Perdu dans la Nuit 12 : Vers les montagnes

Auteur : Faust
Check : Exserra


Tehee ~ Pas de retard, ce n’est pas vrai ~ Sinon, pas grand chose à dire, si ce n’est que l’on revient un peu du côté d’Eliana, parce qu’elle est sensée être l’héroïne quand même…

Comment ça vous l’avez oubliée ! … Bonne lecture !


La pleine lune se levait, resplendissante, illuminant au loin les paysages montagneux déchiquetés. La chaîne de montagne d’Alorbis se découpait sur l’horizon, et ses pics enneigés perdus dans les nuages fascinaient Aln autant qu’ils l’impressionnaient. Que pouvait-il donc se cacher si haut ?

Cependant, Aln s’intéressait à autre chose : qu’allait donc lui montrer son grimoire ? Qu’allait-il encore découvrir ?

Bien sûr, il était conscient des risques, mais maintenant qu’il s’était engagé sur cette voie, il pensait ne plus pouvoir y échapper. Il avait eu un avant goût de la haute magie, la Sagmag, et il ne pouvait l’ignorer. De plus, bien qu’il ne comprenne pas vraiment sa situation, Eliana l’intriguait.

Elle avait l’air plutôt insupportable, mais Aln avait l’impression que ce n’était qu’une coquille, une carapace qu’elle s’était créée pour survivre à son isolement. En plus, c’était aussi un véritable puit de connaissances sur la magie, ce qui n’était pas sans intérêt…

Il arriva à la porte de l’auberge. La salle commune n’était pas vraiment bruyante, la plupart des voyageurs s’étant déjà couchés, et le craquement du feu se remarquait plus que les discussions à voix basse qu’entretenaient les derniers clients.

Il sortit, entrant dans la cour qui entourait la bâtisse. Un mur d’enceinte encerclait la cour, protégé par des runes Toan, afin d’éviter l’irruption d’éventuelles Ombres.

Ces runes différaient de celles qu’Aln utilisait, car elles donnaient la priorité à un effet de longue durée, au détriment de l’efficacité pure. Elles ressemblaient plus à celles que lui avait donné l’ancien du village le jour de son départ.

En évoquant ce souvenir, Aln ne put s’empêcher de se demander comment le village se portait. Il s’étonnait de ce que Jion ne le poursuive pas. Il sourit benoîtement en repensant à l’insistance de son ami, lorsque celui-ci avait exigé qu’il ne parte pas sans lui. Jion devait être fou de rage, et son retard ne pouvait s’expliquer que par l’intervention du chef du village. Mais même comme ça, ils n’arriveraient à le retarder que quelques jours…

Il arriva enfin à la porte du mur d’enceinte, et il sortit là une des runes de l’ancien. C’était une rune Toan, et pourtant, en la prenant entre ses doigts Aln remarqua la différence avec les siennes. Une image était déjà associée à la rune, et lorsqu’il essaya de l’activer, elle s’imposa à son esprit. Il entrevit ensuite la surface miroitante qui l’entourait à environ un mètre de son corps, semblable à son propre bouclier de vent, en moins intense. Mais cette fois-ci, le champ ne laissait aucune ouverture.

Puis il demanda au gardien de la porte de lui ouvrir. Bien qu’hésitant au début, ce dernier s’exécuta prestement lorsqu’Aln lui montra l’emblème des Magiciens sur sa sacoche.

« C’est bien la seule utilité de ce truc là… » grommela-t-il en s’éloignant.

La nuit l’enchantait toujours autant, et c’était un sentiment toujours aussi étrange. Tous ses sens étaient à l’aguet, le moindre mouvement, le moindre bruit prenait une importance disproportionnée, mais il aimait ce silence, cette solitude pourtant synonyme de danger.
A peine avait-il fait quelques pas que déjà il était entouré d’Ombres. Ces êtres sans consistance, ces parodies d’êtres humains toujours égales à elles-même se pressaient contre sa barrière dans l’espoir de la briser. Bien que parler d’espoir pour ces choses soit ridicule.

Aln chercha un endroit isolé qui ne soit pas trop éloigné de l’auberge pour ouvrir son grimoire. Il se repérait facilement à la clarté de la lune, ainsi il n’y avait pas de risques qu’il se perde tant qu’il ne s’éloignait pas trop.

Finalement, après quelques minutes de marche il découvrit un bosquet d’érables, dans lequel il s’engagea, sur une petite colline. Les Ombres redoublèrent d’activité, mais elles étaient facilement écartées par la rune d’Aln. Une clairière se dévoila au sommet de la colline, et Aln décida de s’y installer.

Les Ombres, qui étaient si nombreuses quelques instants auparavant, se dispersèrent rapidement à mesure qu’Aln s’éloignait des arbres. Il inspira profondément, un peu étonné par ce comportement, mais il soupira ensuite de soulagement. Même si elles ne pouvaient rien lui faire, elles l’oppressaient.

Il s’allongea d’abord dans l’herbe, contemplant quelques instants les étoiles.

Sa vie avait tellement changé ces derniers jours que sa vie au village lui semblait déjà lointaine. Il se savait entraîné dans quelque chose qui le dépassait probablement, qui lui avait déjà pris ses parents, et qui le prendrait peut-être à son tour. Mais il ne se laisserait pas faire. Là où ses parents avaient échoué, lui, il réussirait, il ne laisserait pas leurs efforts devenir inutiles.

Il s’assit en tailleur, puis il saisit presque cérémonieusement son grimoire. Caressant d’abord sa couverture vieillie par les âges, il l’ouvrit à la première page.

« Hanaglis vi Nors
(Tu t’aventures dans la nuit,
Asnigsis li Golmag
tu revivras par la magie des ténèbres.
Toaglis Agi Aln,
Protège ton coeur,
Olaglim Mag ik Agi »
la magie s’emparera de toi.)

A ce moment, Aln s’interrompit. Si on considère la dernière fois, c’est à partir de maintenant que la magie allait s’activer.

De fait, les Ombres qui le cernaient s’agitaient, comme en proie à une frénésie terrifiée. Oui, Aln ne l’avait jamais remarqué avant, car il était trop inquiet lui-même, mais bien que leurs visages soient inhumains, leurs traits déformés montraient quelque chose s’apparentant à de la peur.

Il tourna la page.

Au début, rien ne se produisait, puis petit à petit la lune sembla briller plus fort, la brise légère qui lui caressait la peau forcit, s’enroulant autour de lui dans une danse immatérielle. La page jusqu’à maintenant vierge se ternit d’un noir d’encre.

« La réaction est si forte ? » murmura Aln.

En effet, c’était sans commune mesure avec les fois précédentes. Là, l’encre recouvrait toute la page, puis, petit à petit, elle se rassembla en traits déliés. Retrouvant les runes et leur ballet dont il avait l’habitude, Aln se laissa envoûter, saisi d’un sentiment de sécurité et de tranquillité qu’il avait oublié.

En adéquation avec ce qu’il ressentait, le vent mugissant changea. S’éloignant de quelques mètres, il s’entortillait autour d’une colonne imaginaire, laissant Aln au coeur de cette mini-tornade, dans une étrange sérénité.

« Al Sahnin i Heial Anialiv,
(L’esprit froid et l’âme embrasée,
Sil Pesinaglis le Ciol
Persévère sur ton chemin
i Tahoglis ik Ciolnliv li Tyln. »
Et prend ton destin avec courage.)

Comme à chaque fois, sa vision se brouilla et ses sens s’engourdirent alors qu’il perdait contact avec la réalité. Il glissa doucement dans le passé, le monde des rêves ou tout autre nom qu’on pourrait lui donner.

***

Un homme marchait, seul, sur un chemin de montagne, en haut d’une haute falaise. Ses vêtements, quoi qu’on les devine de bonne qualité, étaient usés jusqu’à la moëlle, mais il semblait pressé, et la vigueur de sa marche indiquait qu’il n’était pas décrépit à l’image de ses habits.

En contrebas de la colline, on pouvait apercevoir une ville, une ville minière même. La fumée noirâtre qui s’échappait de ses cheminées la recouvrait d’un linceul impénétrable, et on ne pouvait que deviner les formes des bâtiments en dessous.

L’air miroita imperceptiblement au-dessus de l’homme, et Aln apparut là. Enfin, il n’apparut pas vraiment, mais en tout cas c’est ici qu’il rouvrit les yeux…

Le voyageur ne sembla pas le remarquer, pas plus qu’il n’entendit le cri de surprise que laissa échapper Aln en se découvrant flottant dans les airs. En effet, il lévitait à quelques mètres du sol, et suivait, toujours à la même distance, l’homme qui avançait d’un pas égal.

Une fois qu’il eut confirmé qu’il ne tombait pas, Aln se calma. La situation était étrange, mais bon… Toute sa vie était déjà chamboulée, alors ce n’est pas ça qui allait le perturber. Il profita donc de cette expérience pour s’amuser un peu, et essaya de changer de position, ce qui lui fit prendre tout un tas de poses ridicules qu’il espérait garder secrètes. Mais…

Un rire cristallin éclata à quelques mètres de lui. Là encore, aucune réaction du voyageur, mais Aln, lui, rougit violemment en se rendant compte qu’il avait oublié qu’il n’était pas seul ici…

En effet, Eliana se tenait à ses côtés, et même s’il ne l’avait pas remarqué, elle s’était bien gardée de le prévenir, savourant son numéro. Son rire continua pendant quelques secondes, puis elle finit par se calmer, et regarda Aln avec un petit sourire taquin.

« Tu aurais pu prévenir, grommela Aln, je ne savais pas que tu étais là…
– Ah, mais, ah… Tu avais l’air de tellement t’amuser… Tu avais l’air tellement concentré que je n’ai pas voulu t’interrompre… Pfff… »

Elle faisait de son mieux pour contrôler son rire, mais malheureusement l’expression grognonne d’Aln ne l’aidait pas, et elle finit par repartir d’un joyeux éclat de rire à la fin de sa phrase.

« Je suis désolée, je ne devrais pas rire… Mais… Bon, ça doit être la première fois que tu voles comme ça. Oui, ça doit être ta première fois, alors je ne devrais pas rire… Pardonne moi.
– Tu n’as absolument pas l’air désolée. Plutôt, tu te retiens encore de rire non ?
– N-Non ! C’est juste la fraîcheur de l’air qui me fait sourire ! »

Aln la regardait d’un air dubitatif, puis il soupira.

« Et ? Pourquoi est-ce que nous sommes ici ?
– Ah, tu n’es pas drôle… Tout de suite les questions sérieuses comme ça… C’est le chemin jusqu’au laboratoire de mon grand-père, et cet homme était un ami de mon père. J’imagine qu’il vient voir pourquoi est-ce qu’il n’a plus de nouvelles de nous. Bien sûr, tout ça c’est passé il y a longtemps.
– Quelle coïncidence… »

Eliana lui sourit.

« Une coïncidence ? Pas sûr. Ton livre est vraiment étrange. Il s’adapte à ta situation, et il peut même changer les conditions d’arrivées. Par exemple, c’est grâce à lui que tu voles comme ça. Tu n’as même pas besoin de te fatiguer à marcher, et tu peux prendre toutes les poses que tu veux ! »

Aln lui jeta un regard noir, puis il se plongea dans ses pensées quelques instants. Cela ne pouvait qu’être l’oeuvre du guerrier. Il avait dit qu’il vivait dans son livre, alors il devait avoir un moyen d’influencer la magie de ce dernier. C’était pratique, mais en même temps Aln était encore moins rassuré.

« Est-ce que c’était vraiment raisonnable de revenir ici ? murmura-t-il.
– Si c’est à moi que tu le demandes, je ne vais pas te dire non, lui répondit Eliana après un instant d’hésitation. Mais, pour que tu hésites comme ça… Il s’est passé quelque chose depuis la dernière fois ?
– Trois fois rien. J’ai quitté mon village, appris que mes parents avaient été tués par des Ombres bizarres, je me suis moi-même fait à moitié tué par l’une d’entre elle, et maintenant je me retrouve surveillé car, pour garder mon grimoire, j’ai dû me prétendre l’élève d’un Archimage. Et pour finir, le grimoire en question est probablement la cause de tout ça, mais je n’ai pas le coeur de le jeter. Et là, j’apprends que quelqu’un peut faire joujou avec lui, et que je suis à la merci de cette personne quand je suis avec toi.
– Quelqu’un ? De qui s’agit-il ? »

Eliana sembla redoubler d’attention.

« Quelqu’un que tu dois connaître. Il dit s’être fait tué quand il était ici, et maintenant il est prisonnier de l’Asninmachinchose. »

Eliana fronça les sourcils, comme étonnée par la réponse d’Aln, puis elle lui répondit d’une voix incertaine.

« Je suis sensée le connaître ? Pourtant… Je ne sais pas du tout de qui tu veux parler.
– Vraiment ? Pourtant il avait l’air de bien te connaître. Il… »

Une voie s’imposa dans son esprit.

« N’insiste pas. »

Aln ne finit pas sa phrase. Il tirerait ça au clair plus tard.

Interloquée, Eliana le regarda.

« Il ?
– Non, en fait oublie, j’ai dû mal comprendre.
– Tu es bizarre.
– Mais pas plus que d’habitude non ?
– Mmh, c’est vrai. Il faut être sacrément bizarre pour accepter tout ce qui t’arrive comme ça.
– Héhé, merci du compliment… »

La jeune fille le fixa, puis elle soupira.

« Au lieu de ça, tu devrais regarder autour de toi.
– Uh ? Pourquoi ?
– Tu es en chemin pour le laboratoire de mon grand-père, non ? Même si je ne sais pas ce que tu vas y chercher, je t’ai dit que c’était le chemin pour y aller, alors tu devrais le mémoriser.
– Ah… »

Aln commença à repérer les alentours, afin de pouvoir retrouver le chemin quand il en aurait besoin, mais dans le même temps il pensait que vu les siècles qui séparaient les deux mondes, il serait difficile de ne pas se perdre.

Le silence retomba ainsi, Aln et Eliana se laissant porter à la suite du voyageur. Pourtant, la jeune fille semblait vouloir dire quelque chose, mais le visage concentré d’Aln l’en dissuadait à moitié. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas eu de nouvelles du monde extérieur…

N’y tenant plus, elle commença à questionner Aln sur sa vie, son village, son monde.

Au début, Aln répondait à peine, puis le chemin qu’ils suivaient continua tout droit vers une montagne, et il put s’en désintéresser. De plus, la manière qu’avait Eliana de saisir chacune de ses réponses, même courte, comme un trésor à chérir lui faisait bizarre. Ce qui n’était pour lui qu’une scène de tous les jours semblait revêtir une grande importance pour elle, et il finit sans même s’en rendre compte par s’impliquer sérieusement dans la conversation.

Elle demandait des précisions sur tous les détails dont Aln pouvait se rappeler, et il faisait de son mieux pour la contenter, tant la voir aussi curieuse – et ignorante – l’étonnait. Il pensait bien que se retrouver isolée du monde comme elle ne devait pas aider, pourtant elle n’avait même pas un semblant de bon sens. Peut-être était-ce la fraîcheur de l’air, mais elle avait même perdu son mordant habituel.

Finalement, la conversation se tarit lorsqu’ils arrivèrent devant une arche de pierre, donnant sur une volée de marches qui escaladaient une montagne et dont la fin se perdait dans les nuages.

Aln se félicita de ne pas avoir à marcher, et il se plongea dans ses pensées, alors que le voyageur qu’ils suivaient prenait une pause avant son ascension.

Fixant tout d’abord le paysage verdoyant qui se déroulait en contrebas, son regard finit par se perdre sur le visage d’Eliana. Il se rendit compte qu’il n’y avait jamais vraiment prêté attention, et pourtant il avait tout de suite remarqué sa beauté…

Ses cheveux châtains tombaient en cascade sur ses épaules et encadraient un visage fin, en ovale. Son teint blanc pâle était joliment rehaussé par ses lèvres d’un rouge écarlate, et ses yeux noirs brillaient d’une intelligence toujours à l’affût. Elle semblait arborer presque en permanence un semi-sourire taquin qui dissimulait autre chose. Aln ne savait pas exactement quoi, mais il pouvait s’en douter.

Remarquant son regard, Eliana haussa un sourcil, puis elle sourit malicieusement.

« Quoi ? Perdu dans ma contemplation ?
Erm, nan, je réfléchissais… »

Elle pouffa, et Aln pensa brièvement qu’elle était bien plus jolie quand elle se taisait…

Il fut sauvé par le voyageur. En effet, celui-ci se leva, et, se dirigeant vers l’arche de pierre, il inspira profondément. Il regarda avec appréhension l’ouverture, et après quelques secondes d’hésitation il s’engagea dans l’escalier.

Un hululement sinistre résonna.

Suivant l’homme, Aln et Eliana passèrent l’arche, et le monde vira au noir.

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