibles.
Elles étaient immobiles, mais prêtent à bondir. Jack ne bougeait plus, il les regardait, et elles faisaient de même, leurs yeux ambres fixés sur l’humain qui dégageait une odeur reconnaissable entre mille. Celle de la peur.
Quand un chien-loup contracta ses muscles, une déflagration retentit. Un arbre qui bordait la rivière venait d’exploser. Les températures nocturnes avaient gelé la sève, et lorsque le soleil réchauffait un peu les arbres, il arrivait que les arbres explosent littéralement. Jack avait déjà entendu des explosions de ce genre, mais jamais il n’en avait vue, seulement le tronc défoncé auquel des morceaux entiers avaient été arrachés.
Des bouts de bois, transformées en véritable armes furent projetés, et les glapissements que poussèrent les animaux encerclant Jack lui apprit qu’ils ne s’en étaient pas sortis indemnes.
C’est seulement quand la douleur irradia de son ventre qu’il comprit que lui non plus n’était pas indemne, il essaya de marcher, mais le courant le souleva et l’emporta. Malgré la douleur, il comprit que l’impact l’avait projeté dans la rivière, puis il fut immergé. Les remous le ballotèrent dans tous les sens, son long manteau s’enroulait autour de lui, et ses forces l’abandonnèrent. Plus rien ne comptait, sauf la douleur qui lui transperçait les côtes et le froid qui s’emparait de lui. Un instant, il fit surface, ses yeux à moitié fermés remarquèrent que trois chiens le suivaient sur la rive, il prit une grande goulée d’air, puis le courant lui plongea à nouveau la tête dans l’eau. Ses pensées n’étaient plus cohérentes du tout, il se souvint de la fois où il avait failli se noyer, puis le souvenir se désintégra. L’eau avait envahi ses poumons, son corps devenait lourd.
Il tourna la tête vers ce qui lui semblait être le ciel, et au travers de l’eau tumultueuse, il vit un loup courir et sauter sur les plaques de glaces qui dérivaient aux grès des courants. Il ne chercha pas à comprendre.
Un sourire étira ses lèvres.
Au moins j’ai eu raison, ils ne m’ont pas eu.
Puis, comme si cette dernière pensée avait consumé les forces qui lui restaient, ses yeux se fermèrent et sa conscience s’éteignit.