“Levez-vous. Regardez les soleils, Muos et Lokes. Nos soleils, les soleils que Jogus nous donna il y a bien fort longtemps. C’était le temps où l’on vivait dans l’ignorance, où nous croyions pouvoir tout construire, tout contrôler. Une époque où nous connaissions à peine notre propre existence. Mais, hélas, cela est passé. Les Dieux nous ont donnés tout ce que nous avons, ce que nous n’avons pas et sont reparti tels qu’ils étaient venus, laissant seulement à quelques-uns quelques manières d’emprunter leur pouvoir et quelques enseignements à prodiguer pour ne pas sombrer dans le Chaos. Aujourd’hui, ces enseignements nous guident toujours, mais pour combien de temps, mes amis ? Pour combien de temps ?!”
Le vieux prêtre regarda l’assemblée, cherchant les réactions de son public, s’amenuisant d’années en années. Et décida alors de demander l’avis de l’un des croyants.
“Vous, là-bas !” Il désigna une personne, très discrète, un homme vêtu entièrement de noir portant une capuche. Voyant qu’il était montré du doigt, l’individu enleva promptement son couvre-chef. Il avait les cheveux noirs, courts. Ceux-ci formaient une étrange harmonie avec ses yeux perçants bleus électriques. Le tout était souligné par un visage ovale, symétrique et bien entretenu.
“Moi, mon père ?
— Oui c’est bien cela. Quel est votre nom monsieur ?
— Et bien mon nom est Amable.
— Bien, Amable, que pensez-vous de la relation de notre religion avec la société ?
— Comme disait Quéra l’Aimable, ‘Le temps passe et repasse. Les rivières coulent et ruissellent. Les vallées se creusent et les montagnes se forment. Le Cycle se répète et nous n’échappons pas à la règle. La société est comme la marée, elle avance pour mieux reculer, parfois elle avance beaucoup, parfois peu.’. Alors, autant que, je le pense, croyait l’Aimable, je suis convaincu que les Dieux nous reviendront et que nos prières pour le futur ne sont point vaines. Là est mon opinion, mon Père.
— Et bien, je vois que votre avis est résolu, Amable, dit le prêtre décontenancé.
— C’est que j’y pense chaque soir, mon Père.
Le soleil se coucha et son office continua.
Il passa de Jogus par Métar et finit par Quéra. Quand il renvoya les dévots, cela faisait longtemps que les torches étaient allumées dans les rues de Quino et Amable fit son chemin vers son logis. Le maître assassin avait une passion pour la philosophie et la théologie. Domaine dans lesquels il était publiquement reconnu, il avait d’ailleurs publié une thèse sur les charges éthiques du meurtre. Thèse par laquelle il concluait qu’un meurtre n’était pas éthiquement mauvais si la victime n’en éprouvait qu’une moindre douleur et que ses proches en sortaient indemne physiquement et mentalement. Et que les meurtres, existant, doivent avoir une raison d’être et qu’ils régulent le pouvoir à travers le monde depuis sa naissance. En effet, lorsqu’un tyran est sur le trône, arrive tôt ou tard un régicide. Et si un meurtre arrive dans la populace, elle aura peur et obéira au pouvoir en vigueur mais si trop de meurtre advienne chez le peuple, alors s’exécutera une révolution. Ainsi le meurtre régule le pouvoir au profit du changement. Car si le meurtre maintient l’existence du pouvoir, c’est en le changeant. Notre ère étant particulièrement meurtrière nous pouvons donc déduire que nous sommes dans une époque de changement.
Mais là n’est pas l’objet de la visite d’Amable au royaume humain. Car même si le meurtre y est lié, ceci est plus subtil que cela. Le chef de la guilde devait simplement se charger que tout se passe comme prévu. Ce qui consistait tout d’abord à la récolte d’information, et puis, espérons-le, rien d’autre.
Mais jusque-là ça ne se passait pas si bien, ou plutôt ça ne se passait pas. Ses nombreux informateurs n’avaient rien. Les dernière informations lui étant parvenu dataient d’il y a deux semaines et lui disaient seulement qu’ils étaient entrés dans les premières couches du donjon. Et cela faisait déjà une semaine que les golems atmosiens étaient entrés par la Faille.
Il commençait à s’inquiéter. Selon les données, le donjon faisait 20 km², était composé de grandes cavernes, réduisant donc les chances de se perdre et, même si réputé dangereux, la prudence était suffisante aux personnes compétentes pour en sortir. Alors une mission de ce genre est bouclée en trois jours grands max. On avait jamais entendu de complications à la Faille. Et la jeune princesse aurait dû être affaiblie par la soif, la faim et le manque de mana.
L’équipe envoyée, elle, était une équipe de marchontiens d’élite, des vétérans ayant plusieurs dizaine de missions à leurs actifs.
Amable avait vécu beaucoup de crises en tous genres mais sur celle-ci reposait l’avenir du monde. Mais après quelques minutes, l’homme retrouva son habituel calme imperturbable. Pour cela, il lui suffit de se rappeler qui il était, un simple régulateur. Il régulait juste le pouvoir et maintenait le changement. C’était tout, c’était son rôle.