Pérégrinations en Monde Inconnu 19 : Là où les choses se compliquent

Auteur : SamiHuunter
Check : Loux & Yurane


Hmm, ça fait un bail !

Je sais, je sais, je suis un gros flemmard, et j’ai presque envie de m’excuser pour ça mais bon…

Alors voici la « suite » de PeMI, yeah ! Je tiens quand même à m’excuser pour cette dernière partie de chapitre qui est un peu de la triche, mais même si j’ai écrit la suite, la rajouter aurait rendu le chapitre BEAUCOUP TROP long x)

Du coup, contentez-vous de ça et espérez que j’ai la force de continuer la suite.

Dans ce chapitre, on se concentre sur deux « nouveaux » personnages. Le premier a été très rapidement mentionné, y’a pas mal de temps (mais je doute que vous allez vous rappeler de lui) tandis que le second était relativement transparent jusqu’à maintenant.

Ah, et pour la première partie, n’hésitez pas à aller jeter un coup d’oeil sur le vocabulaire des gobelins, à la fin de la page « Langue » ! Je pense que c’est pas forcément nécessaire, mais au cas où x)

Sur ce, bonne lecture !


Vestiges d’une époque révolue où des routes traversaient de part en part la forêt, des sentiers traçaient des lignes droites dans la nature sauvage. Peut-être qu’il fut un temps où les parcourir n’avait pas été plus dangereux qu’une charge de dugb, mais aujourd’hui, bien qu’ils essuyaient les assauts des créations les plus déterminées d’Akhagän, la plupart de ces chemins ne s’enfonçaient pas moins au plus profond de la forêt.

Aucun des giroaninthen ne savait où ils menaient exactement ni qui les avait initialement créés, mais personne n’allait à l’encontre des habitudes qui les faisaient les éviter.

Selon eux, c’était la route que le bulg des défunts empruntait pour rejoindre Aīhíani et ses autres enfants. Pour se faire peur, les jeunes racontaient à leurs camarades que les giroaninthen qui mourraient emplis de regrets devenaient des budgg et que, dans leur colère vengeresse, ils s’éloignaient des sentiers et erraient dans la forêt en quête de chair à dévorer pour apaiser leur furie.

Buldluglu, lui, ne croyait pas en ces âneries. Cela dit, il faisait tout de même en sorte de se tenir le plus éloigné possible de ces chemins.

S’il agissait ainsi, ce n’était pas à cause d’une possible sénilité due à son âge avancé.

Contrairement à ses congénères, il avait une raison tout autre. Que ce soit ou non le chemin des morts lui importait peu, il savait qu’ils allaient tous un jour ou l’autre le parcourir, alors pourquoi craindre des soi-disantes processions de bulg ?

Non, ce n’était pas les morts qui arpentaient les routes qui le faisaient trembler.

C’était les créatures en chair et en os qui les empruntaient.

Il avait beau avoir vécu d’innombrables grandes lunes, échappé aux pillages et aux massacres des dulug, vu plusieurs villages se faire réduire en cendres et enterré ses camarades plus de fois qu’il pouvait le compter, jamais le vieux giroanithen n’avait ressenti une terreur pareille à celle qu’il avait éprouvée en les rencontrant.

Les Dgulgg.

Ce seul nom suffisait à faire frissonner son corps rachitique.

Il ignorait d’où ils provenaient et qui ils étaient réellement.

Si les giroaninthen étaient les descendants de Giroani et donc affiliés à Daargän, les dgulgg ne pouvaient être autre chose que les agents de Sithagän.

C’était une race de créature légèrement plus grande que les giroaninthen et qui partageait avec eux une physiologie très similaire. Là s’arrêtait la ressemblance. Peut-être un jour avaient-ils été frères, mais désormais, plus aucun autre point commun ne subsistait.

Comme eux, dulgug, ils semblaient se nourrir de viande et peut-être de plantes, mais Buldluglu ne doutait pas qu’ils puissent se nourrir de la souffrance physique des autres. Ils semblaient vivre uniquement pour tuer.

La seule fois où il les avait aperçus remontait à bien longtemps, mais le vieux giroanithen s’en souvenait comme si c’était hier.

Il était encore jeune à l’époque, pas plus de cinq ou six grandes lunes.

Le village où il vivait se trouvait non loin d’une de ces routes des bulgg. Buldluglu avait rejoint ce hameau depuis quelques lunes déjà quand des rumeurs sur des monstres assoiffés de sang avaient commencé à se répandre depuis les villages voisins.

Quand Bulmugu, le jeune chef du village eut vent de ces histoires de démons qui s’attaquaient à des villages alentours en n’y laissant que mort et désolation, il les ignora, purement et simplement.

La menace des dulug était déjà assez importante, ils n’allaient quand même pas abandonner le village et réduire à néant les efforts qu’ils avaient fournis durant plusieurs grandes lunes simplement à cause d’un nouveau danger.

Ce fut Bulmugu qui mourut le premier quand les dgulgg arrivèrent.

Ils attaquèrent la nuit, mais Buldluglu était certain qu’ils n’avaient pas besoin de l’avantage procuré par l’obscurité.

Les giroaninthen entendirent d’abord des hurlements qui ne ressemblaient à ceux d’aucun démon, puis, des points lumineux apparurent entre les fourrées qui délimitaient le couvert de la forêt.

À la différence d’un nombre considérable de ses congénères, le jeune giroanithen avait un esprit très vif, ce qui lui permit d’analyser la situation à une vitesse fulgurante.

Il était impossible que les dulug s’enfoncent si profondément dans la forêt et les lumières réduisaient drastiquement les possibilités qu’il puisse s’agir de démons normaux. Par élimination, Buldluglu en déduisit rapidement que la lumière et les cris provenaient des démons des rumeurs.

Il réagit instantanément.

Sans même hésiter, il plongea tête la première dans le grand étang qui bordait le village et s’approcha à grand-peine du petit îlot qui se trouvait en plein milieu.

Malgré les difficultés que les giroaninthen éprouvaient quand immergés dans l’eau, il continua à se débattre, l’estomac noué, la peur lui prodiguant juste assez de forces pour continuer à nager, jusqu’à ce qu’il atteigne finalement la berge. Là, il n’y avait aucune source lumineuse et des buissons lui permirent de se dissimuler sans problème.

C’est à ce moment que les ennemis débarquèrent.

En voyant ce qui ressemblait à des giroaninthen se précipiter vers eux en hurlant, la plupart des villageois se figèrent sur place, croyant qu’il s’agissait d’un genre d’exercice. Jamais dans l’histoire de leur peuple avaient-ils entendu parler de conflit sanglant entre membre de la même espèce.

Leurs peaux avaient l’air anormalement foncé, tirant plus sur le vert que sur le marron, et Buldluglu suspecta initialement une maladie qui les faisait agir étrangement, mais ce qui s’ensuivit le convainquit du contraire

Bulmugu s’avança pour les rencontrer et les choses arrivèrent à sa hauteur, continuant de hurler comme des sauvages, brandissant des armes de tous types. Le jeune chef ouvrit la bouche pour leur parler, sans doute voulait-il raisonner avec eux, mais la hache qui se ficha en plein milieu de son visage le réduisit éternellement au silence.

Buldluglu ne put retenir le hoquet d’horreur qui lui échappa des lèvres. Ce n’était que le premier.

Sans même stopper sa course, le démon qui venait d’assassiner son compagnon délogea d’un mouvement sec son arme, défigurant plus sévèrement encore sa tête éclatée, avant d’abandonner sa victime derrière lui.

Le corps de Bulmugu n’avait pas encore touché le sol que trois des monstres se jetèrent sur le giroanithen. Leurs mains déchirèrent avec une force insoupçonnée l’abdomen de Bulmugu et en retirèrent tripes et boyaux. Avec des rires déments, ils se mirent à dévorer les organes qu’ils avaient récupérés tout en continuant de découper des tronçons de chair et en se recouvrant du sang de leur victime.

Autour du buffet funèbre, les cris d’extases et d’exultations des démons à l’apparence dulgu se mélangeaient aux hurlements de douleurs et d’horreurs.

Ils avaient beau agir comme des déments, ils n’en étaient pas moins efficace dans leurs actions. Rapidement, plus aucun mâle ne subsista. Ils les avaient cruellement massacrés avec une brutalité surpassant de loin celle des dulug. Quand ils le pouvaient, ils se ruaient sur les corps sans vie de leurs proies et se mettaient à les déchiqueter avant d’engloutir ce qu’ils pouvaient retirer de leurs corps.

Parfois, ils trouvaient un giroanithen qui s’accrochait encore à la vie et se délectaient des hurlements qu’il produisait en se faisant dévorer vivant. Une fois repus, les monstres se tournèrent vers les femelles qu’ils avaient enfermées dans une hutte.

Buldluglu ne put jamais effacer de sa mémoire les cris de détresse que ses congénères poussèrent en se faisant violer ni les expressions extatiques que leurs agresseurs affichèrent en poignardant les corps des femelles qui résistaient leurs assauts.

Il se souvenait également des monstres qui ne trouvèrent aucune femelle à monter et qui se rabattirent sur les seuls corps chauds qu’ils avaient à leur disposition.

En voyant le cadavre mutilé de Bulmugu se faire défiler par l’un de ses assassins, Buldluglu n’en pu plus. Il se retourna, ignorant le risque de se faire repérer et plongea à nouveau dans l’eau. Il se débattit de toutes ses forces, s’épuisant inutilement, son corps en état de choc ne se mouvant pas comme il le voulait.

Il parvint cependant à traverser l’étang et à poser pied sur la terre ferme. Sans même prendre le temps de reprendre son souffle ou de vérifier que personne ne l’avait remarqué, il se mit à courir, faisant de son mieux pour ignorer les hurlements qui résonnaient encore derrière lui et qui ne semblaient pas vouloir se taire.

Ces cris le hantaient encore aujourd’hui.

À chaque fois qu’il se remémorait la scène, il voyait des accusations dans les expressions de détresse et les visages déformés par la peur et la douleur.

Pourquoi était-il encore en vie alors qu’eux étaient morts de façon si atroce ?

Pourquoi s’était-il échappé comme un couard et s’était réfugié en sécurité sans même essayer de leur venir en aide ?

Pourquoi n’avait-il pas cherché à prévenir les villages voisins dans sa fuite pour éviter que cette horreur ne se reproduise ?

À toutes ces questions, Buldluglu ne pouvait pas trouver de réponses.

Avec les lunes, ses remords et sa détresse s’effacèrent lentement, mais les souvenirs et la terreur subsista.

Il avait fui le plus loin possible, allant jusqu’aux limites des territoires giroaninthen, à la frontière avec les dulug. Là, après plusieurs lunes d’errance et de vie solitaire, il avait trouvé un hameau qui se construisait et proposa de rejoindre leur groupe. Les attaques dulug étaient nombreuses ici, mais grâce à l’expérience de Buldluglu et les talents des Chasseurs du clan récemment créé, ils n’eurent aucun mal à les repousser.

Ainsi, le village continua à prospérer. Il se lia d’amitié avec tous les membres du clan, riant avec eux, combattant avec eux, pleurant avec eux.

Après le décès tragique de Bulglug, tué par un dudgul, un démon des eaux, ce fut Buldluglu qui éleva Bulglul. Il occupa le titre de chef de clan jusqu’à ce que Bulglul soit en âge de succéder à son père.

Toutes ces lunes durant et encore maintenant, Buldluglu n’avait jamais cessé de réfléchir à ces créatures.

Il avait déterminé qu’elles se déplaçaient en utilisant ces vieux chemins que tout le monde fuyait. Ce que les giroaninthen prenaient pour les cris des budgg devaient en fait être ceux des dgulgg, la superstition poussait les giroanithen ignorant à rester éloigné des routes, entretenant ainsi les rumeurs.

Cette théorie expliquait aussi pourquoi ils pouvaient déplacer à travers la forêt un grand nombre d’individu sans se faire repérer ou laisser de traces.

Il suffisait maintenant de déterminer où ces routes menaient pour décider quelles parties de la forêt étaient dangereuses.

Même s’il prévenait tous ses congénères du danger de ces horreurs, il y aura toujours des jeunes plein de vigueur et d’idéaux qui chercheront à fonder leur propre clan. Dans l’esprit de Buldluglu, c’était impossible de sauver toute sa race des dgulgg, alors autant protéger le maximum possible d’entre eux et sacrifier une petite partie pour le bien de la majorité.

Il se rendait bien compte que ce n’était pas une manière de penser très vertueuse, mais à partir du moment où les autres dulgug comprenaient le bien-fondé de ses idées, ils finiraient par accepter ses plans, il en était persuadé.

Pourtant, un événement le fit reconsidérer ses desseins.

Des dulug étaient venus au village et avaient essayé d’établir une entente cordiale avec eux.

Ce n’était pas tant l’excentricité de ces dulug qui l’inquiéta, c’était leurs pouvoirs.

Même pour les giroaninthen, insensible à la magie en temps normal, ils dégageaient tellement de pouvoir qu’il était impossible de se sentir à l’aise en restant ne serait-ce qu’à quelques pas d’eux.

Un seul d’entre eux pourrait anéantir une armée dulgu sans se fatiguer.

Ils étaient dangereux.

Extrêmement dangereux.

S’ils décidaient soudainement de les attaquer, le clan ne serait pas en mesure de faire quoi que ce soit pour les empêcher d’agir.

L’étrange dulu qui parlait leur langue avait réussi à convaincre Bulglul que son groupe était inoffensif et n’avait aucune intention belliqueuse, mais son discours n’eut pour effet que de renforcer les suspicions de Buldluglu.

Tout d’abord, il n’avait rien pour prouver quoi que ce soit.

Son récit contant comment ils provenaient d’un monde complètement différent et désiraient rester en paix avec les autres espèces intelligentes qu’ils rencontraient était peut-être tout à fait raccord, cela ne suffisait pas pour faire changer le vieux giroanithen d’avis.

Combien de fois les dulgug avaient essayé de trouver la paix avec ceux qui les exterminaient en retour sans même chercher la discussion ? Buldluglu ignorait le chiffre exact, mais il savait qu’agir de la même manière voulait dire ne pas valoir plus que ces assassins.

Ainsi, le clan se décida à saisir cette main tendue et se prit à croire qu’il était possible pour des dulug de bien s’entendre avec eux.

Buldluglu revit complètement cette idée quand un groupe de dulug les attaquèrent.

À leur grande surprise, ceux qu’ils avaient accueillis ne se retournèrent pas contre les giroaninthen quand les ennemis apparurent mais se battirent à leurs côtés.

De loin, le chef et son père adoptif assistèrent à la scène et se rendirent compte de la supériorité écrasante de ces étrangers.

Puis, quelques temps plus tard, ils revinrent avec une dulu blessée et le jeune dulu aux cheveux noirs insista pour qu’ils puissent la ramener chez eux.

À ce moment, Buldluglu comprit qu’ils n’avaient aucun pouvoir sur ces dulug. Insister ne servait à rien, la différence de puissance était trop importante. Quand la balance n’était pas équilibrée, il était impossible que les rapports soient les mêmes dans les deux sens.

Trois choix s’offraient maintenant à leur clan.

Continuer la relation au risque qu’ils se mettent à faire un jour des demandes auxquelles ils ne pourront dire non.

Les détruire.

S’approprier leur force.

Bien que Buldluglu ait délibérément réduit leurs choix quand il discuta avec Bulglul sur le sujet, il savait au fond de lui qu’il ne faisait que gagner du temps.

Il connaissait le jeune chef, c’est lui qui l’avait élevé. À l’instar de ses frères Chasseurs, il savait se servir d’armes et n’avait plus besoin de faire ses preuves. Sa curiosité naturelle et son empathie faisait de lui un excellent chef, c’est ce qui avait permis au clan de rester soudé même après le décès tragique de son père.

Malheureusement, il possédait un défaut que Buldluglu était constamment obligé de combler ; une naïveté sans pareille.

L’influencer était un jeu d’enfant quand on savait quelles ficelles tirer, et l’histoire des dulug avait fait mouche. Le seul moyen de lui faire voir la réalité était de lui présenter les choses en dramatisant quelque peu.

C’est ce que Buldluglu fit.

Le vieux giroanithen lui expliqua en exagérant ce qui allait se passer s’ils décidaient de continuer leur relation avec leurs nouveaux alliés et le tableau qu’il avait dépeins plongea le dulgu crédule dans une grande panique. Ainsi agité, il était très facile de lui mettre des idées dans la tête.

Buldluglu faisait souvent cela pour aider son fils adoptif à prendre les bonnes décisions. Ce n’était bien évidemment pas lui qui l’influençait, il se contentait de le mettre sur la bonne voie, en rien cela n’équivalait à de la manipulation.

Cette fois-ci, la menace que représentaient ces dulug était trop importante. Les laisser agir sans les contrôler était dangereux. D’après ce que le duldu avait vu, ils étaient aussi nombreux qu’un clan de quelques lunes, mais ils avaient des femelles. Ils allaient pouvoir se reproduire et atteindre un nombre significatif en quelques grandes lunes à peine.

S’occuper d’eux était une priorité absolue.

Après sa dramatisation des faits, Bulglul se tourna vers son conseiller pour savoir ce qu’il fallait faire et ce dernier se contenta de lui donner un exemple simple.

Quand deux dulbug se trouvaient dans la même zone, ils finissaient systématiquement par combattre jusqu’à ce que l’un d’eux meurt sous les coups de l’autre.

C’est exactement ce qu’ils allaient faire.

Puisqu’un monstre était nécessaire pour tuer un autre monstre, il leur fallait en trouver un afin de réguler leur nouveau problème.

Pour la première fois de sa longue vie, Buldluglu se résolut à partager avec quelqu’un le secret qu’il avait gardé. Il raconta au jeune chef l’expérience qu’il avait vécue, faisant en sorte d’omettre certains détails afin que les dgulgg restent des entités moins dangereuses que les dulug aux yeux de Bulglul. Il n’oublia bien évidemment pas de lui faire part de sa théorie sur les sentiers de bulgg.

Le giroanithen à la barbe blanche n’eut aucun mal à obtenir le feu vert de son chef pour le laisser mener une expédition. Accompagné de quelques Chasseurs, il allait s’enfoncer dans les profondeurs de la forêt et trouver les dgulgg afin de passer avec eux un accord.

En échange des informations qu’ils possédaient sur les dulug, les dgulgg devaient les réduire à néant.

“Blugulu, vous êtes certain qu’on se dirige dans la bonne direction ?”

Une voix derrière lui sortit Buldluglu de ses pensées.

Il se retourna et se retrouva en face de Bulblu et de trois autres Chasseurs.

Ses quatre compagnons avaient très mauvaise mine.

Les traits tirés par la fatigue, ils regardaient le chef d’expédition avec des regards anxieux. Ils serraient la garde de leurs armes et jetaient sans cesse des coups d’œil aux alentours.

“Bien entendu, Bulblu, je pense que l’on touche presque au but.”

Hochant la tête, ils se remirent en route en continuant de surveiller l’obscurité au-delà des fourrés.

Cela faisait trois jours qu’ils étaient constamment sur le qui-vive et cela les épuisait, autant physiquement que mentalement.

Lors de leur départ, presque un cercle plus tôt, ils étaient deux fois plus nombreux. Les premiers jours du voyage s’étaient déroulés sans trop de problème. Une fois qu’ils eurent atteint le sentier, le groupe relâcha peu à peu son attention. Le fait d’avoir une grande distance découverte devant et derrière eux donnait l’impression qu’une attaque surprise n’était pas envisageable.

Bien que la majorité des Chasseurs craignait de fouler le passage des bulgg, ils s’étaient fait une raison. Ils avaient accepté la mission en connaissance de cause et personne ne les avait forcés, ils ne pouvaient donc pas désobéir aux ordres. Lentement, le malaise de marcher sur un endroit sacré s’estompa et ils se mirent à marcher plus vite.

Ce fut une grossière erreur.

Cinq jours après le début de l’expédition, un dulbugu les attaqua.

Il sortit des buissons qui cernaient le chemin et se précipita sur eux. D’un coup de mâchoire, il réduisit en bouillie la moitié du corps d’un Chasseur avant qu’aucun des giroaninthen ne puisse réagir.

Un combat sanglant s’ensuivit, qui se solda par la victoire du groupe, mais personne ne la célébra. Deux de leurs camarades étaient tombés durant la bataille, et c’était deux de trop. En temps normal, ils auraient pu riposter immédiatement et limiter les pertes, mais ils s’étaient laissés aller.

Durant la nuit, un des membres de l’expédition reçu une piqure de mulblu dans son sommeil. Bulblu improvisa un traitement, mais ils ne purent l’emmener avec eux. Ils le laissèrent en arrière et demandèrent à un autre Chasseur de veiller sur lui. Ils devaient se rediriger vers le hameau en prenant les précautions nécessaires.

Depuis, les cinq giroaninthen restant firent de leur mieux pour rester conscient de ce qui les entourait.

Jours après jours, ils continuaient de s’enfoncer au plus profond de la forêt et les changements se faisaient de plus en plus remarquer. Le nombre d’arbre augmenta tandis que leurs troncs prenaient toujours plus d’épaisseur. Il était désormais plus difficile pour les créatures de les attaquer soudainement, mais en contrepartie, cela limitait grandement leur vision.

Le plus grand problème restait l’obscurité. Le toit végétal était devenu si épais que la lumière peinait à le traverser, n’illuminant presque plus le chemin.

Le feuillage épais dissimulait le ciel, mais Buldluglu n’avait pas besoin de le voir pour savoir que la nuit n’allait pas tarder à tomber. Il ignorait cependant à quelle distance ils se trouvaient de leur objectif et décida de continuer le plus longtemps possible.

Malgré la petite brise qui soufflait par moment, faisant bruisser les fourrées aux alentours, l’atmosphère était lourde.

Transpirant à grosses gouttes, le giroanithen à la barbe blanche continuait d’avancer malgré les courbatures qui faisaient gémir ses muscles de douleur.

Quand un des Chasseur trébucha et s’étala par terre, Buldluglu comprit que continuer plus longtemps serait trop dangereux.

“On va faire une pause, je pense qu’on devrait atteindre notre but demain.”

Sans rien dire, ses congénères se préparèrent à monter un camp spartiate. Ils organisèrent le plus silencieusement possible les tours de garde tandis que Buldluglu s’allongeait au sol.

Pour ce dernier, voyager à une telle allure dans un endroit aussi dangereux était particulièrement épuisant. Il n’était plus tout jeune et se fatiguait rapidement.

Il ferma les yeux et sentit une vague de fatigue l’emporter, mais avant de tomber dans le sommeil, ses trophées perçurent un très léger tambourinement.

Fronçant les sourcils, il se releva mais tous les Chasseurs étaient immobiles. Il se rallongea en pensant que son esprit lui jouait des tours, mais le tambourinement se refit entendre.

Il colla un trophée sur le sol recouvert d’herbe épaisse et le son se fit plus fort.

“Ils arrivent, ne faites pas de bruit et cachez-vous dans la forêt !”

Le plus silencieusement possible, les quatre Chasseurs opinèrent et ramassèrent leurs affaires avant de ramper chacun sous un buisson différent, se mettant à l’abri des regards.

Buldluglu était camouflé par les feuillages épais des fourrés qui délimitaient le chemin, mais il ne pouvait pas s’empêcher d’appréhender la rencontre.

Allaient-ils avoir directement recours à la violence ou essayeraient-ils de discuter en voyant un semblable chercher la discussion ?

Le vieux giroanithen avait établi un plan simple avec Bulblu. Il allait prendre contact avec les dgulgg et agir seul. Dans le premier cas, les Chasseurs devaient rester invisible et rentrer au village afin de rapporter ce qu’ils avaient vu.

Si en revanche, Buldluglu parvenait à établir une conversation avec les créatures, alors ils devaient le suivre à une certaine distance et observer la situation.

Les tremblements s’intensifièrent et des jappements mêlés à des cris commencèrent à se faire audible.

Ils arrivent…

Pendant plus de grandes lunes qu’il ne pouvait les compter, Buldluglu avait tâché d’effacer tous souvenirs de ces êtres meurtriers et pervers, et maintenant, il s’apprêtait à aller à leur rencontre, de son plein gré.

Le cœur du giroanithen battait à cent à l’heure dans sa poitrine.

Il ignorait si c’était de peur ou d’anticipation, mais il préférait ne pas y penser. Son courage risquait de fondre comme neige au soleil s’il prenait un peu plus de recul sur sa situation, alors il valait mieux agir vite.

Au moment même où ses pensées convergèrent ainsi et qu’il se décida à agir, les premiers dgulgg entrèrent dans son champ de vision.

Les yeux du giroanithen s’écarquillèrent en voyant qu’ils montaient des dulbumug, ces démons qui possédaient des oreilles aussi longues que leur corps et qui chassaient toujours en meute. Des selles bricolées à partir de bandes de cuir et de fourrures disparates étaient ceintes sur le torse disproportionnellement large de ces créatures toutes en longueur. Les dgulgg enfonçaient parfois leurs talons dans les flancs de leurs montures, les urgeant ainsi à maintenir leur vitesse.

Il fallut à Buldluglu que le cortège dépasse sa cachette pour qu’il sorte de sa stupeur et se remémore la raison de sa présence ici.

Prenant une grande inspiration, comme pour invoquer un courage qui lui faisait défaut, il sortit des fourrés où il était dissimulé et s’avança en plein milieu de la route. Il se tint debout ainsi pendant plusieurs secondes, la gorge serrée, incapable de rassembler ses pensées. Ses yeux fixaient ses ennemis jurés qui s’éloignaient rapidement, mais sa bouche était paralysée.

Alors que les dgulgg n’étaient plus que des petites silhouettes au loin, la panique s’empara du giroanithen et en même temps qu’elle enflait, il sentit quelque chose prendre racine dans sa poitrine et grandir à travers ses poumons. Là, elle y prit de l’ampleur avant que sa cage thoracique ne puisse plus la contenir et qu’elle s’échappe par sa bouche.

Au même moment, ses trophées perçurent un hurlement qui déchira le silence pesant de la forêt et parvint à attirer l’attention des cavaliers qui s’arrêtèrent et se retournèrent. Quelques secondes furent nécessaires au vieux dulgu pour réaliser que le rugissement bestial qui lui perçait les trophées provenait de sa propre gorge.

Refermant la bouche, Buldluglu se rendit compte qu’avec ce cri, sa paralysie et sa terreur s’étaient évanouies. C’était comme si ce cri l’avait libéré de la terreur qu’il avait continué d’emmagasiner tant de lunes après le massacre de son clan. Pareil à un dulgu nouveau-né, il se sentait prêt à affronter le monde avec une force insoupçonnée, une énergie nouvelle parcourait son corps noueux, lui donnant la force de confronter ses pires démons qui chevauchaient vers lui.

Ayant déjà vu des dulbumug en action, il ne fut pas surpris par la vitesse à laquelle ils parcoururent la distance qui les séparait.

Le vieux dulgu s’empressa de tirer au clair la courte dague qui pendait à sa taille avant de la rejeter plus loin devant lui. La lame ébréchée s’enfonça dans le sol avec un bruit sourd au moment même où le dulbumu en tête de file parvenait à sa hauteur.

Bien que physiquement similaire, Buldluglu ne savait pas comment ces créatures fonctionnaient. Il ne désirait surtout pas qu’ils comprennent de travers le message qu’il voulait faire passer. S’accroupissant à grand-peine, il posa le dos de ses mains au sol, paumes vers le ciel. C’était la manière la plus parlante qu’il avait de se présenter comme inoffensif. Rapidement, les dgulgg furent à son niveau. Sans échanger un mot, les créatures se mirent à lui tourner autour sans échanger un mot, rendant impossible toute retraite et leur permettant de l’examiner sous toutes les coutures.

Tête baissée, il ne vit pas le nombre exact de dgulgg qui l’encerclait, mais d’après les grognements que leurs montures poussaient, il en déduit qu’ils étaient plus nombreux que tous les doigts de ses mains. Il avait également perçu le tintement des lames qu’on sortait de son fourreau et pressentait que tout faux mouvement résulterait en une décapitation rapide et efficace.

Buldluglu ne s’accorda pas un instant pour réfléchir à la précarité de sa situation, il savait pertinemment bien qu’il serait difficile de se trouver dans une position pire que celle-ci, mais c’était le seul choix qu’il avait.

Après un certain temps, un dgulg descendit de sa monture et se planta devant le giroanithen toujours prostré. Ce dernier fut étonné de voir que le cavalier portait des lanières de cuir autour de ses pieds, les protégeant de manière similaires aux dulug, mais cette pensée fut rapidement écartée au profit d’une plus importante ; qu’allait-il se passer ensuite ?

Alors que les pires scénarios défilaient dans la tête du vieux dulgu, ses trophées parvinrent à capter une voix au travers des tambourinements assourdissants de son cœur.

“Qui es-tu et que veux-tu ?”

En un instant, un nombre important d’émotions se bousculèrent dans l’esprit de Buldluglu. Il fut d’abord soulagé de voir qu’ils ne laissaient pas leurs lames s’exprimer en premier avant d’être étonné qu’ils puissent parler. Puis, la question du pourquoi n’agissaient-ils pas comme il les avait vu faire dans son ancien village le rendit perplexe et créa une inquiétude quant à la légitimité de ces créatures, le faisant douter qu’il s’agisse bien de la même espèce. Enfin, il comprit que sa réponse allait être décisive, autant pour sa personne que pour son clan. C’est ce cocktail de sentiments qui fit légèrement trembler sa voix quand il répondit, s’efforçant de garder la tête baissée.

“Je suis un messager d’un clan de plusieurs grandes lunes, en bordure dulu, venu demander une audience auprès de votre chef. Je possède des informations qui pourraient intéresser votre clan. J’ai voyagé plus d’un cercle, ne m’arrêtant que pour dormir, tellement ces informations sont importantes.”

Le dgulg resta silencieux pendant un instant et le dulgu se demanda si son interlocuteur avait mordu à l’hameçon.

S’il prend la parole, je suppose que c’est celui qui a le plus haut titre du groupe. Mais je sais de source sûre qu’ils sont plus nombreux que ça. Est-ce que leur société est hiérarchisée avec plusieurs sous-chefs et un grand chef ? Ça m’arrangerait de savoir qu’il existe des tensions au sein de leur clan…

“Des informations ? Donne-les-moi maintenant et je les transmettrai à notre chef.”

En entendant cela, Buldluglu se retint de sourire. Quelle chance il avait de tomber sur un individu ambitieux. Maintenant, il lui fallait le convaincre que le ramener vivant était le choix le plus judicieux.

“J’ai reçu l’ordre de ne les donner qu’à la personne la plus respectée de votre clan, mais je peux vous assurer qu’elles sont de la plus haute importance.”

À peine sa phrase terminée, il sentit une main se poser sur le haut de son crâne et le lui serrer avec force. Le dgulg lui releva violemment la tête et appliqua contre sa gorge le fil tranchant de son épée. Les yeux rivés dans ceux de la créature, Buldluglu put pour la première fois de sa longue existence contempler le visage de ceux qui le hantaient depuis tant de lunes.

Comme il l’avait deviné, il n’existait pas de différences importantes dans leurs physiques. Ils étaient plus grands, certes, et leur peau était plus verte que marron, mais à part leurs carrures plus épaisses et leurs défenses plus longues, les distinctions restantes étaient anecdotiques.

Et pourtant, en regardant les yeux de ce dgulg, un frisson parcouru l’échine de Buldluglu. Derrière ses pupilles rouges, le vieux dulgu pressentait une folie qui l’effrayait jusqu’aux tréfonds de son bulg.

“Et qu’est-ce qui me retient de te saigner jusqu’à ce que tu parles, tendreux ?

— Rien, mais je ne possède qu’un morceau de l’information, il faut que je rencontre ton chef pour qu’un de mes frère vienne m’apporter la seconde partie. Me torturer et me tuer ne vous apportera rien non plus car il faut qu’un troisième frère s’assure que je vais bien pour porter le message… Pourquoi croyez-vous qu’ils m’ont envoyé moi ? Je suis vieux et faible, bientôt j’irai rejoindre Aīhíani, cela ne sera pas une grande perte pour notre clan si je mourrais, mais pour vous, cela sera grandement différent…”

Buldluglu avait parlé lentement, se forçant à regarder le dgulg droit dans les yeux. Il fallait qu’il ait l’air sûr de lui s’il voulait que sa ruse fonctionne, et cela semblait bien parti ; le dgulg observait le vieux dulgu en plissant les yeux, l’air de se demander s’il fallait le croire ou non. Il finit par relâcher son étreinte sur le crâne du vieux dulgu et se retourna pour aboyer un ordre à un des cavaliers toujours en selle.

Ce dernier lança sa monture au galop, se dirigeant vers le cœur de la forêt tandis que le dulgu se relevait en massant sa tête endolorie. La force dans la poigne du sous-chef dépassait de loin celle que Buluglu, qui était pourtant le giroanithen le plus musclé du clan. Fallait-il comprendre que tous les dgulgg possédaient une force supérieure à la leur ou était-ce seulement quelques individus ?

Il eut sa réponse quand un des cavaliers descendit de son dulbumu et détacha une des lanières de cuir qui maintenait sa selle. Sans même échanger un mot avec son chef, il s’approcha de Buldluglu et lui saisit les mains avant de les ligoter. La lanière de cuir mordit la peau marron du dulgu, lui soutirant une grimace de douleur, mais il retint le cri qui avait failli s’échapper à travers ses dents serrées. Il avait serré les liens tellement fort que le dulgu ne doutait pas qu’il faille les trancher pour le libérer.

Reliant ses menottes de fortunes à sa monture par une corde, le dgulg remonta sur sa monture et ne daigna même plus accorder un regard au giroanithen.

Presque immédiatement, le sous-chef leva la voix et ordonna le départ. Aussitôt, les dulbumug se mirent en route, les uns après les autres, formant une longue file qui s’étirait sur les pavés abimés de la vieille route.

Le rythme qu’ils avaient adopté n’était pas rapide, mais il n’était pas lent non plus. Tout derrière, lié au dernier cavalier du cortège, Buldluglu était obligé de forcer le pas s’il ne voulait pas se retrouver à traîner derrière les créatures.

Concentré sur ses pieds pour éviter de trébucher dans les ténèbres de plus en plus épaisses, le dulgu ne sut jamais combien de temps il marcha.

Parfois, les dulbumug s’élançaient et Buldluglu devait courir pour ne pas être jeté à terre. Ils continuaient à accélérer jusqu’à ce qu’il soit sur le point de s’effondrer avant que les créatures ne ralentissaient et ne laissaient au giroanithen le temps de reprendre son souffle. Puis, quand ses forces lui revenaient, ils repartaient de plus belle.

Buldluglu se rendait bien compte qu’ils essayaient de briser son moral en l’épuisant physiquement, mais sa première interaction avec les dgulgg l’avait changé ; il avait affronté ses démons et plus rien ne pouvait l’effrayer. Bien entendu, il évitait délibérément de penser à cette étincelle de folie qui dansait dans les yeux de ces créatures.

Alors que l’esprit du dulgu commençait à flancher après une nouvelle accélération, ses trophées perçurent des éclats de rires et des sons métalliques. Il releva la tête et son cœur rata un battement.

Au loin, il vit une gigantesque palissade de bois mettre fin à la route pavée. Bien que les soleils fussent depuis longtemps couchés, de nombreuses torches illuminaient l’extérieur de la muraille. De grosses volutes de fumées trahissaient la présence de plusieurs feux de camps, et à en croire ses narines, Buldluglu était certain que le clan dgulg avait de la viande au menu.

Il aurait voulu sourire et se réjouir de toucher enfin au but, mais la réalité de sa mission le paralysa presque. Il se rendait compte que parvenir au camp des dgulgg était l’objectif le plus simple ; maintenant, il devait rencontrer le chef de clan et le convaincre d’aller attaquer des dulug, chacun plus dangereux qu’un dulbubu, et éventuellement de leur laisser deux ou trois femelles et un mâle pour ne pas perdre leurs pouvoirs hors du commun.

Déglutissant avec difficulté, il fixa son regard sur les portes de bois hérissées de pieux épais et anticipa leur arrivée.

Chaque pas qu’il faisait augmentait son stress. La montagne se découpait plus loin sur le ciel noir d’encre, et Buldluglu se rendit compte que jamais il n’avait été aussi proche d’elle. Cependant, à côté de l’immense muraille de bois, elle donnait presque l’impression d’être insignifiante. Il aurait fallu bien plus de cinq dulgug les uns sur les autres pour atteindre son sommet, et cela ne fit que renforcer le malaise du giroanithen. Ses chances de s’enfuir si les choses tournaient mal se réduisaient de plus en plus à mesure qu’il en apprenait plus sur ces créatures.

Plus rapidement qu’il ne l’aurait voulu, ils atteignirent l’entrée et les portes s’ouvrirent. Sur sa droite s’élevait des constructions en bois et c’est de là-bas que s’élevait le vacarme produit par les dgulgg. Buldluglu en conclut qu’il s’agissait du cœur du campement, là où tous se réunissaient pour partager leur repas et célébrer les festivités, si seulement ils faisaient cela. Une seconde palissade de bois, moins haute que la première, séparait cet espace de la seconde partie du campement.

Sur la gauche, accolés contre les premiers renflemants de la montagne, des bâtiments abîmés et en ruine semblaient occupés par des dgulgg. La vue de ces constructions souleva de nouvelles questions dans l’esprit du dulgu. Il était évident que ce n’était pas les dgulgg qui les avaient bâtis, mais la même espèce qui avait créé les chemins qui parcouraient la forêt.

Buldluglu ne put contempler plus longtemps les édifices. Le sous-chef dgulg tira brutalement sur la corde qui était encore attachée à ses menottes de cuir et le dulgu s’étala sur les pavés durs de la route. Son tortionnaire s’approcha ensuite du giroanithen qui essayait de se relever et posa un pied sur son dos avant d’y appliquer une force suffisante pour faire grincer les côtes de sa victime. Il se pencha sur cette dernière et se mit à lui parler :

“Tu vas avoir une audience avec notre chef de clan quand les soleils se découvriront. Alors tu vas bien m’écouter maintenant, le tendreux. Si j’apprends que tu m’as caché des informations, je te découperai la main et je te la ferai bouffer. Si j’apprends aussi que tu m’as menti et que ce que tu racontes n’as aucun intérêt, je veillerai personnellement à retrouver ton clan et à les massacrer tous jusqu’au dernier avant de te torturer de la pire manière qui soit. C’est clair ?”

Le souffle chaud du dgulg, charriant des relents pestilentiels donnèrent à Buldluglu la nausée en effleurant son visage. Avec beaucoup d’effort, le dulgu parvint à ignorer l’odeur infâme et à répondre en restant le plus impassible possible.

“Bien entendu, pas de problème puisque je n’ai dit que la vérité.”

Derrière son masque imperturbable, Buldluglu était terrifié. La probabilité qu’il finisse écorché vivant augmentait à un rythme qui lui semblait bien trop important à son goût.

Sentant le poids qui le maintenait au sol disparaître, il se remit tant bien que mal sur pied avant que deux dgulgg ne l’emportent vers la partie la plus silencieuse du campement. Le sous-chef lui lança un dernier regard plein de haine et de dégoût avant que les portes du camp se referment sur lui.

Seulement éclairé par deux torches, Buldluglu fut entraîné dans un dédale de constructions qui lui fit rapidement perdre son sens de l’orientation. La lumière dansante des flammes ne permettait pas de se faire une idée précise de ce qui l’entourait. Il avait l’impression d’avoir déjà vu ce bout de façade ou cette fenêtre, mais il ne pouvait s’assurer que les virages qu’on lui faisait prendre avaient pour but de l’amener quelque part ou simplement de jouer encore avec son esprit. Selon lui, il était impossible que la race qui avait habité ici ait construit autant de bâtiments, cela lui semblait improbable.

Après un énième tournant, ils finirent par déboucher sur un espace plus dégagé, dominé par une grande bâtisse qui menaçait de s’effondrer. Malgré le peu qu’il voyait, il n’était pas difficile de comprendre que les énormes fissures qui zébraient la construction étaient un mauvais présage. Sans même qu’on lui défasse ses liens, il fut poussé sans ménagement dans une pièce avant qu’on ne referme la porte sur lui et qu’il soit plongé dans le noir.

Il n’y avait aucune fenêtre pour illuminer ne serait-ce qu’un peu l’intérieur, mais d’après ce qu’il sentait sous ses doigts et l’odeur qui y régnait, Buldluglu était presque soulagé qu’il en soit ainsi. Il n’essaya même pas de forcer l’entrée, il avait vu l’épaisseur des portes qu’il devinait neuves et taillées pour retenir des êtres vivants. Explorer la pièce ne fut même pas une option, à quoi cela l’amènerait ?

S’asseyant sur ce qu’il devina être de la paille moisie et quelques os éparpillés d’après les craquements, il ferma les yeux et se mit à penser à toutes les possibilités qui s’offraient à lui.

Le vieux giroanithen ne dormit pas de la nuit, et quand la porte fut ouverte, le lendemain, la lumière encore timide des soleils révéla un Buldluglu sûr de lui et paré à affronter la folie des dgulgg.

 

***

 

Irrité.

Mason aurait pu trouver bien des synonymes à cet adjectif, mais un seul qualificatif suffisait amplement à décrire son état actuel.

Face à la grande étendue d’arbre qui l’observait en bruissant parfois légèrement, il avait tout le temps du monde pour se remémorer la suite d’événements qui l’avait amené à broyer de bien sombres pensées, et ce n’était pas l’inactivité constante à la lisière de la forêt qui allait l’en empêcher.

Tout avait commencé ce matin, alors qu’il s’était réveillé avant même que les soleils ne se lèvent. Il aurait dû se réjouir de savoir son horloge biologique à l’heure, cependant, le malaise qui avait accompagné son émersion l’avait plongé dans la confusion.

Allongé dans son lit, l’adolescent était resté immobile plusieurs minutes, le temps de trouver la source de son trouble ; le silence pesant qui planait sur le campement.

À cette heure de la matinée, il aurait dû entendre William jouer un air de flûte comme il avait l’habitude de le faire. Cette constatation mua alors son malaise en inquiétude.

Mason fit apparaître son arme en sortant le plus silencieusement possible du lit. Malgré le fait qu’il fasse encore noir dehors, le faible éclairage que les trois astres produisaient était aux yeux de l’archer aussi intense que celui des soleils. Un rapide coup d’œil au lit vide de son colocataire lui apprit qu’il était absolument seul. Le garçon ne se demanda même pas où Luke avait bien pu passer, son esprit était en alerte et n’avait pas le temps de penser rationnellement.

Il ouvrit la porte de sa chambre, faisant attention à faire le moins de bruit possible, puis s’engagea dans le couloir, plongé dans l’obscurité. Rasant les murs, il se refusait à pénétrer dans l’une des chambres, craignant trop qu’un spectacle macabre l’y attende.

Comme en plein rêve, tout ce qu’il faisait et pensait semblait en décalage avec la réalité. Mason ne savait pas trop pourquoi il ressentait cela, mais son incapacité à trouver une réponse cohérente ne fit que renforcer son angoisse grandissante.

L’archer atteignit les portes du dortoir et s’arrêta devant elles. Que devait-il faire ? Les ouvrir et risquer d’attirer l’attention des choses qui pouvaient se trouver derrière ou se mettre à la fenêtre et observer les environs pour avoir une idée de la situation.

Bien que Mason aurait aimé prendre la troisième solution, celle qui consistait à repartir dans sa chambre et se fourrer dans son lit en espérant que quoi qu’il se déroule en ce moment se termine, il finit par se résoudre à faire ce qu’il fallait. Il prit une grande inspiration et posa sa main sur le bois devant lui.

Au même moment, quelqu’un poussa la porte de l’autre côté, surprenant l’archer qui était encore plongé dans son monde. L’épais battant de bois rentra en collision avec le nez du garçon et le fit tomber à la renverse. Ses fesses entrèrent violemment en contact avec le parquet tandis qu’il poussait un petit cri de douleur. Son arme disparut de ses mains et le garçon releva la tête, essayant de discerner le visage de la personne qui avait tenté de briser son appendice nasal à travers les larmes qui avaient perlées suite à sa blessure.

“Bah, Mason ? Qu’est-ce que tu fous là ? Ton tour de garde est encore dans quelques heures. J’aurais pas cru que t’étais du genre à vouloir faire des heures sup’, mais je me ferai un plaisir de te laisser mon tour si tu veux ?”

L’archer n’eut aucun mal à identifier la voix masculine qui venait de s’exprimer. La douleur reflua lentement et quand sa vision redevint claire, il put clairement voir Jules dans l’encadrement de la porte, tendant sa main pour l’aider à se relever. Mason attrapa cette dernière et s’en aida en grognant pour se remettre sur pied.

Le sourire qui fendait en deux le visage ovale de son camarade disparut quand la lumière des lunes éclaira enfin celui qu’il avait blessé.

“Oh merde, tu saignes ! Ça va ? Je t’ai pas trop fais mal j’espère ?!”

En entendant cela, l’archer porta ses doigts à son nez, comme par réflexe. Il palpa délicatement la zone qui lui faisait mal, mais à part la douleur diffuse qu’il sentait pulser, il n’eut pas l’impression d’être plus heurté que ça. Pourtant, quand il retira sa main, il vit qu’elle était ensanglantée.

“Fais chier…

— Je suis désolé Mason, je te jure que je t’avais pas vu !”

Une main sur son nez pour essayer de stopper l’hémorragie, Mason agita l’autre en face de Jules, l’air de dire que ça n’avait pas d’importance. Il savait pertinemment que Jules n’était pas le genre de mec à blesser consciemment les autres.

“Je sais bien, t’inquiète pas, c’est de ma faute de toutes manières, j’aurais dû faire plus attention.”

Il tapota l’épaule de son camarade, faisant attention à ne pas mettre du sang dessus, puis sortit du dortoir et prit la direction de l’infirmerie.

Sur la route, il ne put s’empêcher de se reprocher l’habitude qu’il avait de se faire des films. Ce n’était pas la première fois que ce genre de situation arrivait ; depuis tout petit il avait toujours réussi à se fourrer dans des problèmes, simplement parce qu’il avait une imagination trop fertile et une tendance à paniquer et s’inquiéter très rapidement.

Il arriva devant le petit bâtiment, mais l’adolescent se retint d’entrer. Il ne voyait aucune lumière à l’intérieur alors que les volets étaient ouverts. Parce qu’il se sentirait mal en réveillant la guérisseuse à cause d’un simple saignement de nez, il fit demi-tour et se dirigea cette fois vers le réfectoire. Il trouvait étrange que sa camarade dorme à cette heure de la matinée alors que même Tom était éveillé, s’il en croyait les lumières allumées dans sa maison, mais ce n’était pas à lui d’en juger. Si Amélie voulait profiter d’une grasse matinée, il n’était pas celui qui allait l’en priver.

Au moins, il était certain de trouver du monde dans le réfectoire. La fumée qui s’échappait de la cheminée et qui répandait de bonnes odeurs dans tout le campement indiquait la présence de Julie. Que d’autres lycéens soient en train de manger ou non lui importait peu, il avait faim et c’est tout ce qui comptait.

Il pénétra dans la grande salle qui faisait office de hall d’entrée et se dirigea directement vers les cuisines. Le garçon n’eut pas besoin de chercher longtemps pour repérer la silhouette de sa camarade.

En la voyant s’activer, la concentration fronçant ses sourcils sur son visage habituellement souriant, l’archer se demanda comment elle pouvait rester autant de temps à cuisiner sans même sortir du bâtiment.

C’était d’un commun accord que personne ne demandait jamais quoi que ce soit à Julie. Quand quelqu’un avait faim, il pouvait aller lui quémander de quoi se nourrir, quelle que soit l’heure, tout le monde savait qu’elle allait se trouver derrière ses fourneaux et qu’elle ne refusait jamais de donner à manger.

Cependant, demander un plat particulier ou exprimer un avis légèrement négatif suffisait pour s’attirer les foudres de la cuisinière. Jules et Chris en avait fait l’expérience et ils traitaient désormais Julie avec un respect tel qu’on pouvait se demander s’ils avaient réellement le même âge.

Secouant la tête pour chasser de son esprit le souvenir du plat que la jeune femme avait concocté pour la paire de plaisantin, il inspira grandement, ce qui eut comme effet de raviver la douleur dans son nez. Il s’approcha de Julie et lui demanda courtoisement de lui préparer un petit-déjeuner consistant.
Une minute suffit à sa camarade pour composer un plat à partir des ingrédients qui traînaient ici et là sur le plan de travail. Elle en profita pour déposer une grosse louchée d’un plat qui semblait inédit.

Mason prit l’assiette qu’elle lui tendit en silence et monta les escaliers qui menaient à l’une des salles de réunions privées. Il était un peu dérouté par l’attitude froide de Julie et le regard étrange qu’elle lui avait porté, mais il les mit sur le compte d’un réveil difficile.

Arrivé devant la salle que les groupes utilisaient pour prendre leurs pauses après un tour de garde, il ouvrit la porte sans frapper et se retrouva face à trois adolescents, avachis devant une table, faisant face à des assiettes vides.

“…et là, boum, il enlève son masque et on découvre… Mason ! Salut, ça va ?

— Oh, salut, qu’est-ce que vous foutez ici ? Votre tour est pas terminé depuis hier soir ?”

Légèrement surpris de voir des gens si tôt dans la pièce d’ordinaire vide, Mason reprit rapidement contenance et s’installa à côté de Daniel qu’il avait interrompu en entrant, juste en face de Lynn. Cette dernière avait le regard fixé sur Chris et ne le détacha du garçon qu’un instant pour saluer le nouvel arrivant.

Daniel ignora complètement les questions de son camarade.

“Tu tombes à pic mec, j’étais juste en train de raconter cette histoire du fantôme et de la poupée, tu sais, celle qui… mais tu saignes !?”

En entendant le cri de leur camarade, Chris et Lynn dévisagèrent Mason, une expression soucieuse sur le visage.

Ah bah oui, forcément, Nolan était dans leur groupe… Je peux comprendre que voir quelqu’un saigner soudainement leur rappelle ce qui s’est passé avec l’ours. Et ça explique aussi les regards que Julie me lançait tout à l’heure.

Se forçant à sourire, Mason essuya du revers de sa main le filet de sang qui n’avait pas eu le temps de sécher. Il ne saignait plus mais son nez lui faisait encore mal.

“Nan vous inquiétez pas, c’est rien. J’ai juste croisé Jules avant de venir… ou plutôt, mon nez a fait une rencontre avec la porte qu’il m’a envoyé à la gueule en entrant dans les dortoirs.”

Les trois jeunes se détendirent en entendant l’explication de leur camarade.

Mason planta sa fourchette dans ce qui ressemblait à une purée d’une belle couleur orange, la nouvelle création de Julie, et la porta à sa bouche.

Quand la mixture épaisse entra en contact avec sa langue, une explosion de saveur le fit écarquiller des yeux.

Il n’était pas en mesure de déterminer avec exactitude le goût que ça avait.

C’était salé, sucré, acide et amer en même temps, mais dans un équilibre si parfait qu’il ne pouvait pas savoir qu’est-ce qui était quoi. La seule chose dont il était capable était de dire que c’était un délice.

Le goût de carotte sucrée et de patate douce légèrement acidulée était le plus fort, mais ce n’était pas tout. En plus de ces deux saveurs particulièrement reconnaissables, d’autres éléments qu’il ne parvenait pas à identifier rendait la purée plus délicieuse que tout ce qu’il avait pu goûter durant sa courte vie sur Terre.

“Elle est bonne cette purée, t’as vu ?”

Savourant sa bouchée, Mason hocha la tête pour acquiescer, incapable de parler. Alors que l’archer se mettait à attaquer son plat à coup de fourchette, Lynn reprit.

“C’est un nouvel ingrédient que Jack a trouvé. Apparemment ce serait des racines de quelque chose. Notre chasseur local a vu des lapins cornus en manger et il en a conclu que c’était peut-être comestible. Quant à savoir pourquoi il les observait et combien de temps il a passé avant de faire cette découverte, c’est pas à moi qu’il faut demander.”

Les trois compères éclatèrent de rire suite à sa remarque. Mason les ignora, trop concentré à finir son plat pour se soucier d’une blague qui semblait référencer un sujet abordé précédemment.

En à peine deux minutes, le garçon termina son assiette. Repu, il la repoussa et s’adossa confortablement au dossier de sa chaise. La position qu’il prenait après avoir mangé était pour lui un facteur très important dans sa digestion.

“Vous avez vu William aujourd’hui ?”

Daniel haussa un sourcil, ouvrit la bouche comme s’il se préparait à répondre mais la referma sans qu’un son ne s’en échappe, réalisant sans doute qu’il n’entendait pas la musique de leur camarade.

“Nope, pas vu, pas entendu, et c’est assez étrange en soit. Tu devrais passer chez Tom, s’il est quelque part, c’est certainement là-bas.

— Merci pour l’info, j’y vais, ça va être à nous de prendre la relève et j’ai pas envie qu’Anthon m’engueule parce que mon groupe a pas bien fait son taf.

— T’inquiète, t’as encore le temps, au moins une heure… et puis, il est bien trop occupé à régler son compte à Romane pour s’occuper de vous.”

Les garçons pouffèrent de rire en entendant la réplique de Chris tandis que Lynn les regardait en secouant lentement la tête, l’air affligée.

“Au moins il s’envoie en l’air, je sais pas si vous êtes en mesure de vous moquer de lui, bande de puceaux…”

La langue toujours aussi bien pendue, hein… Il vaudrait mieux que je prenne la fuite avant de recevoir une balle perdue, ça chauffe bien trop vite avec eux.

Récupérant son assiette, Mason quitta la pièce en faisant la sourde-oreille aux récriminations de Daniel et Chris. Il savait que ce groupe avait la fâcheuse tendance à s’engueuler sans arrêt pour un rien.

Depuis qu’Édouard, le professeur de sport, avait décrété qu’il ne voulait plus avoir de responsabilité et s’était enfermé dans les sous-sols des dortoirs, les quatre adolescents passaient leur temps à se plonger dans des débats aussi stérile qu’inutile, débats qui pouvaient durer des heures et qui se terminaient généralement à grand renfort de cris et d’insultes.

En descendant les escaliers, Mason se souvint que l’histoire de ce groupe était bien plus complexe qu’elle en avait l’air.

Lynn et Nolan étaient deux cousins éloignés qui s’entendaient extrêmement bien. La mort tragique du garçon avait été un grand choc pour l’adolescente. Grâce à ses camarades, en particuliers les membres de son groupe, elle était parvenue à surmonter ce terrible événement.

La gentillesse et l’attention que Chris avait montrées à son égard l’avaient émue et elle avait jeté son dévolu sur lui, comme un noyé se jette sur une bouée de sauvetage.

Ce dernier était complètement inconscient de ce que son comportement avait provoqué et cela irritait grandement Lynn. Elle avait trouvé en la personne de Jules le parfait exutoire à son irritation, cependant, la profonde amitié entre les deux garçons faisait qu’ils se liguaient contre elle, l’irritant encore plus.

Quant à Daniel, tout le monde savait qu’il éprouvait quelque chose pour Lynn, raison pour laquelle il la soutenait aussi souvent.

Y’en a pas aussi qui racontent que Daniel est gay ? Boh, pas comme si ça me regardait. Je suis juste content d’avoir un groupe qui est pas trop compliqué non plus. Louis est un mec sympa à qui on peut toujours demander quelque chose. Jack était pas très bavard avant qu’il parte mais maintenant c’est pire. Je suis même plutôt sûr qu’il n’est plus considéré comme membre de notre groupe. Éva, bah c’est Éva et le nombre de fois où Olivia m’a adressé la parole peut se compter sur les doigts de la main…C’est pas comme eux avec leur triangle amoureux et leurs constantes joutes verbales.

Arrivé au palier inférieur, il entra dans la cuisine et fit sursauter la cuisinière en s’écriant :

“Merci Julie, c’était super bon, comme d’hab’ !”

Puis, riant de la réaction de sa camarade, l’archer sortit à l’extérieur et se dirigea vers la maison de Tom. Sur la route, il remarqua que les soleils n’allaient pas tarder à se lever et il fronça les sourcils ; Il avait encore un peu de temps avant que ce ne soit à son groupe de prendre leur tour de garde, mais il préférait les savoir réveillés.

Arrivé devant la porte de chez Tom, Mason s’arrêta et tendit l’oreille.

Il entendit clairement des voix, mais si indistinctement qu’il ne parvint pas à en reconnaître leurs propriétaires.

En soupirant, il se résolut à entrer.

Posant sa main sur la porte, il récita une courte incantation. Un instant plus tard, les planches de bois qui composaient le battant en contact avec sa main disparurent et il put voir l’intérieur.

La porte ne s’était pas réellement évaporée, mais à ses yeux, ce qu’il touchait devenait complètement invisible.

C’était un de ses sorts qui lui permettait de voir à travers les objets. Cette compétence était extrêmement pratique, autant par son utilisation que par la faible consommation d’énergie qu’elle nécessitait, mais comme tant d’autres qu’il possédait, il avait tendance à les oublier une fois que la panique s’emparait de lui.

Rapidement, il trouva ce qu’il cherchait ; le hamac tendu sous l’escalier.

Parce que nombre de ses camarades avaient tenté de parler avec Tom, Mason avait appris que l’un des gobelins montait la garde chez lui. Il n’était pas difficile de comprendre que Tom ne désirait pas être dérangé, cependant, comment l’autochtone pouvait juger qui pouvait et qui ne pouvait pas voir le garçon ?

Mason avait comme hypothèse personnelle qu’il ne le pouvait tout simplement pas.

La seule raison qui le poussait à laisser passer un élève ou non devait résider dans l’attitude que ledit élève exhibait. S’il donnait l’impression qu’il avait quelque chose d’important à dire, alors sans doute le gobelin le laisserait passer, autrement, il verrait sa route barrée.

L’archer supposait aussi que jamais le gobelin ne blesserait un intrus, il devait chercher à effrayer assez les importuns pour qu’ils tournent les talons, mais Mason était persuadé qu’il avait reçu comme ordre express de ne pas avoir recours à la violence.

Tout en essayant de se convaincre que ses suppositions étaient correctes, l’adolescent s’assura que le gobelin était bel et bien étendu sur son hamac.

Ah bah te voilà ! Maintenant, il ne me reste plus qu’à essayer de prouver ma deuxième hypothèse…

Une fois certain que la voie était libre, Mason prit une nouvelle inspiration, pour se donner du courage cette fois, et ouvrit en grand la porte. Sans perdre un instant, il se précipita vers les escaliers et grimpa les degrés quatre à quatre, faisant un effort pour ne pas se retourner de peur de se retrouver nez à nez avec le gardien des lieux.

Une fois le palier supérieur atteint, le garçon fit volte-face, haletant, mais rien ne semblait avoir bougé.

Un grand sourire fendit le visage de l’archer.

Haha ! Prends-toi ça dans les dents ! Il a même pas été capable de réagir tant je suis passé vite ! Mason 1, Gobelin 0 ! Sarah n’a qu’à bien se tenir !

Mason prit un instant pour laisser le temps à son cœur de se calmer, puis il reporta son regard sur l’étage et détailla la configuration des lieux.

C’était la première fois qu’il entrait dans la ‘chambre’ de Tom. Il avait fait partie de ceux qui avaient érigé les maisons prototypes, mais il n’avait jamais eu l’occasion de la voir meublée.

Comme partout dans le campement, le mobilier était sobre. À part le gigantesque bureau encombré et l’immense étagère remplie de tablette qui occupait tout un pan de mur, le reste du mobilier était similaire à ce qu’on trouvait dans les autres chambres, si ce n’était pour les toilettes et la large bassine remplie d’eau.

C’est le bureau de Tom qui attira l’attention du garçon. Il pouvait y voir nombre de petits objets carrés éparpillés ici et là, des schémas qui reproduisaient les cercles magiques auxquels les lycéens étaient désormais familiers ainsi que d’autres éléments qui semblaient trouver leur place dans un laboratoire de savant fou.

Le plus intriguant demeurait les fioles en verre remplies de liquide rouge et violet. Comment diable avait-il pu trouver de tels objets dans ce monde ? Et où pouvait-il en trouver ?

“Mason ? Que me vaut le plaisir de cette intrusion ?”

La voix monotone de Tom sortit l’archer de ses observations. Assis sur son lit accolé à une fenêtre, il faisait face à William, assis à même le sol.

Les deux garçons le dévisageaient en silence, l’air d’attendre patiemment la réponse.

C’est bien ma journée, tiens. Je passe mon temps à interrompre des conversations. Je vais finir par me retrouver en enfer pour mecs relous… Surtout que je vais pas du tout passer pour un gros débile maintenant, bien sûr que William n’a pas disparu. Urgh…

Gardant pour lui cette auto-flagellation verbale, il fit un pas en avant et croisa les mains derrière son dos, comme un enfant interrogé au tableau devant toute la classe.

“Euh, c’est juste que, euh, je me suis réveillé et j’ai pas entendu Will alors je me suis dit : hé ! peut-être qu’il s’est passé quelque chose ! et du coup, je me suis inquiété et je voulais m’assurer que tu ailles bien… et euh… voilà… c’est tout…”

Tout honteux, Mason baissa la tête tandis que ses propos se transformaient en simple murmure.

En s’expliquant à haute voix, il se rendait compte à quel point ça avait été stupide d’avoir agit sur de simples présomptions.

“Comme tu peux le voir, je me porte comme un charme, merci de t’inquiéter, ça fait quand même plaisir de savoir qu’on pense à moi, même si c’est un garçon.”

Les deux adolescents pouffèrent de rire sous le regard inquisiteur de Tom, sans doute trop sérieux pour ce genre de blague… ou pour l’humour tout court.

Une fois le silence revenu dans la pièce, Mason se rendit compte qu’il n’avait plus rien à faire ici. Il leur avait déjà fait perdre assez de temps comme ça.

“Bon, c’est pas tout, mais je vais pas continuer à vous faire plus chier que ça, j’y go moi.”

Il se retourna et s’approcha des escaliers quand la voix de William s’éleva derrière lui.

“Attends, puisque tu es là, autant vous présenter.”

Ouvrant la bouche pour lui demander de quoi il parlait, le son de la porte en bois qui s’ouvrit en bas le réduisit au silence.

Un peu inquiété par les paroles mystérieuses de son camarade, Mason fixa les escaliers, s’attendant à ce que tout ou n’importe quoi les escalade.

Ce ne fut ni un tout ni un n’importe quoi qui se montra. En fait, ce n’était même pas un ‘un’ mais un ‘une’.

La personne qui venait de monter les escaliers était une femme qu’il n’avait jamais vue avant. Ses longs cheveux bruns cascadaient jusqu’au creux de ses reins, encadrant un visage ovale absolument charmant.

Elle venait vraisemblablement de s’exercer puisqu’une fine pellicule de transpiration faisait luire sa peau bronzée. Un haut en lin gris découvrait ses bras finement musclés tandis que son pantalon révélait les courbures de ses cuisses puissantes avant de disparaître sous les genouillères en cuir sombre qu’elle portait.

Un carquois rempli de flèches était accroché à la ceinture qui ceignait sa taille et qui révélait une silhouette svelte.

La qualifier de ‘belle’ était un euphémisme, mais ce n’était pas la raison pour laquelle le cœur de Mason rata un battement.

Depuis qu’ils étaient arrivés, un grand nombre de Terriens s’étaient rendu compte que leur physique avait changé, et pas uniquement leurs masses musculaires. C’était comme s’il fallait être beau pour recevoir des pouvoirs, et qu’un grand nombre de jeunes avaient reçus une légère modification pour remplir les critères.

Ainsi, à force de côtoyer des personnes qui ressemblaient à des modèles, Mason ne parvenait pas à se sentir submergé en voyant une autre beauté tellement il y était habitué.

Il savait que si certains de ses camarades se seraient trouvés à sa place, ils auraient sans doute été en train de la déshabiller du regard afin d’essayer de deviner le corps qui se cachait sous ses quelques couches de vêtements. En fait, contrairement à eux, il était bien plus curieux à propos du carquois qui battait ses hanches que par la largeur de celles-ci.

En découvrant son existence, la femme n’eut pas la même réaction que lui. Ses yeux le fixèrent une demi-seconde avant de s’écarquiller de surprise. Elle eut un mouvement de recul instinctif, comme une souris devant un chat.

Ouch… J’ai beau savoir ne pas être un canon de beauté, je ressens quand même quelque chose quand on piétine ma fierté personnelle.

Tom se rapprocha et posa une main sur l’épaule de la femme, comme pour la calmer. Il murmura quelques mots dans une langue que Mason n’avait jamais entendue et la nouvelle arrivante se détendit un peu. Elle ne semblait plus sur le point de dévaler les escaliers en courant pour prendre la fuite.

C’est déjà un début… Mais ils sont pas un peu trop proche ces deux-là ?

En voyant son camarade agir de manière si intime avec elle et comment elle réagissait à son comportement, un certain nombre de question furent soulevées dans l’esprit de l’adolescent.

Cependant, Tom ne lui laissa pas le temps de les lui poser.

“Mason, je te présente Ania. Ania’the, Mason’an. C’est elle l’aventurière qu’on a ramené du village des girothanis.

— Oui, je m’en doutais un peu quand même, c’est pas tous les jours qu’on a des gens qui apparaissent dans cette forêt. Enchanté.”

Mason tendit sa main devant lui, essayant de rassurer Ania en ayant une attitude courtoise, mais cela eut l’effet inverse. La femme regardait sa main tendue avec un mélange d’inquiétude et de curiosité.

Voyant cela, Tom intervint :

“Essaye de dire « ekhu’ioguth etham nigir ».

— Ekhu’ioguth… etham nigir ?”

En même temps qu’il répétait la phrase que son camarade lui avait soufflée, Tom expliqua quelque chose à l’aventurière, et cela fonctionna puisqu’elle saisit la main du garçon et lui répondit en le fixant droit dans les yeux :

“Mel ekhu’mathioeni.”

Mason n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle venait de dire, pas plus qu’il ne comprenait ce qu’il avait répété, mais le regard franc avec lequel elle l’avait regardé le persuada qu’il s’agissait des phrases de courtoisie qu’on prononçait en rencontrant quelqu’un.

Attends une seconde, s’il existe des phrases qu’on dit en rencontrant les gens, ça veut dire que les gens se rencontrent ! Donc ça veut dire qu’il doit y avoir des villes ou des villages d’humains ?! Pourquoi on reste dans ce trou paumé si on a la possibilité de rencontrer des vrais hommes ?

La voix de William interrompit son raisonnement :

“Dis-moi Ania, j’ai entendu dire que tu étais une archère ? Pourquoi ne pas échanger vos techniques avec Mason ? Je pense que ça peut être intéressant de voir la différence entre les techniques acquises et les techniques innées.”

Le large sourire que Will exhibait en parlant eut pour effet de rendre Mason suspicieux. Il avait la même expression qu’un enfant qui vient de faire une blague et qui attend que ses amis la découvrent.

Tout en rangeant ses fioles et autres babioles dans un tiroir, Tom traduisit ce que le musicien venait de proposer. En voyant ses yeux briller d’un intérêt qui ne pouvait être feint, les adolescents n’eurent pas besoin d’attendre la réponse de l’aventurière pour savoir ce qu’elle en pensait.

“Il te reste encore pas mal de temps avant ton tour de garde, ça te dit de comparer un peu votre manière de tirer, Mason ?

— Ouais ! Carrément !”

Il avait sa réponse à sa question concernant le carquois qu’elle portait, et il n’y avait pas à dire, cette réponse lui plaisait.

Quand ils avaient découvert leurs pouvoirs, il n’avait pas été une seconde étonné de voir apparaître un arc entre ses mains.

Au contraire, c’était comme s’il l’avait toujours possédé et que tout son entraînement avait été réalisé dans le seul but de pouvoir maîtriser son arc magique.

Bien sûr, il avait appris à tirer à ses camarades, mais à part Jack qui en avait déjà fait, aucun ne semblait véritablement intéressé par la discipline. Les lycéens voyaient le tir à l’arc comme une méthode de chasse antique et complètement dépassé.

Maintenant qu’il avait la possibilité de se mesurer à un autre archer après tant de temps, une certaine excitation s’était emparée de lui.

Il avait beau essayer de se calmer, de se dire que la jeune femme était peut-être une débutante ou simplement une tireuse médiocre, la perspective de tirer et de se comparer à un confrère était amplement suffisant pour le faire bouillonner d’excitation.

C’était à partir de ce moment que tout avait dérapé.

William avait accompagné les deux tireurs jusqu’au stand tandis que Tom continuait à travailler sur ces affaires auxquelles seul lui comprenait quelque chose.

Il était rare que quelqu’un utilise le couloir de tir, mais à cette heure de la journée où la lumière des lunes ne permettait pas de distinguer grand-chose, il était impossible d’y trouver un étudiant. En arrivant dans la zone d’entraînement déserte, Buluglu installa aussitôt les torches le long des quarantes mètres du couloir de tir et s’installa à côté du musicien, son visage toujours fendu en deux par un sourire presque moqueur.

Ce qui s’était passé ensuite, Mason ne voulait même plus y penser.

Sur Terre, il n’était pas inconnu dans le domaine du tir à l’arc. Entraîné par son père, plusieurs fois médaillé d’or aux Jeux Olympiques, il était rentré dans le monde de la compétition il y a de cela un an et depuis, il était toujours arrivé premier. Il avait acquis le surnom de « Kid Ten » en référence à ses flèches qui touchaient toujours leur cible.

Pourtant, malgré son titre de champion mondial dans sa catégorie et ses innombrables trophées, Mason n’était pas parvenu à en retirer une fierté.

Depuis tout petit, il avait toujours eu une précision hors du commun. Quand il jouait au foot avec ses camarades, il arrivait toujours à envoyer le ballon exactement où il voulait. Bien que nombre de ses amis l’aient encouragé à rejoindre une équipe professionnelle, Mason n’éprouvait aucune attirance pour ce sport, comme pour tant d’autres.

L’archerie ne l’attira que bien plus tard, et ce n’est pas son père qui parvint à lui faire découvrir les merveilles de son sport.

Alors qu’il passait une après-midi au stand avec son père, se préparant à tirer pour lui faire plaisir, une jeune archère l’avait abordé en pensant qu’il était un nouveau venu dans le club.

Bien qu’elle se soit exprimée dans le but d’aider un junior, les conseils qu’elle avait donnés avaient eu le don de froisser Mason.

Peut-être était-ce parce qu’elle le prenait pour un débutant alors qu’il possédait clairement un niveau de professionnel ou alors parce qu’elle semblait ignorer qui il était, toujours est-il qu’il trouva agaçant son ton qu’il jugea prétentieux.

Il avait joué le jeu et avait essayé de l’impressionner, se disant qu’elle fermerait son clapet en se rendant compte de l’erreur qu’elle avait commise, cependant cela n’eut pas l’effet escompté. Il eut beau atteindre le centre de la cible sur toute la volée qu’il avait tiré, la fille, bien que surprise, lui avait fait ravaler son sourire narquois en lui disant simplement : « Wow, ta forme est la plus horrible qu’il m’ait été donné de voir, même un enfant de dix ans motivé parvient à avoir un plus beau mouvement que toi qui tire uniquement pour toucher ta cible. »

Pour la première fois de sa vie, Mason avait ressenti une telle irritation qu’il avait fait des efforts pour ne pas la gifler. Elle l’avait ensuite planté là, prenant bien sûr soin de lui jeter un dernier regard où l’adolescent n’y lu que du mépris et qui l’enragea plus encore.

Il avait fait part de sa rencontre à son père mais celui-ci n’avait pas eu la même réaction d’indignation que son fils, au contraire. Il eut beau choisir des mots moins durs, Mason entendit dans les propos de son père le même discours que celui de la petite peste.

L’impression qu’il avait été trahi était telle qu’il se promit de ne plus jamais toucher un arc de sa vie. Puisque le but du tir n’était pas de toucher la cible, alors à quoi bon s’intéresser à un sport qui semblait si conceptuel ?

Cependant, ses résolutions ne tinrent pas longtemps. Il ne parvenait pas à chasser de son esprit l’expression hautaine de la fille et à chaque fois qu’il se ressassait la scène, il sentait l’irritation prendre le contrôle de son corps. Hanté par ses souvenirs, il s’était décidé à avoir une bonne ‘forme’ pour faire taire cette petite voix qui lui répétait en boucle les propos méprisants de la fille.

Pendant la semaine qui suivit cette rencontre, il dédia tout son temps libre à l’entraînement, allant jusqu’à tirer pendant six heures d’affilée. Ce faisant, il commença enfin à comprendre le principe de ‘forme’ qui l’obsédait. Il découvrit également des sensations dont il n’avait jamais soupçonnées l’existence.

Cet entraînement intensif fut pour lui comme une révélation.

Il comprit que lorsque l’on tirait une flèche, l’objectif primaire n’était pas de la planter dans la cible, non, il consistait à effectuer le mouvement le plus construit, naturel et fluide possible. C’était le corps entier qui s’exprimait et qui se mouvait pour parvenir à cela. Bien que le principe soit relativement paradoxal aux yeux de Mason ; mettre son corps entièrement en mouvement en gardant une immobilité totale, il essaya de le mettre en pratique et cela changea complètement sa vision du sport.

Une fois découverte, la symbiose qui s’effectuait entre l’arc, la flèche et le tireur était une sensation dont Mason n’était plus capable de se passer.

Cependant, il avait beau avoir changé sa vision du tir à l’arc, cela n’avait pas changé son comportement puéril de mauvais perdant.

Il ressentait une irritation intolérable à se remémorer la leçon qu’Ania lui avait infligée. Il avait beau avoir travaillé sa ‘forme’ pendant plus d’un an, sans compter les semaines passés ici à profiter de l’incroyable potentiel que son arc et le savoir qui venait avec lui prodiguaient, tous ses efforts ne valaient rien à côté des capacités de la jeune femme.

Ce n’était pas seulement sa forme qui était splendide et dénuée de tous mouvements superficiels, c’était également sa précision qui faisait mouche à chaque volée.

En se comparant inconsciemment à elle, Mason se rendit compte qu’il ne pouvait maintenir une belle ‘forme’ que lorsqu’il était immobile et sa cible aussi, autrement, sa posture et ses mouvements perdaient en raffinement pour devenir mécanique et juste suffisant à toucher la cible.

L’adolescent s’en voulait grandement, se jugeant entièrement responsable de son manque de qualité en tant qu’archer, mais il en voulait également à William. Il comprenait maintenant qu’il avait proposé cet exercice en sachant parfaitement que la jeune femme allait le ridiculiser sur tous les niveaux.

Avec son satané sourire, cet enfoiré est encore en train de se foutre de ma gueule je te parie ! Oh que ça me saoule, et on aurait juré qu’Ania avait la même forme que l’autre en plus… j’ai vraiment pas besoin de me rappeler de ça maintenant ! Surtout pas de cette connasse vaniteuse.

Du mouvement plus bas attira l’attention du garçon qui se pencha sur la rambarde en bois grossière. Il vit le gobelin balafré s’accoler à la porte en bois ouverte. En temps normal, il n’y aurait pas accordé une grande importance, mais le voir en armure et armé des pieds à la tête le rendit suspicieux.

Il ne l’avait jamais dit à haute voix de peur d’apparaître comme un raciste, mais il avait toujours eu du mal avec les gobelins. Il ne parvenait pas à déchiffrer correctement leurs expressions et sentiments. C’était encore pire avec le borgne qui accompagnait toujours Tom. Et d’après ce que racontait Nathan quand le sujet était abordé, il avait les meilleures raisons au monde de s’en méfier.

Je suppose que ça fait de moi un spéciste plus qu’un raciste du coup ? Meh, j’ai pas moins confiance en eux que quoi que ce soit qui vient de ce monde, je pense pas qu’il existe de mot pour appeler ces gens…

Il entendit presque la voix de la petite peste prétentieuse lui susurrer « on appelle ça un con, Mason » à l’oreille et inconsciemment, il serra les dents, prêt à se lancer dans une joute verbale qu’il savait perdue d’avance. Cependant aucun son ne lui parvient, rien d’autre que les bruissements des feuilles agitées par le vent doux.

Il ne sut pas bien quoi penser de la petite pointe de déception qui lui perça le cœur quand il se rappela qu’il n’était plus dans le même monde, mais il parvint à endiguer ce qui ressemblait à s’y méprendre à une vague de tristesse qui accompagnait toujours la réalisation qu’il ne la reverrait plus jamais de son existence.

Existence qui sera sans doute très courte de toutes manières… Surtout si on tombe dans un piège orchestré par des gobelins… Je ferais bien de faire gaffe à ce qui se passe dans la forêt moi…

L’adolescent, motivé par sa paranoïa, reporta son attention sur la lisière des arbres, à quelques centaines de mètres du campement. Il ne doutait pas être capable d’abattre un grand nombre de monstre sur la distance qui séparait l’entrée de la forêt, mais les savoir venir à l’avance réduirait sa panique et le ferait agir avec plus de précision et de rapidité.

Dans son esprit, il en était déjà à réfléchir aux différentes manières dont le gobelin en bas les avait trahis quand des voix derrière lui brisèrent sa concentration. Il se retourna pour voir Tom et Jack se diriger vers l’entrée, suivis par un Joseph qui boitillait à toute allure.

Les trois adolescents retrouvèrent le gobelin et s’arrêtèrent. Mason n’entendit pas correctement ce qu’ils se dirent mais à voir ses camarades rassurer Joseph, il comprit rapidement ce qui se passait.

Il ne fut donc pas surpris en voyant le groupe quitter la double enceinte en bois et se diriger vers les arbres.

C’est quand même un groupe un peu étrange… Je me demande ce qu’ils vont faire dans la forêt ? Ils ont l’air d’être suffisamment protégé donc je pense pas avoir besoin de les accompagner.

Mason voyait parfois Jack partir seul s’occuper de ses pièges, quand ses horaires de garde coïncidaient avec ceux du chasseur. D’autres étudiants pouvaient parfois se faufiler en douce à l’extérieur du campement et pas une seule fois il n’y eut de problème, raison pour laquelle le garçon était certain qu’il était sauf de se balader à moins d’un kilomètre autour du camp.

Bien que certains ne partageaient pas cet avis, ils restaient silencieux… Excepté pour Charlotte qui n’hésitait pas à hausser le ton et à crier sur Jack avec sa voix fluette pour qu’il cesse immédiatement ses excursions solitaires. En général, soit son élève l’ignorait, soit il souriait et lui tapotait la tête avant de continuer à vaquer à ses occupations.

Quoi que je comprends la prof. Si quelque chose arrivait encore à l’un de nous, je suis pas sûr qu’elle pourrait le supporter. Mais bon, si on trouve pas rapidement un moyen de sortir de cette forêt, on va tous mourir d’ennui, et je vois difficilement comment sortir sans la traverser… Y’aurait bien l’eau mais si on se casse le cul à fabriquer un bateau et qu’on s’écrase en tombant d’une cascade, on aurait l’air fins…

Gardant un œil sur ses camarades qui avaient enfin atteint le couvert des arbres et qui s’enfonçaient dans la forêt, l’archer ne pouvait empêcher ses pensées de bifurquer vers toutes les possibilités qui mettaient en scène ses camarades et des monstres de la pire espèce. Quoi qu’il se passe, les et si que son imaginations généraient étaient certains de le mettre mal à l’aise.

Oui, c’est sûr que Jack peut se défendre tout seul, et même protéger Jo et Tom, mais je pense pas que ce soit une très bonne idée de les laisser tous seuls. Je serais plus soulagé en les accompagnants.

Incapable de se retenir, il descendit rapidement les marches et se mit à marcher derrière ses camarades qui étaient presque parvenus à la lisière de la forêt. Pour se rassurer le temps de les rattraper, il se mit à penser à Jack, l’adolescent le plus à même de protéger ses camarades dans cette situation.

Originellement discret lors de leurs exercices de groupe et tour de garde, il avait profité de l’expédition chez les gobelins pour se séparer de leur unité. En rentrant, il s’était mis à agir de son côté sans plus se soucier de ce que les autres membres faisaient. Parce qu’il apportait quelque chose à leur communauté, personne n’avait émis de plainte à ce qu’il continue ses affaires de son côté.

Bon, il faut avouer qu’Eva a bien cassé les couilles quand même. C’est à croire qu’elle ne sait que se plaindre et dire que les autres sont moins bien qu’elle. Olivia a rien dit explicitement mais son expression et son comportement était assez clair. Je les comprends vraiment pas, c’est pas comme s’il arrêtait ses tours de gardes simplement pour se la couler douce ou quoi ! S’il se remettait à faire des tours de garde, c’est nous tous qui seront perdants dans l’affaire.

Jack faisait partie des rares étudiants qui s’entraînaient régulièrement au maniement de son arme. Parce qu’il était également l’un d’eux, Mason l’observait souvent lorsqu’il occupait un terrain d’entraînement. Contrairement à l’archer qui ne pratiquait que le tir à l’arc, Jack essayait toujours d’approfondir sa maîtrise d’autres armes. Il tannait ses camarades jusqu’à ce qu’ils acceptent de lui donner des cours particuliers.

Durant ses séances d’exercice, il employait un arsenal qui continuait de s’élargir, sans compter les sorts qu’il essayait de mêler à ses routines. Mason avait retrouvé une planche remplie de son écriture qui détaillait la longueur des incantations et les différentes techniques à employer pour combler ce temps.

C’était comme si le voyage qu’il avait entreprit avec ses camarades l’avait profondément changé. Depuis qu’il était revenu du village, il semblait être obsédé par l’entraînement, si bien que plus personne ne voulait faire d’échanges amicaux avec lui, excepté Anthon, évidemment. Le géant était toujours motivé pour un combat, mais même s’il se retrouvait rarement dans une position de faiblesse, cela se voyait qu’il avait du mal avec les méthodes du chasseur. Ils pratiquaient quotidiennement des matchs, parfois plus d’une fois quand il n’avait pas d’autres problèmes à gérer, et c’était devenu un spectacle que nombre d’adolescents appréciaient.

Les deux garçons semblaient être deux polaires opposés. L’un pratiquait des arts martiaux et possédait une discipline de fer qui rendait presque prévisible ses mouvements, tandis que l’autre utilisait absolument tout ce qu’il pouvait pour gagner. Et pourtant, malgré toute son ingéniosité, Jack n’avait pas encore remporté ne serait-ce qu’une victoire contre le géant.

Ce dernier était comme une montagne inébranlable. Mason ne doutait pas une seconde qu’Anthon puisse vaincre tous ses camarades en combat. Il était évident qu’il se retenait, il semblait même très doué pour jauger la force d’un adversaire et utiliser l’exact équivalent de son côté. À chaque fois que Jack revenait à la charge, après avoir harceler Sarah ou un autre élève afin qu’il lui apprenne la maîtrise de son arme, il continuait d’exhiber la même aisance à le vaincre.

C’est quand même dommage qu’ils aient pris une pause, c’est mieux que le foot ou la télé ! Je comprends Jack qui veut revoir ses techniques et les améliorer avant d’affronter encore Anthon, mais quand même !

Mason se remémora le dernier match. Jack avait essayé de prendre par surprise le géant d’une manière plus qu’ingénieuse. Il avait incanté l’invocation de ses lances aqueuses au début du combat, alors qu’ils échangeaient des coups pour s’échauffer. Il avait réussi à dissimuler le cercle magique en le plaçant dans l’angle mort de son adversaire, puis, lorsque le combat battait son plein et que le chasseur se démenait pour porter un coup décisif sur Anthon, il enclencha le sort qu’il avait laissé dormant, balançant sur son camarade cinq lances à pleine vitesse.

La vitesse à laquelle Anthon réagit fut telle que personne ne vit exactement ce qui s’était passé. Puisqu’il possédait une vision plus performante que le reste, Mason fut l’un des seuls à pouvoir observer l’incroyable réactivité et capacités du géant. Un coup de pied dans le thorax traversa les défenses de Jack et l’envoya valdinguer au bout du terrain comme un vulgaire pantin d’entraînement. Continuant le mouvement, il remonta sa jambe et shoota dans la hampe de trois des lances avant de saisir les deux dernières à la main et de dévier leurs trajectoires.

Je pense pas qu’il puisse le vaincre un jour, et encore moins à la loyal… Anthon est né pour se battre, son corps entier est une arme !

Alors qu’il en était à se demander pourquoi Jack refusait d’apprendre les techniques d’Anthon, une silhouette le dépassa, courant à toute allure vers la forêt. Il fallut à Mason une seconde pour reconnaître William.

Bah ? Qu’est-ce qu’il fout ?

Haussant un sourcil, il s’apprêtait à le héler quand une explosion retentit dans la forêt, si violente que Mason sentit son souffle de là où il se trouvait. Il dut tourner la tête pour éviter que la lumière vive qui illuminait la forêt ne l’aveugle.

Abasourdi par le son de l’explosion dont l’écho n’avait pas fini de résonner, l’adolescent reporta son regard vers l’endroit où il avait vu l’aveuglant éclat ; à la place des arbres, un grand trou circulaire créait une clairière artificielle. Le feuillage des arbres alentours était noirci et fumait, faisant contraster ce trou béant avec le reste de la forêt encore plus violemment.

William, à quelques mètres devant lui, se releva presque immédiatement et reprit sa course, rappelant l’archer à la réalité.

Oh merde, Tom et Jo !

Pas un instant il ne s’inquiéta pour Jack, contrairement à ses camarades, il pouvait s’occupait de lui-même sans problème.

N’ayant aucune idée de ce qui venait de se passer, Mason ne pouvait qu’émettre des hypothèses pour essayer de calmer son imagination fertile qui se représentait déjà le pire. Les deux les plus probables auxquels il pouvait penser étaient qu’ils avaient subi une attaque ou qu’ils expérimentaient quelque chose.

Étrangement, il avait beau se dire que la seconde était certainement la bonne, il ne pouvait empêcher son mauvais pressentiment de le pousser à considérer la première.

Mais qu’est-ce que je fous ?! Je peux pas perdre mon temps à réfléchir au pourquoi du comment, le temps d’agir est venu !

Il se lança à la poursuite de William qui avait déjà atteint la lisière des arbres quand une seconde explosion, plus violente encore que la première, fit trembler la terre et assourdit le garçon.

Ok, ça ressemble clairement pas à une expérience ! Faites qu’ils aillent bien, on a perdu deux de nos camarades, c’est déjà trop !

Les oreilles encore sifflantes, Mason fit apparaître son arc et fonça droit vers ce qu’il déduisit être la zone de combat. Le cœur battant, il était presque entré dans la forêt quand des bruissements étouffés lui parvinrent.

Stoppant net sa lancée, il banda son arc, matérialisant une flèche grâce à son pouvoir, et se concentra sur le bruit. Quel qu’était le monstre qui apparaissait, il était prêt à le recevoir.

Pourtant, ce ne fut pas un ennemi qui déchira le buisson devant lui mais un visage familier.

En voyant Jack émerger de la forêt, Mason comprit aussitôt que quelque chose de grave était arrivé. Il portait Joseph sur l’épaule comme s’il s’agissait d’un poids mort et le gobelin sous l’autre bras. À voir leur état, il était évident qu’ils avaient été proche de l’explosion. Des brûlures couvraient un côté du visage et le bras droit de Jack tandis que ses vêtements et ceux du sculpteur étaient noircis, brûlés par les flammes. Sur ce qu’il restait du t-shirt du chasseur, on pouvait même voir des taches de sang qui s’élargissaient.

L’expression fermée et dure de Jack disparut quand il croisa le regard de son camarade. Un éclat réapparut dans ses yeux dénués d’expression et il poussa un long soupir de soulagement avant de parler à son ami :

“Mason, thank god you’re here. Tiens, ramène-les au camp, Joseph s’est cogné la tête en tombant. Stay away from the forest and be careful !”

Puis, après avoir posé ses fardeaux par terre, sans même prendre le temps de s’assurer qu’il exécute ses ordres, le chasseur fit volte-face et repartit au galop dans la forêt en matérialisant sa lance.

Pendant plusieurs secondes, le regard de Mason alterna entre les deux corps inertes par terre et le trou dans la végétation d’où le garçon avait disparu. Il avait l’impression que son cerveau avait tout simplement cessé de fonctionner, le rendant incapable de comprendre ce qu’il devait faire.

Le cri humain qui retentit dans la forêt fut comme un électrochoc. Comme si le grain de sable qui enrayait les rouages de son cerveau venait d’être soufflé, Mason entreprit de faire ce que son camarade lui avait demandé le plus vite possible.

Oh mon dieu, c’était la voix de Jack… J’espère que rien ne lui est arrivé, à lui et à Tom ! J’arrive pas à le croire, qu’est-ce qu’il se passe putain ?! Commençons par donner l’alerte et s’assurer que rien ne rentre dans le campement… Comment j’ai pu freezer comme ça moi bordel ?

Alors qu’il continuait à s’en vouloir pour son manque de réactivité, il vit au loin un détachement d’étudiants se précipiter vers lui. Il comprit que les membres de son groupe avaient sonné l’alarme en les voyants perchés sur la muraille, accompagné de quelques Mages prêt à lancer leurs sorts.

Ce fut Nathan qui le rejoignit en premier. L’inquiétude se lisait sur son visage et le sérieux avec lequel il s’exprima rendit Mason encore plus anxieux.

“Mason ! Ça va ? Tu sais ce qu’il se pa…”

Le chef du camp s’interrompit en voyant le visage de Joseph, ensanglanté. Il devint livide et eut un mouvement de recul.

“Est-ce qu’il… est-ce qu’il est mort ?

— Non, pas du tout, il est juste évanoui, comme le gobelin, il s’est cogné la tête en tombant. Jack m’a demandé de les ramener au camp et il est reparti, sans doute chercher Tom.

— Oh putain j’ai eu la peur de ma vie mec ! Amène-le voir Amélie, nous on va donner un coup de main à Jack et Tom.”

Nathan et les autres lycéens qui l’accompagnaient s’apprêtèrent à reprendre la course pour rejoindre les adolescents dans la forêt, mais Mason se souvint de ce que Jack avait ajouté à la fin de sa phrase. ‘Stay away from the forest’ ; il n’avait pas besoin d’être bilingue pour comprendre ce que cela voulait dire, cependant, il ne savait pas quoi penser de cet avertissement.

Est-ce qu’il voulait me dire à moi de pas m’approcher parce que j’étais tout seul ou c’était général ? Putain d’anglais avec aucune distinction entre tu et vous ! Dans le doute, je préfère leur dire, mais si ça se trouve ils ont besoin d’aide ?

Sa bouche s’exprima alors que son cerveau était toujours en plein délibération.

“Non ! Jack m’a dit de vous dire qu’il ne fallait pas s’approcher de la forêt, il faut les attendre au campement.”

Une dizaine de visages se tournèrent dans sa direction une fois qu’il eut terminé de s’exprimer, et Mason sentit de la sueur froide couvrir son dos. Il ne savait pas quelle mouche l’avait piqué, mais maintenant que c’était sorti, il était certain de ne pas pouvoir revenir sur ses paroles.

Louis s’approcha, sa gigantesque hache en main, et sa pencha sur le membre de son groupe.

“T’es sûr de toi ? C’est pas un peu dangereux pour eux ?”

Bien que son attitude ne soit en rien agressive, la grande taille de l’adolescent rendit Mason mal à l’aise. Il avait l’impression de faire une énorme bêtise mais à nouveau, sa bouche s’ouvrit sans qu’il puisse la maîtriser.

“Sûr et certain, c’est trop dangereux de se battre à plusieurs dans la forêt, c’est pour ça qu’il préfère être seul.

— Ça me semble logique, allez les gars, on se regroupe avec les autres et on attend Jack et Tom. Si dans cinq minutes ils sont pas là, on y retourne.”

Les ordres de Nathan furent promptement exécutés. Louis pris Joseph dans ses bras, soulageant Mason d’un de ses poids morts.

Les cinq minutes qui suivirent furent les plus longues minutes de la vie de Mason.

À chaque seconde qui passait, son cœur augmentait sa fréquence cardiaque et l’impression d’avoir commis une énorme boulette prenait de l’ampleur.

Mais pourquoi j’ai ouvert ma grande gueule moi ?

Il se répétait cette phrase dans sa tête comme un mantra, accentuant son malaise. Si Jack et Tom ne revenaient pas, ce serait de sa faute. Le garçon ne savait pas s’il pourrait supporter cette vérité.

Le silence qui planait dans le camp était plus que pesant. Mason se demandait comment cela se faisait qu’il n’entendait pas un son alors qu’une trentaine d’humains était agglutinée au même endroit.

Puis ce fut le déclic.

“Oh merde… William !”

Presque soixante yeux se tournèrent vers Mason, mais il n’avait pas le temps de s’en préoccuper.

“William, il… il est entré dans la forêt juste après la première explosion ! Je l’ai vu mais je l’ai oublié juste après ! Merde !”

Se prenant la tête entre les mains, des larmes étaient montés aux yeux de l’archer qui se rendait compte juste maintenant qu’il avait peut-être condamné une troisième vie au trépas.

“Anthon ! Nathan ! Louis ! Revenez !”

La vocifération de Romane poussa Mason à relever la tête. Les trois garçons étaient déjà à plusieurs dizaines de mètres des portes et ne semblaient pas vouloir écouter la jeune femme.

D’autres silhouettes se précipitèrent à leurs trousses, mais Mason savait que ça ne servait à rien. Sa vision perçante lui permit de voir depuis l’entrée les buissons s’agiter et William sortir des buissons.

Au premier coup d’œil, il semblait aller parfaitement bien, même pas une égratignure ne barrant son visage, et cela souleva un grand poids des épaules de l’archer.

Jack le suivit quelques secondes après, traînant derrière lui ce qui ressemblait à un gobelin.

Tom demeura cependant invisible.

L’expression de Jack en apprit plus à Mason que n’importe quel discours.

Il eut l’impression que le monde venait de s’écrouler autour de lui.

Tom est mort… et c’est de ma faute… J’ai tué Tom…

Ce fut la seule chose qu’il parvint à penser.

Fixant les buissons, il s’attendait presque à ce que le génie en sorte et qu’on lui dise qu’il s’agissait d’une blague, mais il n’en fut rien.

Il n’avait plus de force. Ni dans les jambes, ni dans le corps, ni dans la tête. Il se demanda comment il parvenait à se tenir debout mais se rendit compte juste après qu’il fixait le ciel. Ses jambes l’avaient lâché.

Qu’importe, se tenir debout est juste futile…

Il ne pensait plus à rien si ce n’est cette vie qui avait disparue de cette terre et dont il était responsable. Même quand il vit une baleine géante voler dans les cieux, bien au-dessus de lui, son esprit resta confiné dans cet état apathique.

Les baleines volent, mais Tom est mort… Si j’avais pas ouvert ma gueule, il serait encore vivant…

Des cris retentirent au loin, mais Mason s’en fichait.

Il se fichait aussi de cette personne qui se penchait vers lui et qui le saisit par le col pour le soulever.

Il s’en fichait aussi quand elle lui cria dessus. Il ne comprenait même pas ce qu’elle disait de toutes manières.

Il s’en ficha un peu moins quand elle le gifla, des réflexes d’un temps qui semblait si lointain s’enclenchèrent et il essaya de les endiguer.

Mais la personne ne s’arrêta pas à une gifle, elle continua jusqu’à ce que Mason reprennent ses esprits et plonge ses yeux dans ceux de Zoé, le visage ruisselant de larmes.

“Ce n’est pas ta faute, Mason, ce n’est pas du tout ta faute ! Tu pouvais pas savoir !”

Sans comprendre pourquoi, Mason éclata en sanglot à son tour.


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23 commentaires sur “Pérégrinations en Monde Inconnu 19 : Là où les choses se compliquent

  1. On peut espérer qu’il est pas mort et que ça aurait activé un pouvoir latent (vu que les pouvoir semble être assez lié au personne alors je dirais que celui de Tom serait genre un genre de création de sort : utilise d’autres sort comme souches qu’il changerai pour en faire un nouveau) ou bien un cheat iorien genre que en fait il avait eu son booster mais d’une manière différente : les autres sous forme de pouvoir/caractéristiques mais lui ce serait sous la forme d’un changement de race (de humain il devient un iorien) qui sait ?

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    1. Vraiment intéressante théorie, mais s’il avait reçu un booster et un changement de racé latent, comment ça se fait qu’il est insensible à la magie ? Y’a des indices qui sont donnés quelques chapitres auparavant quant à la raison du pourquoi il est pas comme les autres, mais bonne chance pour savoir ou XD

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    2. Serais ce une confirmation du scénario ^^
      moi si j’avais été transporté à la place de Tom j’aurais eu que deux chose possible : soit l’univers bug à cause de moi …soit je gagnerai un pouvoir assez étrange : étant donné mes particularités autant sur mon mode de pensée que sur mon enveloppe charnelle ça donnerait un pouvoir bien curieux, un pouvoir qui change constamment sans fondement et sans loi qui n’est contrôler par personne pas même son possesseur qui agit comme une entité quasi indépendante qui peut représente aussi bien les dieux que les démon (bonne chance pour comprendre ça mais bon pour moi ça peut-être clair :si on considère les humains moyens comme normaux alors je suis l’anomalie la plus étrange et la plus normal ^^ je ne suis pas yoda où je ne sais qui,je suis juste une entité ayant un fonctionnement « spécial »

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      1. T’es sur de ça ? Tom est une personne rationnelle, son « talent » c’est pouvoir comprendre les règles qui constituent les choses pour appréhender l’ensemble, il est même capable d’extrapoler à partir de celles-ci. Donc ça serait pour lui un désavantage (bien que tree moindre vu son intelligence) que de devoir constamment deviner les nouvelles règles changeante (un peu comme quand il essaye de lire le livre de Zoé). Sauf que jusqu’à présent, les autres personnages n’ont pas eut de « désavantage » (Même Will, qui a perdu la vue, a gagné quelque chose en échange), du coup ça irait à l’encontre de la règle basique qui semble régir leurs pouvoirs à tous. Après je dis pas que c’est pas un raisonnement cohérent, juste que ce serait l’inverse du pouvoir des autres x)

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        1. Je sais pour Tom (c’était dans le message au début mes chose que j’imaginerais intéressante et puis si je le trouvais je le dirai pas pour éviter le spoil ^^) que ce ne serait pas le bon pouvoir, si on lis le message que tu a commenté j’ai dit « moi si j’avais été à la place de Tom » donc j’avais dis le pouvoir qui me caractérise selon les règles connu influençant les pouvoirs et le défaut que j’aurais je suppose que étant donné la nature de la capacité ce serait soit que le pouvoir soit encore moins gérer :il agit de manière à ce que le but soit atteint mais pas de la manière que tu souhaites (genre tu veux éteindre un feu avec de l’eau lui il t’envoie du vent pour l’éteindre) ou bien ça me changerait à l’effigie du pouvoir : je suis déjà constamment changeant mais ça ne serait plus que quand je le souhaite mais aussi quand je ne le souhaite pas et ça n’affecte pas que la forme externe (les méthodes de pensé aussi et les propriétés du corps ) genre ce serait assez perturbant mais on peut s’y habituer si on a déjà d’avant le côté changeant

          Je sais que c’est embêtant de ce faire dire que l’on a une erreur mais bon ^^

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  2. En tous les cas, merci pour ce novel des plus intéressants.
    Par contre ce cliffhanger est une torture aussi bien pour mon coeur que pour mon cerveau.
    Donc vite la suite s’il vous plait !!!
    Ou je risque je perdre le peu de santé mental qu’il me reste ^^.

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  3. toujours vivant! je suit devenue vampire mai, qui ma transformé?

    bof, de tout façon je suit trop flemmard pour cherché donc je me retranche sur se chapitre savoureux am nam nam (OwO)

    ps: merci pour le rep chapitre je veux dire chapitre.

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    1. Attend avant de redevenir un humain, moi je veux être un vampire, ça me donnerait une excuse pour rester chez moi à lire des novel et faire des expériences durant une éternité puis j’attendrai que l’on revienne à l’époque des aventuriers pour me faire passer pour l’un d’entre eux (j’ai que à dire que j’ai vécu éloigner pour le bon sens et puis pas besoin de montrer toutes les capacités)

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  4. Samii je te haït et te déteste du plus profond de mon âme et en même temps je te respecte pour avoir écrit quelque chose d’aussi exceptionnelle que fascinant alors juste merci pour tout continue comme sa et peu importe ce qui arriveras à Tom on ne t’en voudras pas (Mais juste que saches que si il meurt tu vas te faire chier dessus pa toute ta commu ; après moi je dis sa je dis rien ^^) et une autre remarque : dans ce monde y-a des baleines qui volent, des télépathes, des sort de soin et tu nous dit qu’il n’y-à pas moyen qu’il puisse ressusciter où bien une petite réincarnation des familles (« clin d’oeil »)

    Bon sinon si tu t’es fait chier à lire mon pavé et bien merci et bonne chance pou tes exams et pour la suite de l’histoire (Même si au fond de moi je n’arrive toujours pas à comprendre la manie qu’ont les auteurs à vouloir toujours faire crever mon personnages préferer sniff (« se met en pls dans sa baignoire et pleure comme une petite fille qui aurait vu pour la cent-quinzième fois boku no pico »)

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    1. T’inquiètes pas, je lis toujours les commentaires des gens qui prennent la peine de me remercier (et de m’insulter aussi, mais c’est bon enfant alors je laisse passer XD), tout le plaisir est pour moi !

      J’aimerai bien répondre à ta question, quant à la possibilité d’une résurrection, mais j’ai peur de spoiler les gens en expliquant plus en détail le fonctionnement de la magie ainsi que les autres trucs. Du coup je vais me taire et te laisser faire des hypothèses x)

      Et puis bon, il faut voir le corps du mort pour être certain qu’il est bel et bien trépassé, alors garde espoir (mufufu, oui, l’espoir >:) )

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