Perdu dans la Nuit 21 : Épreuve

Auteur : Ilanor
Check : Sinei


Pas de retard hein ? Et là s’en va ma résolution d’être régulier… Je le serai à partir de maintenant ? Enfin, un peu de combat pour Aln, même si le vrai sera pour la semaine prochaine ! Sur ce, bonne lecture !


Aln n’arrivait pas à dormir. Même éloignée du fond de la vallée, il continuait à ressentir l’existence de cette magie, et cela le perturbait. Il se retournait sans cesse dans son sac de couchage en essayant d’ignorer ses tripes contractées. Rieln montait la garde près du feu, et bien qu’il ne prenne pas à la légère l’inquiétude d’Aln, il ne pensait pas qu’il se passerait quoique ce soit ce soir. Après tout, les Ombres les laissant tranquilles depuis leur départ, ils ne risquaient rien tant qu’ils ne pénétraient pas dans la zone couverte par le sortilège.

C’était une nuit sans lune, de celles qui, sinistres, vous glacent le sang. À la seule lueur du feu, l’Ombre était apparue comme un songe. Pas un bruit n’avait troublé le silence fantasmagorique.

Ni Aln ni Rieln ne l’avait remarquée. Juste en dehors de la frontière formée par les runes Toan, elle les observait comme on observe des bêtes de foire. Elle huma l’air pendant quelques instants, la tête tournée vers les cieux, s’immobilisa, comme si elle écoutait quelque chose, puis laissa échapper un grognement de satisfaction.

Lorsque Rieln entendit ce grognement étouffé, il se leva aussitôt en portant la main à son épée. Quelque chose s’était approché sans même qu’il s’en aperçoive. En le voyant sauter ainsi sur ses pieds, Aln se leva aussi. Puis, remarquant que le visage de Rieln avait blêmi en regardant derrière lui, il se retourna. Elle était là, à quelques mètres de lui.

La créature leva sa main griffue, semblant jeter un sortilège, et les mots qu’elle prononça eurent l’effet d’un coup de tonnerre. Elle s’anima et caqueta d’un air presque moqueur:

« Aln. Eliana. »

Il n’y avait rien de particulier à ces deux noms. Pourtant, comment l’Ombre les connaissait-elle ?

Aln sentit son estomac se retourner. Un frisson glacial lui parcourut la colonne vertébrale, la nausée lui vint, et alors qu’il venait à l’instant de se lever, il chancela. La tête lui tournait, le souffle lui manquait, et un sombre pressentiment s’insinuait dans son esprit.

Tout ceci ne dura qu’un instant, puis il revint à lui. L’Ombre n’avait pas bougé. Elle se tut en le fixant de ses yeux sans pupilles ni paupières. Un visage anguleux et une peau blême, presque blanche, des pommettes saillantes et un menton pointu lui donnaient une apparence presque humaine. Au niveau de son long cou, la peau s’assombrissait et tournait au noir d’ébène. Son corps, qui devait être élancé, se fondait ainsi dans les ténèbres, et on ne pouvait que vaguement distinguer sa silhouette. On devinait cependant des bras démesurément longs pendant du haut de son torse jusqu’aux genoux, comme si elle préférait se déplacer à quatre pattes. Ses jambes devaient être courtes, et le tout inspirait un sentiment de déséquilibre.

Elle remarqua qu’Aln avait repris ses esprits et rejeta alors la tête en arrière, puis laissa échapper un long cri strident de jubilation. C’était sans doute un rire pour elle.

Le hurlement était insupportable. En portant ses mains aux oreilles Aln pouvait presque sentir ses tympans se détacher. Quand le silence se fit, ils ne virent que des ténèbres insondables. Ils auraient pu croire à un mauvais rêve sans leurs jambes flageolantes et leurs oreilles douloureuses.

Un hululement sinistre retentit au loin, plus grave. Un bruissement se fit entendre. Ils s’entre-regardèrent tandis que le feu projetait d’étranges ombres dansantes sur leur visage. Un bruit de frottement provenant du haut de la vallée, encore au-dessus d’eux, sembla suspendre le temps. Il s’intensifia. Ils ne virent d’abord que les versants arides d’une montagne, puis des formes sombres commencèrent à se détacher des rochers. Rampant à même le sol, flaques immondes, elles se rapprochaient lentement mais surement du feu de camp.

Le bruit était maintenant assourdissant. Aln pâlit, et sans un mot il commença à récupérer les objets les plus importants pour sa survie, pendant que Rieln en faisait de même. Puis ils se dirigèrent vers le fond de la vallée. Ils n’avaient pas le choix. Après tout, s’il était possible de restreindre une ombre, la tuer était proche de l’impossible, et Aln n’aurait certainement pas assez de magie pour en conjurer autant.

La marée noire progressait sans se presser, sûre de sa proie.

Le contraste entre le creux de la vallée et les versants la surplombant était frappant. Un petit bois touffu se logeait au fond, à l’abri duquel on devinait un cours d’eau. De belles fleurs blanches à cinq pétales fleurissaient à l’orée du bois. Émettant une lumière diffuse que l’on ne percevait qu’à leur approche, elles étaient auparavant restées invisibles. Maintenant c’étaient autant de phares guidant le duo vers une sécurité relative.

Lorsqu’arrivant au milieu de ce champ de lueurs Aln se retourna, ce fut uniquement pour apercevoir les Ombres engloutir leur feu de camp. Comme quoi, la barrière était inefficace…

Alors qu’ils s’engageaient tous deux sous les frondaisons des arbres, l’estomac d’Aln se retourna tandis que l’antique magie s’activait. Il vomit, et quand il se reprit Rieln n’était plus nulle part en vue. Quand il l’appela, il n’entendit qu’un écho assourdi de sa voix.

Il était seul pour ce test. Enfin, il espérait que c’en soit un. Observant les environs, il se rendit compte qu’il lui était devenu impossible de distinguer ce qui se passait à l’extérieur des bois. Il ne pouvait donc pas revenir en arrière, même s’il ne comptait pas le faire dans tous les cas.
De minces volutes de brumes s’insinuaient entre les arbres, effleurant de leurs mains décharnées les érables de la forêt. Une faible lumière illuminait on ne sait comment les bois, mais elle semblait prête à s’éteindre à chaque instant. La brume allait en s’épaississant à mesure que l’on s’enfonçait dans les bois, aussi n’étaient-ils pas très engageants, mais Aln n’avait pas le choix. Il avança.

Au bout de quelques minutes il ne voyait plus où il mettait les pieds. La lumière se faisait plus intense à mesure qu’il avançait, le brouillard plus épais. Puis ses pas commencèrent à rendre le son caractéristique d’un sol de pierre.

Le brouillard s’éclaircit petit à petit, et bientôt Aln put distinguer la volée de pierres qui s’envolait vers les cieux. Il n’y avait aucune trace d’un tel endroit dans la vallée, mais la magie d’Ilksa dépassait probablement tout ce qu’il pouvait imaginer.

En tout cas, il se retrouvait en territoire connu. L’escalier était le même qu’il avait vu gravir par Alsag dans ses rêves. Et le bruit spongieux des Ombres se détachant des parois encadrant l’escalier était aussi le même.

Aln inspira profondément. Comme il aurait voulu avoir Rieln à portée de main ! Mais il allait devoir se débrouiller tout seul.

Il ne savait pas comment Alsag s’était débarrassé de toutes les Ombres à la fois, donc il n’avait qu’un seul choix. Forcer son chemin vers l’avant, en espérant que cela suffise pour arriver jusqu’au laboratoire. Mais pour cela… Aln dégaina son épée, et de la main gauche sortit une rune Toan pour la protection et une rune Al pour, et bien, pour passer.

« Hé ! Ça faisait longtemps ! »

Il imagina l’air se contracter devant lui, sur un pan de quarante centimètres sur quarante, qu’il puisse déplacer à sa guise, puis se concentra. Au moment où il activa la première rune, un claquement sonore retentit lorsque l’air s’engouffra dans le bouclier. Malgré la situation, un sourire satisfait flotta sur les lèvres d’Aln. Au son, le bouclier était bien plus solide que la dernière fois.

En s’élançant en avant il commença à préparer l’activation de la seconde.

Les Ombres l’avaient encerclé. C’étaient les mêmes monceaux gélatineux que dans son rêve, avec la même pseudo-chair tremblotante, la surface du corps agitée des mêmes ondulations et le même glouglou écœurant. Et en étant aussi proche d’elles, la sensation de désespoir qui avait envahi Aln la première fois qu’il les avait vues était encore plus poignante. S’il n’avait pas été préparé, et s’il ne s’était pas un peu endurci auparavant, il se serait probablement recroquevillé par terre en attendant que les Ombres ne l’achèvent. Maintenant que même Jion semblait être devenu fou, ça lui était égal.

Il activa la rune Al. Les créatures qui se trouvaient quelques mètres devant lui semblèrent ralentir. L’air tout autour d’elles se nimba d’une vapeur blanche tandis que la température diminuait, puis une fine couche de glace commença à se former à la surface de leur corps. Quand Aln arriva à leur niveau, elles ne bougeaient plus. Seulement, ce n’était vrai que pour les premières. Sur les mètres qui suivaient, les Ombres rampaient lentement vers lui. Par contraste, elles attaquaient vite. Lorsqu’il arriva au niveau des Ombres encore non congelée, Aln eut à peine le temps de lever son bouclier magique pour bloquer un tentacule tendu vers lui.

Brandissant son épée, il déchira d’abord le bras de la créature avant de la fendre par le haut. Elle s’effondra en un petit tas d’une substance étrange, et alors qu’Aln commençait à croire que cela ne serait pas si difficile, elle trembla, et commença à se reconstituer. Aln, dégouté, se dépêcha de la dépasser.

La scène semblait se répéter à l’infini. Il tailladait et avançait, simplement pour trouver une Ombre devant lui et en entendre une autre se reconstituer derrière lui. Elles n’étaient pas réellement dangereuses, mais il devait en permanence prendre garde à ne pas se laisser attraper, et il commençait à fatiguer. L’effet de sa rune Toan allait aussi bientôt se terminer.

Il luttait contre la résignation qui manquait de le submerger. Puis, alors qu’enfin il croyait en voir la fin, et que quelques mètres à peine le séparaient de la fin de l’encerclement, il fut projeté en arrière. C’était la fin de sa rune Toan, qui, alors que l’air échappait à son contrôle, avait provoqué une violente bourrasque. Il se sentit saisi, et un profond malaise l’envahit lorsqu’il prit conscience du contact visqueux avec une Ombre. Ce n’était pas le même que celui qu’il avait déjà ressenti. Ce n’était ni douloureux, ni doucereux. C’était plutôt comme une absence de sensation. Bientôt, il se sentit enveloppé dans un cocon lénifiant, et fut tenté d’y rester. Il n’avait aucune chance de s’en sortir après tout. Et qui sait si sa mort n’allait pas être infiniment plus douloureuse par la suite. Oui, rester comme ça, et attendre la fin…

Puis l’image d’une jeune fille aux cheveux châtains et de son sourire lui traversa l’esprit. Non, il ne pouvait l’abandonner à son sort. Pas comme ça.

Il réfléchit à toute vitesse. Le temps pressait, ses membres étaient déjà gourds. Il ne lui restait qu’une seule option. Sa Nivtoagl. Les Ombres qui l’enveloppait allaient se dissoudre pendant que la mort, la vraie, descendrait sur elles. Elles allaient cesser de bouger pour enfin accepter la réalité de ce monde. Il attrapa fébrilement la rune qu’il portait autour du cou et murmura d’une voix faible, les yeux à demi clos :

« Niholn… »

Il sentit le drain accompagnant toujours les magies suffisamment puissantes. Puis il inspira un bon coup en sentant le corps gélatineux des Ombres s’éloigner de lui, alors qu’un crépitement sonore résonnait dans l’escalier. Les Ombres auparavant collées à lui étaient repoussées par sa magie, ou plutôt elles se dissolvaient en entrant en contact avec la lumière laiteuse qui l’enveloppait, ne laissant pour traces que des traînées noirâtres sur le sol.

L’instant d’après, dans un éclair de lumière, tout était fini. Les Ombres n’étaient plus qu’un souvenir.

L’épreuve était finie. Probablement.

Haletant, Aln se reposa quelques instants, et une fois son souffle récupéré il reprit l’ascension. Mieux valait éviter de rester trop longtemps ici.

L’escalier était sans fin. L’engourdissement issu de son contact avec les Ombres et les trois sorts l’avaient épuisé.

« Keke… »

Aln s’immobilisa. Un ricanement malsain. Il se concentra sur les mouvements autour de lui. Rien. Il reprit sa marche.

L’ascension continuait encore. Aln avait perdu la notion du temps. Combien de temps cela faisait-il ? Au fur et à mesure qu’il avançait la lumière baissait. Il voyait parfois au loin une flamme danser, mais jamais il ne l’atteignait. Ses jambes devenaient lourdes.

« Keke… »

Encore cette flamme. Encore ce ricanement. Une ombre s’anima sur une paroi. Ce n’était que la sienne. Il ne s’était rien passé de tel avec Alsag. Etait-ce car Alsag avait passé moins de temps dans la barrière ?

Il eut un haut le coeur. Il était sorti de la barrière. Il aurait dû en être soulagé, mais il eut l’impression que rien n’avait changé.

« Regarde… »

Un souffle glacial s’attarda près de son oreille. Aln sursauta et donna un coup de taille vers l’arrière, mais frappa dans le vide. Il n’y avait rien derrière lui. Puis il eut l’impression de voir l’air miroiter devant lui. Oui, là où il avait quitté la barrière, l’air miroitait. Rien de distinct, mais il y avait comme une image.

Il sortit une rune d’analyse, Sahn, et l’activa. Il voulait savoir ce qu’était cette image. La Sagmag permettait bien des choses, et après son combat avec l’Ombre de Magasnin il savait que ces dernières pouvaient la manipuler. Peut-être était-ce ce qui se passait avec la barrière d’Ilksa.

Au début il ne vit rien. La fatigue habituelle lorsque le sort était trop puissant le saisit. Petit à petit il commença à discerner la séparation entre la barrière et l’espace normal. Il avait l’impression que la barrière était recouverte de traits dispersés. Plus le temps passait, plus l’engourdissement était prononcé, mais les traits croissaient en nombre et s’organisaient. Bientôt, la barrière jouant le rôle d’écran, Aln put distinguer un tableau.

« Regarde… »

Une silhouette humaine était recroquevillée dans un monde plat recouvert de ténèbres.

« Regarde… »

Une petite zone circulaire était encore vierge, au centre de laquelle se tenait une jeune fille.

« Regarde ! »

C’était Eliana. Et il n’y avait plus qu’un ou deux mètres entre elles et les ténèbres.

Aln se retint de crier son nom.

« Trop tard ! Trop tard ! »

L’Ombre ricana derrière lui.

« Appelle-là ! Parle-lui ! Parle !»

Étrange que l’Ombre l’incite à parler. Aln n’arrivait pas à sentir la présence de son ennemi. Mais une chose était sûre : il ne fallait pas appeler Eliana. Ce n’était sans doute qu’une illusion de l’Ombre. Mais pourquoi ? Impossible de le savoir.

Il interrompit son sort et se retourna.

« Parle ! »

Aussitôt, il entendit la créature hurler de colère. Cette fois, elle était bien là. À quatre pattes devant lui, elle le dévisageait de ses yeux sans paupières, un rictus de rage et de dépit aux lèvres. Puis, dans un feulement meurtrier elle se jeta sur lui.

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