Perdu dans la Nuit 31 : Évogorim

Auteur : Faust
Check : Sinei

 


Je préfère ne même pas regarder à quand date la publication du dernier chapitre… Bref ! Voici le retour de Perdu dans la Nuit, puisque j’ai déjà un certain nombre de chapitres d’avance (ce qui veut dire pas d’interruption de parution, si Sinei le veut bien). Si vous avez oublié ce qui se passait avant ça (oui oui, même moi j’ai eu du mal à m’en rappeler…), les chapitres précédents sont toujours là ! :p

Et maintenant, sans plus de parlotte, place à un nouveau personnage, et bonne lecture !


Il y a des moments où l’on regrette certaines de nos actions, certains de nos mensonges, surtout quand ils nous retombent sur le coin de la figure. Et c’est de ces remords-ci qu’Aln faisait l’expérience, en attendant le verdict du vieil homme qui le dévisageait. Oh, sur le coup, ça lui avait semblé une bonne idée d’utiliser le nom d’Evogorim pour échapper aux suspicions de Nimronyn, mais maintenant, devant l’archimage en question, il aurait aimé ne rien avoir à se reprocher.

L’homme devait avoisiner la soixantaine, mais il exsudait une aura indomptable qu’aurait pu lui envier la jeunesse, et son regard inquisiteur donnait envie à Aln de trouver un trou où se cacher. Pourquoi Nimronyn n’était-elle pas là quand il avait besoin d’elle ?

– Bon, jeune homme, et si nous discutions ? Tu t’appelles Aln, c’est cela ?

– Oui, monsieur.

– Mon… élève, c’est ça ?

Aln se tut, et son interrogateur lui lança un sourire torve. Et Aln de gémir de désespoir en se demandant quel mauvais sort l’avait envoyé dans la bibliothèque d’Eljinor en même temps qu’Evogorim. Au sens figuré.

– Ce n’est pas la peine de me regarder comme ça, dit le vieil homme d’une voix froide, si tu réussis à me convaincre, je pourrais ne pas te régler ton compte ! Donc raconte-moi pourquoi tu as emprunté mon nom.

– Eh bien…

Le jeune homme jeta un regard sur les environs, et s’attarda ensuite sur l’archimage.

– Oh. Tu voudrais changer d’endroit. Bien, bien, allons donc à mon laboratoire, nous y serons tranquille, et à l’abri des oreilles indiscrètes.

– Merci.

– Mais je dois dire que tu es bien stoïque vue ta situation. Impressionnant, vraiment.

Les deux personnes sortirent du corps principal de la bibliothèque, et Évogorim se dirigea vers un bâtiment un peu à l’écart, dans une cour intérieure silencieuse et reculée. Là, il fit signe à Aln d’entrer dans une maison de pierre blanche à un seul étage, avant de l’y suivre. Il sortit ensuite de sa poche une petite rune qu’il plaça dans un emplacement prévu à cet effet à côté de l’entrée.

La pièce était plutôt spacieuse, meublée avec un judicieux mélange d’élégance et de simplicité. Des étagères montant jusqu’au plafond et un léger serrement de cœur confirmèrent à Aln qu’il se trouvait dans le laboratoire de l’archimage.

– Bien, ici, personne ne nous dérangera.

Aln lui expliqua alors les circonstances de son petit mensonge. L’homme l’écouta sans un mot, puis resta longtemps silencieux.

– Mmmh… Donc tu as utilisé ce… petit mensonge par peur que Nimronyn profite de ta faiblesse pour te prendre ton grimoire.

– C’est cela.

– Admettons. Montre-moi ce grimoire.

Les yeux du jeune homme se mirent à lancer des éclairs.

– Tu n’as pas le choix.

Le ton d’Évogorim ne laissait la place à aucune discussion, mais Aln hésitait.

– Je ne vais pas te le voler, dit-il en secouant la main. À mon âge, on a d’autres choses à faire, et je déteste par-dessus tous ces vieillards séniles qui abusent de leur pouvoir. Je suis simplement curieux.

Le jeune homme se résigna finalement : il tendit donc son grimoire à l’archimage. Le vieillard l’étudia avec des étoiles dans les yeux, caressant la couverture de cuir et marmonnant dans sa barbe.

– L’Asninmaghisha… Si je m’attendais à ça.

– Vous le connaissez ?

– À qui d’autre as-tu montré ce grimoire ? lança-t-il brusquement

– Je crois que seuls Nimronyn et Rieln l’ont vu de près. Pourquoi ?

Évogorim soupira.

– Tant mieux. Qu’est-il arrivé à tes parents ?

– Pardon ?

– Je viens de te demander ce qui était arrivé à tes parents.

– Je… Je ne les ai pas connus. Ils sont morts peu après ma naissance.

– C’est bien ce que je pensais. Jamais ton père, Tyln, ne t’aurait laissé le grimoire sans t’avertir.

Aln regarda l’archimage sans comprendre, et, petit à petit, la lumière se fit sur son visage.

– Vous avez connu mes parents.

– N’importe quel magicien de mon âge les a connus. Et à part moi et les derniers Chercheurs, n’importe quel magicien de mon âge essayera de te tuer à cause de ce grimoire.

Aln eut un léger mouvement de recul, et jeta à Évogorim un regard lourd de sous-entendus. L’homme secoua la tête avec un sourire désabusé, comme s’il s’y attendait, puis il reprit.

– Fais-moi confiance, je ne vais rien te faire.

– Est-ce que vous pouvez me parler de mes parents ?

– Ah, ces jeunes, grommela le vieillard, ça ne fait que poser des questions. Asseyons-nous, je n’ai plus l’âge de rester debout aussi longtemps, moi…

Malgré ses ronchonnements, Évogorim essaya de rassembler ses souvenirs, puis il inspira.

– Par où commencer… J’ai rencontré tes parents pour la première fois au moment de l’incident qui m’a coûté ma femme, il y a bien trente ans de cela. Ils étaient encore jeunes, et pourtant, ils étaient déjà de puissants magiciens. Pourtant, je sais que ce n’était pas grâce à l’Asninmaghisha : ils en avaient peur. À part cela, ils ne respectaient aucun des tabous de la magie, et ils étaient remarquablement bien formés, même si je n’ai aucune idée de la personne qui s’est occupé d’eux. Toujours est-il que c’est grâce à eux que j’ai pu me venger.

– Ils étaient déjà ensemble à l’époque ?

– Oui. D’après ce qu’ils m’avaient dit, ils avaient fait leurs études ensemble, mais ils n’ont jamais dit où, et avec quel maître. À les voir tous les deux, on aurait dit qu’ils avaient passé leur vie entière sans jamais se séparer. Ils ne devaient pas être beaucoup plus vieux que toi.

Aln se tut.

– Je les voyais régulièrement. Ils avaient choisi la voie des Chercheurs, mais ils étaient probablement les Chercheurs les plus étranges de tous : ils ne s’y prenaient jamais comme les autres, ne cherchaient jamais aux mêmes endroits et ne racontaient presque jamais ce qu’ils découvraient. On aurait presque dit qu’ils avaient une intuition divine pour dénicher des indices, comme s’ils savaient où chercher. Bien sûr, quand je lui demandais pourquoi, Tyln me regardait tranquillement en souriant, sans rien dire. Ils ont continué ainsi pendant des années, avant l’incident.

– L’incident ?

– Je n’ai jamais vraiment su ce que cela signifiait. Seules quelques personnes étaient au courant de la réalité, et j’étais trop proche de Tyln pour qu’on me mette dans la confidence. Même aujourd’hui, ils ne veulent pas en parler. Et puis, je n’ai jamais été en très bons termes avec les autres archimages, ricana Évogorim.

– C’était il y a combien de temps ?

– Une vingtaine d’années je pense. Un peu plus, un peu moins peut-être.

– Et même aujourd’hui on ne veut pas en parler ?

– Non, et la plupart des magiciens ont trop peur de ce qui pourrait leur arriver s’ils désobéissent à la Coalition pour ne serait-ce qu’y penser.

– La Coalition a donné un ordre là-dessus ?

– Ce sont même les Conseillers eux-mêmes, à l’unanimité, qui l’ont donné. Ils ont placé le voile du secret sur ce sujet, et les malheureux qui n’avaient pas leur confiance bien que sachant ce qui s’était passé ont tous trouvé une mort prématurée avant de pouvoir révéler quoique ce soit. La seule chose que je sais, c’est que cet incident avait un rapport avec la Nivmag. L’incident a terrifié les autres archimages, et ils ont décidé de détruire les traces laissées par tes parents, et par tous les Chercheurs avant eux.

Aln sentit la sueur perler sur son front.

« Et… Qu’ont-ils fait des autres Chercheurs ?

– À l’époque, il n’y avait que tes parents. Sinon, ils se sont débarrassés des suivants dès qu’il s’avérait qu’ils s’approchaient ne serait-ce que d’un pas de la Nivmag.

– Je me suis présenté comme un Chercheur.

Évogorim mit quelques instants à comprendre ce qu’Aln venait de lui dire.

« À qui l’as-tu dit ?

– Au Conseiller Eldyn.

– Ce… n’est pas le pire. Il n’est pas mage, donc il est moins sensible à cette histoire. Mais tu ne dois jamais, jamais lui faire part de tes progrès. N’en parle à personne, pas même à moi, sauf quand nous sommes ici, et uniquement si tu n’as pas le choix. C’est clair ?

– Oui…

– Ils ne se sont jamais attaqués aux Chercheurs moins informés, et va savoir pourquoi, ils n’ont jamais essayé de se débarrasser de l’ensemble des Chercheurs. Peut-être par peur de trop y perdre.

Le vieil homme soupira profondément, un air soucieux sur le visage.

– Dans… dans le dernier message que mon père m’a laissé, il m’a dit qu’il avait trouvé la Nivmag.

– Quoi ?

Évogorim explosa, et ne remarqua même pas qu’il avait hurlé, tandis que, surpris par la brusque interruption, Aln sursauta.

– Que t’a-t-il dit d’autre !

– Qu’ils avaient échoué, que ma mère était morte, et qu’il attendait son tour.

– Je vois, se calma l’archimage… Même Ania. C’est donc pour ça que tu ne sais presque rien sur les problèmes que l’Asninmaghisha peut t’apporter avec la Coalition.

Il se tut brièvement, et reprit.

« Bien sûr, tu dois encore moins parler de cela.

– Oui.

Le silence s’abattit lourdement sur la pièce, avant que finalement, Aln reprenne d’une voix hésitante.

– Et… Mes parents, comment étaient-ils ?

– Ta mère, Ania, était une femme discrète. Ce n’était pas vraiment une beauté, mais elle avait quelque chose qui la rendait impossible à oublier. Ah, je me rappelle qu’à l’époque, beaucoup de jeunes hommes guettaient la moindre occasion pour se rapprocher d’elle, et qu’elle les éconduisait tous. Tyln était brillant. Ridiculement brillant, même. Quand on l’écoutait, on avait l’impression d’être idiot, et la seule qui arrivait vraiment à le suivre, c’était sa femme. Vraiment, ils étaient faits l’un pour l’autre. Et…

À la grande surprise d’Aln, Évogorim commença à raconter une pléthore d’anecdotes sur les parents du jeune homme.

La nuit tomba bien vite, et le vieillard semblait ne pas ralentir son débit. Aln écoutait sans dire un mot, s’imprégnant de toutes ces histoires qui avaient fait de ses parents ce qu’ils étaient. Il essayait de se les représenter comme il pouvait, imaginant ce à quoi ils avaient pu ressembler, et la manière dont ils bougeaient, et la manière dont ils pensaient. Une tâche rendue facile par la narration incongrument vivante de l’archimage.

À la fin du récit de l’archimage, une ombre s’attarda sur le visage du jeune homme. Il repensait au récit de l’incident dont avait parlé Évogorim au début. Il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qui s’était réellement passé, tout en sachant qu’il n’en saurait probablement jamais rien. Mais ça l’obsédait, de même que, d’après l’image qu’il pouvait maintenant se faire de ses parents, il avait du mal à comprendre pourquoi ils lui avaient laissé l’Asninmaghisha. Pourquoi lui aurait-il laissé quelque chose d’aussi dangereux tout en sachant que personne ne pourrait le protéger ni le prévenir des dangers qui allaient avec ? Il ne pouvait en déduire qu’une seule chose : même si ses parents craignaient le pouvoir de l’Asninmaghisha, ils pensaient qu’Aln allait en avoir besoin. Et le jeune homme ne pouvait s’empêcher de chercher la raison de cela, car ses parents ne semblaient pas connaître l’existence d’Éliana.

Évogorim interrompit le fil de ses pensées.

– Bien, il est tard, et je pense que le Conseiller Eldyn va finir par s’inquiéter si tu ne rentres pas bientôt. Mieux vaut éviter d’attirer ses foudres, n’est-ce pas ? N’hésite pas à revenir demain, et si tu as des questions, n’hésite pas à me les poser !

– Oh ? Cela ne ressemble-t-il pas bien au traitement d’un élève ?

– Hum ! Ne monte pas sur tes grands chevaux ! Le plaisir d’enseigner au fils de Tyln, c’est comme une délicieuse vengeance pour moi.

Et le vieil homme jeta dehors son « élève », en lui claquant presque la porte au nez.

Aln sourit gentiment. Il ne connaissait l’homme que depuis quelques heures, mais il comprenait pourquoi tout le monde le décrivait comme un excentrique. Ses humeurs variaient autant que les goûts d’un poisson rouge, et ses paroles étaient souvent à l’opposé de ses pensées, ce qui d’une certaine manière le rendait prévisible. Il aimait bien le vieil homme un peu grognon qui était incapable de cacher son amitié pour ses parents.

En réalité, la discussion l’avait tellement pris qu’il en avait presque oublié ce pour quoi il était venu ici, et ne put que rire de son inattention.

Il s’engagea dans les rues délicatement illuminées d’une pâle lueur, et s’étonna du peu de passants. Sans doute avait-il vraiment perdu le fil du temps, car la pleine lune brillait tristement de sa lumière jaune clair, haut dans le ciel. Le jeune homme se perdit dans ses pensées, marchant dans ce qui semblait être un autre monde, tant la blancheur des pierres reflétait la douce lumière, au point que, la lune dissimulée derrière les nuages, le chemin était encore diffusément éclairé.

Aln était plongé dans ses pensées.

Mais avant qu’il ne s’y enfonce trop profondément, il sentit plusieurs regards se poser sur lui. Et ces yeux étaient pleins du désir de tuer.

 

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6 commentaires sur “Perdu dans la Nuit 31 : Évogorim

  1. Merci pour le chapitre.
    Surtout que je pensais qu’il n’y avait plus de chapitre après le précédent.
    j’ai vraiment hâte d’en savoir plus.

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